1. La nature politique du Wahabisme
Donc vraiment rien à voir avec le Wahabisme dont le fondateur Cheikh Mohamed Ibn Abdel Wahab n’était au plus qu’un bon prédicateur qui récitait certes le Coran et peut-être aussi beaucoup de Hadiths, mais sûrement pas un penseur de grande envergure. De surcroit, il n’est réputé avoir produit qu’un seul ouvrage intitulé Kitâb Tawhid où il exposa les grandes lignes de ce qui allait tenir pour sa doctrine. D’autres livres portent son nom, tels que Tajwid Al Qour’an ou encore Qhazou’el Fikri, sans parler de plusieurs autres, mais d’insistantes assertions font croire qu’il n’en était pas l’auteur et qu’ils furent commandités bien après sa mort. Toutefois, pour une raison d’objectivité, il vaut mieux douter de ces assertions…
En revanche, une chose est généralement admise : à son retour de la Syrie où il avait reçu une formation de ‘’mémorisation et de lecture du coran’’, il fut choqué par le comportement des populations de sa région du Nejd. Pour lui, le Message du Prophète avait été perverti et même si Allah continuait à être adoré, d’autres cultes apparaissaient et provoquèrent même de l’engouement, comme le culte des étoiles ou la science occulte des signes astrologiques et celui des Machâyikh ou des saints à qui on attribuait des pouvoirs ou dons surnaturels.
Il en déduisit que la société glissait de nouveau dans l’idolâtrie et il se mit alors à prêcher une forme d’Islam pure et dure pour empêcher la population de sombrer à nouveau dans l’erreur. C’est ainsi qu’il développa dans ses prêches une lecture littéraliste du Coran ; de sorte qu’avec lui, la Charia devint un sacerdoce que l’on devrait faire appliquer avec autorité, sans accommodement et sans discernement. Comme quoi la rencontre du désert et des prêches solitaires peut parfois générer de l’inspiration…
Une autre chose est également incontestable : l’engagement religieux du Cheikh Mohamed Abdel Wahab est suspecté par nombre de ses critiques, en considération d’une entente politique de départ, parce qu’il fut effectivement le co-fondateur de la dynastie des Al Saoud, sur la base d’un pacte convenu en 1747 avec Mohamed Ibn Saoud, un sombre chef de tribu dont le moins qu’on puisse dire est qu’il était ambitieux. Car il comprit rapidement qu’il pouvait assouvir son ambition de pouvoir par l’instrumentalisation du Cheikh, en appliquant la double alternative du célèbre historien Ibn Khaldoun (lui aussi Ach’arite) qui avait écrit’ : « on ne gouverne les arabes que par la religion ou le sabre ».
Ils allièrent donc les deux, en scellant ce pacte par le mariage de la fille du Cheikh avec le fils de ce dernier ; ils se sont alors entendus pour unir leurs efforts et se partager les rôles, l’un devenant le référentiel religieux de la vie sociale et l’autre se chargeant des affaires politiques, non pas du pays tout entier, ils n’en avaient pas encore les moyens, mais seulement dans les limites géographiques de leur zone d’influence – dans la région du Nejd...
C’est ainsi que, près de deux siècles plus tard, à l’issue de multiples péripéties qui ne méritent pas que l’on s’y attarde ici, l’un de leurs arrières petits fils, Abdel Aziz Ibn Saoud, s’autoproclama roi d’Arabie en 1932, après avoir vaincu ses rivaux des Béni Hachem du Hedjaz, alliés des turques, avec l’aide des anglais…
Les Béni Hachem, la tribu du Prophète Mohamed (PSL), furent donc repoussés vers le Yémen par l’armée Wahabite qui saccagea leurs maisons et détruisit leurs cimetières pour ne leur laisser plus aucune trace
Même les tombes de la propre famille du Prophète (PSL) et celles de ses compagnons ne furent épargnées, elles ont été rendues complément anonymes, sous prétexte qu’il fallait éviter qu’elles soient idolâtrées. De sorte qu’aujourd’hui on ne trouve aucun lieu où reposent les corps des membres de cette famille, ni à la Mecque ni à Médine : tous leurs lieux connus sont en Irak et en Syrie ou ailleurs, comme au Yémen où resta une branche au sein de ses cousins Hachemites dont les descendants y vivent toujours[1].
Il en fut de même pour la tombe de l’Imam Malik, connu pour l’amour et le respect qu’il témoignait à la famille du Prophète, elle n’est plus identifiable dans le cimetière d’Al Baqui’h à Médine, alors que celles du Cheikh Mohamed Abdel Wahab et de ses descendants ainsi que celles des Al Saoud sont bien connues dans leur Nejd natal.
Les Wahabites sont donc les précurseurs des terroristes en matière de destruction de sépultures des grandes figures historiques ou de leurs symboles : on se rappelle de ceux du Bouddha à Tora Bora en Afghanistan et des symboles de la civilisation Babylonienne et Sumérienne en Irak, des sites antiques ou archéologiques comme Palmyre en Syrie et du lieu symbolique des 313 saints de Tombouctou au Mali.
Selon leur doctrine, aucun être humain, et encore moins sa mémoire, ne mérite d’être célébré, à plus forte raison d’être porté au ‘’sacre’’. Pourtant, curieusement, ils ne s’interdisent pas de se livrer au culte de la personnalité du roi et des princes ainsi que de la famille ‘’Al Cheikh’’ à laquelle ils ont même attribué le titre de « famille de la demeure » en lieu et place des descendants du Prophète Mohamed (PSL).
N’est-ce pas là une insigne hypocrisie et en même temps un bel exemple de sophisme ?
Quant à la famille Al Saoud, elle s’attribua tout le pays en le faisant appeler par son propre nom. Et l’on ne peut s’empêcher ici de se rappeler du verset de la Sourate des Fourmis : « En vérité, lorsque les rois pénètrent dans une cité, ils y apportent la corruption et transforment ses citoyens responsables en personnes viles. C’est ainsi qu’ils agissent ».
Et c’est ainsi que le Wahabisme fut imposé à la société saoudienne à travers un rigorisme impétueux élevé au rang de dogme, ne tenant pas compte du caractère rationnel des enseignements du Coran et des Hadiths du Prophète, ne tenant pas compte non plus des contextes changeants et des conditions d’existence nouvelles ainsi que des aspirations des hommes et femmes vivant dans cette société.
En observant la vie de tous les jours dans ce pays, la première impression qui se dégage est que sa police religieuse n’avait jamais entendu ‘’Lâ Ikra’h fi dine’’ ou pas de contrainte en religion. Comme si elle voulait rappeler quotidiennement à la population que sa fonction de prédilection était de maintenir avec force et vigueur ‘’l’alliance du sabre et de la religion’’ ; quoi qu’elle commence à s’ébranler avec le nouveau prince héritier Mohamed Ibn Salman.
D’ailleurs, pour la perspective de cette nouvelle donne, il serait tout à fait utile de la replacer dans son contexte historique : déjà, au début de la seconde moitié du siècle passé, les dignitaires religieux Wahabites firent semblant de s’opposer à la mise en fonctionnement de la première station de radio du pays ; puis du temps de Fayçal, au lancement d’une chaîne de télévision couvrant l’espace nationale et plus tard à son ouverture aux chaînes étrangères ; ensuite, à la mise en place de l’internet et à son accès libre ; et à présent, pour berner leur propre conscience, ils ont promulgué une Fatwa de nature à légitimer la décision du roi permettant aux femmes de conduire les voitures. Mais le prince héritier semble vouloir aller dorénavant plus vite et plus loin dans ses réformes et affiche une volonté assez bien visible de ne plus les consulter que pour les faire acquiescer docilement ses décisions. S’y ajoute la réforme des programmes scolaires au contenu religieux déplaisant pour Israël et l’Occident, engagée en catimini, cette année même, sous la pression des Etats Unis.
Est-ce les prémisses du déclin de la doctrine Wahabite ? (A suivre)
[1] Le mouvement des Ansar Allah, plus connu au Yémen et ailleurs sous le nom des Houthi, a pour leaders Abdel Malik Al Houthi, petit fils d’un dignitaire religieux descendant de la famille du Prophète, comme quoi l’histoire ne finit jamais de se répéter vu la rage déployée aujourd’hui par ce mouvement pour combattre les ‘’coalisés’’ dirigés par les forces Wahabites des Al Saoud
Suite : Les enseignements du Coran