Le gouvernement mauritanien a adopté, il y a quelque, une stratégie nationale de lutte contre la corruption puis fondé, dans la foulée, un comité national de lutte contre cette gangrène. Affiche spectaculaire d’une volonté politique d’éradiquer ce qu’il convient d’appeler un cancer, minant les deniers publics, presque partout dans le Monde mais, plus particulièrement en Afrique. La croisade contre la gabegie-corruption est certes, une très bonne chose, mais, chez nous, elle semble, jusqu’ici, manquer de cohérence, prêtant le flanc aux critiques de l’opposition qui y voit un arbre cachant la forêt. Divers acteurs politiques contactés par le Calame ont émis de sérieuses réserves sur les chances de réussite de cette stratégie.
D’abord un slogan de campagne
Au début, ce fut un slogan de campagne, pour emporter l’adhésion de l’opinion nationale et, d’une certaine manière, de l’internationale qui semblait rejeter la « Rectification » déclenchée le 6 Août 2008. Une croisade que ses opposants ont vite qualifiée de démagogique, voire d’instrumentalisation pour régler des comptes aux adversaires dudit Rectificateur, mais croisade, somme toute, indispensable, en cette Mauritanie regorgeant d’immenses ressources et, paradoxalement, d’aussi grandes disparités sociales, avec de tenaces et insupportables zones de pauvreté, parfois extrême, comme en ce « Triangle de pauvreté » aussi troublant que celui des Bermudes.
Celui qui venait de renverser un président démocratiquement élu avait bien analysé la situation et manœuvré, en s’affublant des très porteurs slogans : « président des pauvres », « pourfendeur des prédateurs des deniers publics de notre République ». D’où la sympathie que ses premiers discours ont suscitée, auprès de l’opinion mauritanienne. Les laissés-pour-compte de la République, peinant à tirer le diable par la queue, y ont vu un « justicier ». L’arrestation spectaculaire de gros hommes d’affaires, jusqu’alors « intouchables », les a beaucoup rassurés et confortés dans leur enthousiasme. Par contre, ceux qui pillaient le pays y ont entendu le « dangereux ennemi » à abattre, sinon à contourner, et nombre d’entre eux se sont empressés de lui offrir leurs services, pour échapper au coup de filet.
Une croisade bénéfique pour le pays, donc : des deniers publics, détournés, ont été recouvrés, les caisses de l’Etat renflouées. Le président de la République s’en vante régulièrement, aujourd’hui. Mais, le répit ne sera que de courte durée. Les grands et petits voleurs, craignant pour leur carrière, se font très petits, attendant, comme toujours, l’opportunité de revenir en force. Une petite année y suffira. Elu président, le 18 juillet 2009, Ould Abdel Aziz semble, en, effet, lever le pied et consacre l’essentiel de son action aux infrastructures, terrain de prédilection des prédateurs de jadis. L’opposition sort, alors, de son silence et accuse le pouvoir de fabriquer de nouveaux « hommes d’affaires » à sa solde, marginalisant tous ceux qui osent dire ne pas penser comme lui. Les « rectifiés » prennent pied dans les infrastructures et les mines, tandis que l’opposition profite de ce qu’elle a appelé le « Ghanagate » pour accuser le Président d’être mêlé à une opération de blanchiment d’argent. Puis, après les révélations des écoutes téléphoniques, l’affaire se dégonfle. Et la croisade contre la gabegie avec. Et pour causes.
Les limites de la croisade
De fait, la lutte contre la gabegie rentre dans le cadre des stratégies mondiales de bonne gouvernance. Elle est devenue quasiment une des conditions obligées d’octroi de l’aide, pour diverses institutions internationales. Sortie des cartons avec l’arrivée d’Ould Abdel Aziz au pouvoir, surfant sur une vague de mécontentement des populations dont la majorité observait, passivement, une petite catégorie de fonctionnaires et d’hommes d’affaires s’enrichir, de façon inadmissible, sur leur dos, elle avait cependant à faire à un mal profond et endémique. Les détournements de deniers publics étaient devenus une sport « d’élite », depuis qu’Ould Taya avait laissé entendre qu’après tout, si l’on investissait dans le pays, on ne commettait pas vraiment un délit. La porte dès lors ouverte, les fonctionnaires véreux s’étaient engagés dans une compétition de longue haleine : comptes bancaires bourrés, maisons et voitures luxueuses, vacances à l’étranger, milliers de têtes de bétail, blanchiment d’argent sous toutes ses formes, mafias profondément incrustées dans les rouages de l’Etat. A l’arrivée, de petits fonctionnaires, de simples tenanciers de secrétariat publics ou de bureaux d’études se retrouvaient richissimes. Normal, dans un pays où l’on ne travaille que pour soi, d’abord, pour sa famille, sa tribu, sa région, ensuite. Normal, dans un pays où l’impunité a été érigée en règle, par le sommet. Engager une croisade contre cette pandémie relève de la gageure. Les Mauritaniens dans la misère ont cru aux déclarations d’Ould Abdel Aziz. Mais celui-ci semble avoir compris, au fil des jours, que le combat n’est pas si simple, que le mal est lié à des intérêts multiples, vit en symbiose, parfois, avec de dignes entreprises, souvent vitales.
C’est peut-être là la principale raison de sa reculade ou de ses hésitations, après son élection en juillet 2009. Les faits parlent d’eux-mêmes : depuis la libération des hommes d’affaires et hauts fonctionnaires suspectés d’avoir trempé dans le dossier dit du « riz CSA avarié », plus personne n’a été arrêté. Les rapports d’inspection de l’IGE et de la Cour des comptes n’ont plus envoyé quiconque en prison, le pouvoir optant pour des arrangements à l’amiable : rembourser le montant détourné et continuer à se la couler douce. Ce qui n’a pas manqué d’inciter d’autres à suivre cette mauvaise jurisprudence de « l’impunité relative ».
Mais la principale limite demeure la non-publication de la déclaration du patrimoine du président de la République, des membres du gouvernement et autres hauts fonctionnaires de l’Etat, à l’entame et à fin de leurs mandats ou fonctions. Seul le président du Conseil économique et social, Messaoud Ould Boulkheïr, s’est prêté à l’exercice, en dévoilant son patrimoine au cours d’une conférence de presse, au lendemain des municipales et législatives. Tous les autres, théoriquement soumis à cette contrainte, ne commettent-ils pas, disons-le, un « délit d’initié » ? Cela fait belle lurette, en effet, qu’on ne parle plus de cette obligation ; ministres, secrétaires généraux, ADG, PDG et autres DG entrent et sortent, sans rendre comptes ni jamais être inquiétés. Et nos députés ne pipent mot. Comme dit un proverbe pulaar : « guinal et kaawmum ngawdata » ; autrement dit, il y aurait comme une espèce de complicité, à tous les niveaux.
Par ailleurs, les efforts, salutaires, accomplis dans la transparence d’attribution des marchés publics n’ont pas produit les effets escomptés. Le gré-à-gré continue, hélas, à se négocier, avec, semble-t-il, de grosses commissions en dessous-de-table, dont les donateurs et autres bénéficiaires se sucrent mutuellement, alors qu’ils devraient, à défaut d’aller en prison, perdre, au moins : les uns, toute participation ultérieure à un appel d’offres de l’Etat ; les autres, carrément leurs postes.
Ce qui est certain c’est que, si le Président se décide à éradiquer la corruption, il peut le faire et très facilement. Il a les mains libres et des cartes à abattre. Il faut rompre avec l’impunité, en déférant les présumés auteurs de détournements de deniers publics et leurs complices, devant un tribunal et les mettre au « gnouf », s’ils sont jugés coupables. Les Mauritaniens aiment l’argent mais craignent la prison.
Espérons, tout simplement, que la mise en œuvre de la nouvelle stratégie nationale de la lutte contre la corruption ne connaîtra pas le même sort que d’autres analogues, notamment celle contre l’esclavage et ses séquelles, et qu’elle permette d’instaurer un arsenal juridique réellement efficace, appliqué par des agents incorruptibles, eux, notamment grâce au renforcement des compétences de la Cour des comptes et de l’IGE. Et qui sait, par la fondation d’un département de la Bonne gouvernance et d’une Cour de répression de l’enrichissement illicite, comme au Sénégal. En tout cas, souhaitons que la nouvelle institution connaisse un meilleur sort que celui de la Haute cour de justice, adoptée par le Parlement Mauritanien mais qui n’a jamais eu à traiter la moindre affaire, sauf celle, restée lettre morte, de Khattou, épouse de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, déposé par le coup de force du 6 Août 2008…
Dalay Lam
Encadré
Réactions
Contactés par le Calame, divers acteurs politiques n’ont pas manqué d’exprimer leur scepticisme quant à la volonté politique affichée par les pouvoirs publics. Pour Saleh Ould Hanena, président du parti Hatem, « cette stratégie entre dans la propagande habituelle du pouvoir ; l’actuel président ne va, en aucun cas, lutter contre la gabegie, son régime est le plus corrompu que la Mauritanie ait jamais connu. Les Mauritaniens ne sont pas dupes, ils ont fini de découvrir le vrai visage du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz.»
Selon Abdallahi Ould Abdel Vettah, conseiller du président de l’UPR, « la décision prise par les pouvoirs publics est excellente, elle vient confirmer et désormais ancrer la volonté politique du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, qui s’est employé, depuis qu’il a pris le pouvoir, à ne ménager aucun effort pour assainir les finances publiques, en éradiquant ce fléau. C’est une décision sage et louable, dans la mesure où elle va permettre, désormais, d’asseoir des bases solides, pour lutter efficacement contre la gabegie-corruption. Ceux qui ont la charge d’assumer des responsabilités publiques doivent répondre de leur gestion ».
Mahfoudh Ould Bettah, président du CDN, pense que l’adoption d’une stratégie de lutte contre la Corruption et la mise en d’un comité national de lutte contre ce fléau ne sont rien de plus que de la « poudre aux yeux, dans la mesure où l’Etat dispose déjà d’institutions destinées à lutter contre la gabegie et que leur action est entravée par le président de la République en personne. Il ne suffit donc pas de proclamer des stratégies et faire voter des lois, si, à l’arrivée, on ne les applique pas. »
Amadou Alpha Bâ, secrétaire permanent du MPR, déclare que son « parti n’y croit pas, dans la mesure où la corruption gangrène tous les secteurs de la vie publique ». Et de s’interroger : ‘’comment voulez-vous qu’un régime pourri, depuis la tête qui ne peut se légitimer que par la fraude et l’intimidation, puisse lutter, sérieusement, contre la corruption ?’’ Et de conclure : « juste de la poudre aux yeux, pour répondre aux injonctions des institutions internationales, comme ce fut le cas de l’agence Tadamoun, quand on parlait de l’esclavage… Alors, aujourd’hui, une stratégie nationale de lutte contre la corruption, parce qu’elle gangrène le pays et qu’elle ne cesse de s’étendre ? Pour vraiment lutter contre elle, il faut des institutions très fortes, ce qui, hélas, n’est pas le cas, celles qui existent ne sont que des coquilles vides. »
Pour Samory Ould Bèye, secrétaire général de la Confédération Libre des Travailleurs de Mauritanie (CLTM), l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption n’est qu’« un nouveau trompe-l’œil » du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Alors que les détournements de deniers publics sont courants, les fonds des projets dilapidés, les marchés de complaisance institués, sans aucune évaluation sérieuse ni crédible. Aucune sanction n’est prise, à l’encontre des auteurs de détournements ». Et de s’interroger sur l’utilité de Cour des comptes et de l’Inspection générale d’Etat, qui devraient, normalement, se charger de la lutte contre la gabegie/corruption.
Moussa Fall, le président du MCD, dit qu’il ne croit pas à cette décision du pouvoir, « pure démagogie, décision sans lendemain ». Et le secrétaire exécutif du FNDU de demander, aux pouvoirs publics, ce que la Cour des comptes et l’Inspection générale d’Etat ont produit, cette année, dans la lutte contre la gabegie. Celle-ci « ne doit pas relever du simple sensationnel mais se traduire par des actes concrets ». Scrutant les actes posés, par le pouvoir, depuis la formation du nouveau gouvernement, Moussa Fall se demande « si les nominations entrent dans cette stratégie de lutte contre la corruption et où sont passés ceux qui étaient taxés de gabegistes ». Le président du MCD de rappeler, enfin, que « lors du dernier Conseil des ministres, le président de la République a lui-même reconnu que la corruption n’existe pas qu’au sein de l’opposition, mais, aussi, au sein même de l’exécutif. Alors, allez savoir comment va-t-il s’y prendre désormais ? »