La Mauritanie vient d’être condamnée, par le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, à propos de Saïd et Yarg, pour « manquements aux obligations qui lui incombent en vertu de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant ». La décision n°003/2017 a été prise le 15 Décembre dernier, après une année d’enquête, et exige, du gouvernement de Nouakchott, d’instruire une plainte en urgence et de dresser rapport, faisant état de la progression ou de la régression de la mise en œuvre des recommandations.
« C’est un précédent judiciaire international qui ouvre la voie aux poursuites internationales contre les auteurs des violations des droits de l’homme, notamment en matière de l’esclavage, au constat du manque de volonté de l’autorité judiciaire à faire appliquer les dispositions de la norme », a commenté devant la presse, le mardi 30 Janvier, maître El Id ould Mohameden, avocat de SOS Esclaves. Et de rappeler le cas des deux enfants, victimes d’esclavage par ascendance, qui ont « travaillé sans aucune rémunération et subi toutes formes de châtiment corporel et psychologique ».
En avril 2011, Saïd réussit à s’échapper et se rend chez sa tante qui porte plainte, avec l’assistance de SOS esclaves et d’IRA, contre la famille Ehel Elhassine, pour avoir réduit en esclavage Saïd. La plainte fait l’objet d’une enquête et des poursuites sont engagées, en vertu de la loi 048/2007 portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes, contre les membres de la famille Elhassine ainsi que contre la maman de deux enfants pour les avoir incités à renoncer à leur liberté. Les mêmes chefs d’accusation sont confirmés par le juge d’instruction et l’affaire renvoyée devant la Cour criminelle de Nouakchott.
En novembre 2011, celle-ci reconnaît le crime. Mais seul Ahmed ould Elhassine est condamné à deux ans d’emprisonnement ferme et une amende de 500 000 ouguiyas, bien que toute la famille fût impliquée dans l’exploitation de deux mineurs et ses membres chargés des mêmes chefs d’accusation. Le jugement accorde, aux enfants une indemnisation de 840 000 UM, pour Saïd, et 240 000, pour son frère. Moins de cinq mois après la condamnation et sans aucune notification à l’avocat des victimes (comme le prévoit la loi), le condamné est libéré, par la Chambre pénale de la Cour suprême, moyennant une caution de 200 000 ouguiyas. Suite à cette libération, l’audience en appel est programmée, avant d’être reportée, au motif initial de l’absence du président puis de l’impossibilité de localiser l’accusé.
Quatre années après le jugement, les deux garçons n’ont toujours reçu aucune compensation, leurs anciens maîtres n’ont pas subi les peines prévues par la loi (5 ans minimum) et le dossier reste reporté, pour des motifs irrecevables. « L’échec du gouvernement mauritanien à assurer des poursuites effectives contre des membres de la famille esclavagiste et l’inapplication de la loi 048/2007, portant incrimination de l’esclavage et répression des pratiques esclavagistes, constituent », de l’avis de Boubacar ould Messaoud, président de SOS Esclaves, « une violation de ses obligations, au regard des instruments internationaux relatifs à la lutte contre l’esclavage ».
« Sur la base desdites violations », poursuit le document de SOS Esclaves remis à la presse, « SOS Esclaves et ses partenaires (MRG, Anti Slavery International) ont saisi, par la communication n°007/2015, le Comité africain, d’une plainte dirigée contre le gouvernement mauritanien, au nom et pour le compte de Saïd et Yarg. Après avoir déclaré que la communication était recevable, le Comité a tenu audience, à l’occasion de sa 28ème session ordinaire tenu, à Banjuls, du 21 Octobre au 1er Novembre 2016. SOS Esclaves et le gouvernement mauritanien y ont exposé oralement leurs arguments et les deux victimes ont été écoutées.
« Cette attitude de l’administration d’Etat, d’ailleurs généralisée à tous les niveaux, rend difficile tout aboutissement espéré en l’espèce ; les victimes et les défenseurs des droits de l’homme ont de moins en moins confiance dans une magistrature qui ne respecte ni les droits de la défense, ni le principe du contradictoire, pourtant garantis par l’article préliminaire du Code de procédure pénale mauritanien », déplore encore le document remis à la presse. SOS Esclaves y exprime sa gratitude au Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant qui a su dire le droit en faveur des deux victimes de l’esclavage. Saisissant l’occasion, l’association militante renouvelle son appel aux autorités mauritaniennes, à tous les niveaux, pour qu’elles appliquent, réellement sans réserve ni atermoiements, la loi 048/2007 portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes. « Le Comité suivra, à travers un mécanisme discret, le contrôle et la mise en œuvre de la décision », a conclu maître El Id, « c’est une pression énorme sur le gouvernement mauritanien, à quelques mois de la tenue, à Nouakchott, de la session de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ».
Compte-rendu Thiam
Faites un petit tour à Nouakchott : allez de la plage des pêcheurs au Port de l’Amitié ou de cette infrastructure vers le carrefour dit Bamako ; partez d’Atak El Kheir 2 en direction de l’Est ; promenez-vous en divers quartiers de la capitale… Rassurez-vous, il ne s’agit pas de villégiature !