Nous sommes un jour de l’année 2018, en fin de matinée. Derrière des draps blancs tendus pour écarter les curieux, des personnes travaillent autour de la première fosse commune qui vient d’être ouverte. Un crâne, puis des dizaines et des centaines de crânes sont sortis un à un des profondeurs. Ces crânes semblent encore porter la dignité des hommes qu’ils incarnaient. Des hommes massacrés le 1er décembre 1944 par le commandement français au camp de Thiaroye pour avoir réclamé à la France le paiement de leur solde d’ex prisonniers de guerre. La description de cette scène d’exhumation pourrait bien devenir réalité un jour et contredire la déclaration du Premier ministre français Edouard Philippe s’inspirant d’une citation du président Macky Sall pour affirmer que « le problème entre la France et le Sénégal, c’est qu’il n’y a aucun problème ».
Pourtant, de Blaise Diagne, député français du Sénégal accusé de recevoir une commission pour chaque soldat africain recruté durant la Guerre de 1914-1918, jusqu’à l’engagement mortel de soldats africains sur des champs d’opérations militaires de protection des intérêts occidentaux, en passant par l’utilisation de « mains noires » pour assassiner nos figures historiques, nos pays sont liés à la France par une insupportable tradition de mercenariat et de sales coups. Provenant de toutes les anciennes colonies, allant du Sénégal au Congo en passant par le Mali, les soldats de Thiaroye, eux, n’étaient pas des mercenaires mais des résistants qui ont eu le courage de refuser de laisser l’autorité militaire française piétiner leur dignité et leurs droits.
Un des mobiles du massacre de Thiaroye est le refus de payer leur dû aux soldats indigènes (soldes de captivité, primes de démobilisation etc.) et la volonté des autorités françaises de s’emparer des économies qu’ils détenaient. Aux Etats-Unis où les autorités refusèrent de dédommager les Noirs libérés de l’esclavage en 1865, la décision de verser malgré tout les primes de guerre aux soldats noirs qui avaient combattu dans les troupes du Nord, avait permis à la communauté africaine de constituer un capital de départ pour financer de manière autonome ses propres écoles, universités et services de base. Il ne fait aucun doute que si la France, qui s’empressa de créer le franc CFA (colonies françaises d’Afrique) en décembre 1945, avait remis l’argent qui revenait de droit à nos parents, grands-parents ou arrière grands-parents mobilisés par l’effort de guerre impérialiste, les luttes de libération africaine menées par ces derniers dans les années 1950 auraient été autrement mieux financées et armées pour renverser l’ordre colonial de manière définitive.
Les nombreuses incohérences, la falsification historique et le mensonge d’État visant à diminuer le nombre de victimes du massacre suscitent l’indignation. La vérité ne dépend pas seulement de l’ouverture des archives « secrètes » et des fosses communes afin de statuer définitivement sur la réalité et l’ampleur du crime commis, mais aussi de la tenue d’un procès en révision pour laver l’honneur, à titre posthume, de ces martyrs présentés comme de prétendus mutins.
Nous, organisations signataires, exprimons notre soutien à toutes les personnes qui consacrent leurs recherches à des enjeux historiques sensibles pour redonner de la mémoire aux peuples. Nous invitons toutes les organisations et les personnes éprises de vérité et de justice à relayer l’appel suivant :
Nous, organisations signataires, demandons solennellement aux autorités sénégalaises de procéder à l’ouverture des fosses communes identifiées, et aux autorités françaises de restituer au service historique de la défense les archives militaires du 23ème BIMA conservées au camp de Bel Air jusqu’à sa dissolution en 2011, afin que la vérité historique soit rétablie et que justice soit faite, à la mémoire des victimes du massacre du camp de Thiaroye, et au nom de leurs proches, de leurs descendants et du continent africain tout entier.
Fait à Dakar et à Brazzaville, le 1er décembre 2017
ORGANISATIONS SIGNATAIRES :
-Pour SLB/Alternative Solidaire (PASTEF, RND, Taxaw Temm, YAW) : Madièye Mbodj, Coordonnateur ; Dakar
-Pour la Ligue Panafricaine- UMOJA : Diogène Henda Senny ; Brazzaville
-Pour Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA-Mauritanie) : Biram Dah Ould Abeid ; Nouakchott
-Pour le Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA) : Mohamed Touré ; Conakry
-Pour le Front Progressiste et Panafricaniste (Manidem, MOCI, UPA) : D.Yebga, H. Kamgang, Th. Y. Moyo ; Cameroun
-Pour le Parti Sankariste : Beneweinde Sankara ; Ouagadougou
-Pour Liberté et Démocratie Pour la République (LIDER en Côte d’Ivoire) : Mamadou Koulibaly ; Abidjan
-Pour le Groupe Union Calédonienne-front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) : Roch Wamytan ; Nouméa
-Pour le Groupe de Recherche et d’Initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA) : Aziz S. Fall ; Montréal
-Pour le Collectif 60 – Cameroun : Théophile Nono
-Fondation Abel Goumba-Centrafrique : Bangui
-Pour
Date de levée d’embargo à Dakar, le 30 novembre 2017.