Nejatt mint Sidi Heiba, la quarantaine révolue, raconte avec passion comment, par un beau jour de 2002, elle a commencé son histoire avec l’hémodialyse et ses malades. A suivre son récit, ponctué tantôt d’énervement, tantôt d’un sourire réconfortant, il est clair que cette femme a acquis une grande expertise sur les conditions qu’endurent les patients en insuffisance rénale et une parfaite connaissance du chemin de croix parcouru, chaque jour, à leurs côtés, pour les aider à surmonter leurs souffrances et déshéritements. Pour Nejatt, aujourd’hui entièrement dévouée à l’accompagnement des malades et à la mobilisation des fonds pour leurs besoins, l’histoire a commencé il ya seize ans, lorsque feue sa maman entama ses premières séances d’hémodialyse en l’unique centre d’accueil dédié aux malades en insuffisance rénale, sis au Centre hospitalier national de Nouakchott. Puis Nejatt accompagnera sa mère à Dakar, avant que celle-ci ne décède finalement à Nouakchott, après avoir fréquenté le centre d’hémodialyse pendant plusieurs années. C’est de cette douloureuse gestation qu’est née son ONG Nejatt pour les Actions de Bienfaisance, spécialisée dans l’accompagnement et l’aide des malades en hémodialyse.
Un véritable combat
Ce n’est qu’en 2011 que Nejatt est reconnue par les autorités. Depuis lors, toute la vie de sa fondatrice est consacrée à la recherche et à l’écoute des malades qui viennent de toute la Mauritanie et, parfois même, du Mali ou du Sénégal, comme cette domestique malienne que l’organisation prend en charge depuis trois ans. « Je ne regarde », commente Nejatt, « ni la région, ni l’origine sociale, ni même la religion de mes patients, l’essentiel est de venir en aide à une personne en insuffisance rénale, une pathologie qui affecte, au demeurant, surtout des personnes très pauvres ». Nejatt connait tout de la maladie. Ses symptômes, ses médicaments, ses analyses et ses experts en Mauritanie. Son répertoire téléphonique est chargé d’adresses de malades, bienfaiteurs, organisations partenaires, docteurs, infirmiers et autres acteurs ou établissements (cliniques ou laboratoires) susceptibles d’aplanir les nombreux problèmes qui se dressent journellement sur son chemin de prise en charge de malades aux abois.
Club de bienfaiteurs
Après seize ans d’actions, Nejatt et son Ong ont réussi, via la diffusion de leurs travaux et leurs sorties médiatiques, à gagner la sympathie de quelques bienfaiteurs, comme, par exemple, l’Association féminine Bessma et Emel, la Fondation Ahmedou ould Abdel Aziz (qui leur a offert quinze appareils à hauteur de cinq cent mille ouguiyas), le docteur Hamme ould Abdel Kader, qui les subventionnent et les aident dans l’achat de médicaments contre l’hypertension, ou, encore, le Rassemblement pour le Développement Islamique qui loue le siège et paie le salaire de la secrétaire de l’ONG. La présidente cite aussi d’autres bienfaiteurs basés en Angola, Espagne, France, USA et ailleurs qui leur envoient des lots de médicaments, généralement très chers ou introuvables en Mauritanie, et de l’argent pour effectuer des analyses ou acheter des appareils pour les malades. Certains bienfaiteurs s’engagent par des actions concrètes, comme celui qui leur a offert une Toyata Avensis dédiée au transport des malades et dont le carburant est assuré par un autre bienfaiteur payant les factures d’une station-service de la place. D’autres prennent directement en charge des malades, comme cet homme basé aux Etats Unis qui couvre, depuis sept ans, les frais de deux frères insuffisants rénaux (l’un est récemment décédé et l’autre envoyé en France, pour une transplantation). Ou cet autre d’Angola qui prend en charge les frais de monsieur Boucheïba (48.000 UM par mois). Ou cet autre qui couvre tous les soins de Mohamed (30 ans) à hauteur de 140.000 UM/mois, en l’attente d’une transplantation.
Tristes histoires, médicaments chers et équipements insuffisants
Nejatt connaît tous ses malades. Leur histoire et leur nom. « Celle-là, c’est Fatou Binta Sène. Elle est malade depuis trois ans. Elle vient d’avoir un enfant, je l’ai sermonnée pour ça. Mais ça va, elle va bien, j’ai tous ses médicaments. Heureusement qu’une bonne volonté vient de m’en amener d’Espagne. D’ailleurs, elle a dû payer des taxes à l’aéroport, pour les faire passer. Celui-là, c’est Slame, un handicapé qui fait la dialyse depuis trois ans. L’autre, c’est El Houssein, un vendeur de méchoui dont la fille est amputée d’une jambe, on a réussi à lui acheter des béquilles. Ce jeune-là devait passer son bac mais il est tombé malade. Maintenant, c’est bon, il se soigne sans problème. Ici, c’est une fillette de huit ans, très mignonne », commente en souriant Nejatt, « mais elle doit d’abord se soigner, elle pourrait même avoir besoin d’une transplantation ».
Pour avoir travaillé seize ans dans les travées des services d’hémodialyse, Nejatt connaît parfaitement les médicaments et leurs prix. Une boîte de Lasilix coûte 15.000 UM ; celle de Coveram, c’est 12.000 UM ; Exforge ou de Niora 50 ou 100, 140.000 UM et trouvable seulement à Dakar. Certaines analyses coûtent 60.000 UM et ne sont fournies que dans les cliniques privées. « Alors, comment voulez-vous », interroge Nejatt, « que des malades généralement très pauvres procèdent à ces analyses ou achètent de si chers médicaments ? » Dans les structures publiques pourvues de services d’hémodialyse –Centre hospitalier, Sadagha, hôpital Zayed ou militaire – les équipements manquent. Au privé, la clinique Essava n’accueille que les assurés de la CNAM ; les malades pris en charge par les affaires sociales se rabattent sur celle d’El Hayatt. Les malades de l’intérieur doivent se déplacer à Nouakchott puisque les services de leurs hôpitaux locaux ne sont que rarement opérationnels, faute de personnel spécialisé. Les quatre seuls docteurs spécialistes en la matière travaillent tous dans la capitale. Les critères exigés, dont, entre autres, la présence d’une banque de sang et d’appareils adaptés, sont tout aussi rarement remplis par les établissements médicaux de l’intérieur.
Cri de détresse
Et la présidente de Nejatt pour les Actions de Bienfaisance de lancer un vibrant appel : l’Etat doit instruire les deux départements directement concernés par la prise en charge des malades de l’insuffisance rénale, notamment le département des Affaires sociales et celui de la Santé, en les motivant à travailler dans la plus grande synergie possible, afin que les conditions de traitement et de prise en charge de ces patients soient améliorées, via, surtout, l’équipement de tous les centres d’hémodialyse et la disponibilisation des médicaments à des prix abordables. Les analyses doivent être moins coûteuses ; les appareils et les machines facilement accessibles. Les autorités publiques doivent aussi collaborer avec les organisations comme Nejatt qui ne cherchent qu’à les aider, dans le traitement et à la prise en charge des victimes de ces maladies d’hypertension et d’insuffisance rénale qui deviennent très nombreuses et qui ravagent, silencieusement, surtout les rangs des populations les plus vulnérables, souvent sans revenus.
Reportage Sneiba El Kory