J’ai mis du temps pour rendre publique cette déclaration relative aux incidents qui se sont produits récemment et qui ont malheureusement entrainé la mort d’un pêcheur sénégalais lors d’un accrochage avec la Marine mauritanienne.
Cette temporisation de ma part est dictée par le souci constant d’éviter toute réaction à chaud susceptible d’envenimer la situation ou d’échauffer les esprits, d’autant plus que j’assume la responsabilité publique de maire de la commune de N’Diago dont la frontière jouxte les portes de Saint-Louis, lieu d’attache du défunt pêcheur.
Aujourd’hui que le calme est revenu, je me dois de relater les faits en tant que témoin de ces regrettables incidents, avant d’exprimer mon opinion sur cette situation, de même que sur les moyens de préserver et de renforcer les relations entre nos deux peuples, condamnés à vivre dans l’entente, l’harmonie et le respect mutuel, comme ils le font depuis des siècles.
Le samedi 20 janvier 2018, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation s’était rendu dans notre commune pour visiter la frontière avec le Sénégal. Je l’ai accueilli et accompagné en ma qualité de Maire de N’Diago, aux côtés du Wali du Trarza, du Hakem de Keur Macène et du Chef d’arrondissement de N’Diago. Le ministre de l’Intérieur était arrivé vers 13H00 et nous étions restés sur les lieux jusqu’aux environs de 16H00.
En fait, nous nous trouvions à portée de vue de certains quartiers de Saint-Louis, étant donné que la frontière entre les deux pays à ce niveau, telle que définie par les textes en vigueur et notamment le décret du 08 janvier 1933, passe aux portes nord de Saint-Louis ou N’Dar, le nom populaire utilisé par les Sénégalais et les Mauritaniens avant et même après la création de Saint-Louis en 1659.
Ainsi, les habitants des quartiers nord de la ville, comme Gokhou M’Badj, Santhiaba et Guet N’Dar pouvaient voir le déplacement de nos véhicules à partir de chez eux. Ce mouvement de voitures à la frontière a amené le chef de la police frontalière à venir nous voir. Il nous a salués correctement et j’ai tenu, personnellement, à lui présenter les membres de la délégation.
Pendant que certains de nos véhicules étaient ensablés à côté des ruines de la maison Gardelle, citée par le décret de 1933 dans la définition de la frontière, de jeunes Sénégalais sont venus à nous, en vue de demander au ministre de leur libérer la pirogue qui venait d’être arraisonnée par la Marine mauritanienne. Nous leur avons répondu que le ministre ici présent était celui de l’Intérieur et non celui des Pêches.
Tout ceci pour dire que l’incident a bien eu lieu dans les eaux territoriales mauritaniennes, contrairement à ce que certains responsables sénégalais, un peu emportés dans la surenchère de condamnations, ont insinué, laissant entendre qu’il s’était produit dans les eaux sénégalaises. Sauf que le président Macky Sall dans sa déclaration a évoqué le respect de la souveraineté des Etats.
En réalité, les incidents à l’intérieur des eaux territoriales mauritaniennes sont devenus fréquents depuis que l’accord de pêche entre les deux pays a expiré, sans être renouvelé. Les Saint-Louisiens ou Domou-N’Dar ne se privent pas, chaque fois que la mer le permet, de faire des incursions à l’intérieur des frontières maritimes mauritaniennes et ils ne s’en cachent pas, affirmant que seule la mort les en empêchera. Même le ministre sénégalais des Pêches, invité du journal le soir de l’incident, semblait faire écho à cet état d’esprit, en déclarant que les pêcheurs de Guet N’Dar sont habitués depuis deux cents ans à pêcher en Mauritanie. C’est un argument insuffisant, à mon avis, pour s’autoriser à pénétrer illégalement dans les eaux d’un autre pays pour faire main basse sur ses ressources, au mépris des accords et conventions protégeant la souveraineté des Etats. Surtout venant d’un haut responsable appelé à exhorter au calme et à la retenue, plutôt que d’aller dans le sens de la foule. Une déclaration comme celle-ci n’était-elle pas un feu vert aux émeutes qui ont éclaté le lendemain à Saint-Louis et au cours desquelles une douzaine de boutiques appartenant à des Mauritaniens ont été pillées et brûlées.
Je dois dire que ce n’est pas la première fois que des accrochages de ce genre ont lieu à la frontière entre les deux pays, avec parfois des morts et des blessés. Depuis 1998, date de l’installation par la Mauritanie de gardes-côtes pour faire respecter les arrêts biologiques, les incursions de pêcheurs sénégalais sont quasi-quotidiennes et deux d’entre eux ont trouvé la mort en bravant les injonctions de la Marine mauritanienne, en comptant le dernier, celui du 20 janvier ; Du côté mauritanien, un capitaine d’embarcation de la Marine a trouvé la mort en février 2010 dans une poursuite de pêcheurs sénégalais dans les eaux mauritaniennes. Rodés dans ce genre d’exercices et montés à bord d’une barque plus légère, ils arrivèrent à le piéger en l’entrainant vers la berge, de sorte qu’il heurta la barre avec une telle force que sa tête alla cogner le moteur violemment et il perdit la vie. Son nom est Ismail Ould Amarna, un cousin à moi qui a laissé derrière lui une femme et quatre enfants. Un autre mauritanien, pratiquant le trafic à la frontière, a été tué par un douanier sénégalais alors qu’il traversait le fleuve entre Toufoundé Civé et Maghama au Gorgol.
Ces multiples cas ont été, à chaque fois, traités avec calme et responsabilité par les autorités frontalières qui ont toujours veillé à trouver les solutions appropriées pour éviter les tensions entre les deux pays, en ayant à l’esprit les leçons tirées des douloureux évènements de 1989. Mais cette fois-ci, la partie sénégalaise a donné au nouvel incident une ampleur inhabituelle et semble avoir voulu l’exploiter politiquement, à l’approche des échéances électorales. En un seul jour, j’ai suivi des déclarations à la presse du Chef de l’Etat, ainsi que du ministre de l’Intérieur et de celui des Pêches arrivés tous les deux immédiatement à Saint-Louis, en plus du Gouverneur de la région du fleuve. Celui-ci est allé jusqu’à utiliser un fameux « trop, c’est trop » lancé à la veille des évènements de 1989 par le ministre de l’Intérieur d’Abdou Diouf, André Sonko, dans des propos rapportés par le journal sénégalais Le Soleil du 17 avril 1989.
En revanche, du côté mauritanien, il n’y a eu aucune réaction officielle, si ce n’est le communiqué sur les circonstances des faits, publié deux jours plus tard par l’état-major général des Armées.
En tout état de cause, une solution durable doit être trouvée pour permettre aux deux pays, liés par l’histoire et la géographie, d’entretenir des relations de coopération, de bon voisinage et de confiance mutuelle, dans un climat assaini. Je pense qu’en ce qui concerne la pêche les éléments ci-après peuvent y contribuer :
- -D’abord, éviter les incursions non autorisées dans les eaux territoriales de la Mauritanie, ce que les Marines nationales, de part et d’autre, font respecter depuis l’incident ;
- Ensuite, parvenir à un accord conforme à la réglementation en vigueur dans chacun des deux pays et en assurer le respect. A ce propos, le ministre sénégalais des Pêches, dans la même intervention à la presse citée plus haut, a indiqué que les dernières négociations sur l’accord de pêche ont échoué parce que le nouveau Code mauritanien de pêche prévoit le débarquement des prises effectuées dans les eaux mauritaniennes à un point de la côte mauritanienne avant leur acheminement vers leur lieu de destination, ajoutant que la Fédération sénégalaise des pêches avait refusé cette clause. Il a précisé avoir dit aux responsables de la Fédération que s’ils n’acceptent pas cette disposition, ils ne pourront plus pêcher en Mauritanie ;
- Enfin, pour éviter les accrochages à l’avenir, les pêcheurs qui, malgré toutes les précautions prises par les marines des deux pays arrivent à pénétrer illégalement dans les frontières maritimes mauritaniennes devront se rendre aux sommations de la Marine mauritanienne et ne pas prendre de risques inutiles, car de toute manière, on trouvera toujours une solution entre les deux pays par la négociation. Pour preuve, quatre embarcations sénégalaises ont été arraisonnées depuis l’incident en question et les 31 pêcheurs qui étaient à bord se sont rendus à la Marine mauritanienne. Ils ont été libérés par la suite et leur matériel confisqué.
Je ne peux terminer sans présenter mes condoléances les plus attristées à la famille du défunt, aussi bien ses parents paternels à Louga que ses parents maternels à Saint-Louis.
Boydiel Ould Houmeid