Chers lecteurs, nous voilà, de nouveau, dans les kiosques, après une interruption de plus d’un mois, indépendante de notre volonté. Quarante jours exactement au cours desquels aucun journal privé n’est sorti des rotatives de l’Imprimerie nationale. La faute à qui ? Au papier qui a fait défaut, à l’Imprimerie qui n’a pas été prévoyante et à l’Etat (ou, plutôt, son argentier Ould Djay qui gère les biens publics comme s’il s’agissait de ses propres deniers) qui a, tout bonnement, refusé de verser, à cet établissement, sa quote-part de 170 millions de nos anciens ouguiyas, dans le budget consolidé d’investissement de 2017. Ainsi que des arriérés de factures de plus de 300 millions de « travaux de labeur » effectués au profit des différents services de ce même Etat.
Nombreuses interrogations. De deux choses l’une : Ou l’Etat, contrairement à ce qu’on chante, n’a pas les moyens de faire face à ses engagements Ou il veut porter un nouveau coup à la presse indépendante dont les titres tirent, tous, sans exception à l’Imprimerie, après avoir interdit, depuis 2015, à tous les établissements publics d’y souscrire des abonnements ou d’y publier des annonces. Jamais, en plus de vingt-sept ans d’existence, la presse n’a connu pareille situation. Elle a vécu censures, interdictions et saisies ; le pays, dévaluation, inflation et récession ; mais elle continuait à tourner. Pourquoi maintenant ? Nos ministres n’arrêtent-ils pas de nous chanter combien nos finances publiques sont assainies ? Que l’argent coule à flots ? Que les Impôts et la Douane battent, année après année, des records de recettes ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche.
Après les télévisions et les radios privées qui ont arrêté d’émettre, pour non-paiement des redevances à l’Etat, en ce qui concerne les premières, et insuffisance des recettes, pour les secondes, et la mise sous contrôle judiciaire de quatre journalistes pour des motifs fantaisistes, la cerise sur le gâteau fut, incontestablement, cette pénurie de papier. Classée, depuis quelques années, première du monde arabe, par Reporters sans frontières, dans le domaine de la liberté de la presse, la Mauritanie risque voir pâlir son étoile. Au moment où la presse, dans les pays voisins (avec lesquels nos gouvernants nous comparent souvent), considérée, à juste titre, comme un pilier de la démocratie, est subventionnée, notre pouvoir prend un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. Si elle ne le ménage pas, est-une raison de tenter de la bâillonner ? De l’injustice naissent les libertés, disait le célèbre poète Ahmedou ould Abdelkader. Les garantir permet de minimiser celle-là et, ce n’est pas la moindre utilité de cette attention de l’Etat, les tentations de les prendre, toutes, chacun pour soi, dans le plus grand désordre. Couper la langue d’un peuple, c’est aussitôt s’exposer à en voir repousser cent, mille, des millions, à chaque coin de rue. L’Hydre du Peuple est invincible.
Ahmed Ould Cheikh