Dans quelques jours, la République Islamique de Mauritanie célébrera la fête nationale de l’Indépendance à Kaédi. C’est l’occasion rêvée de consolider, durablement et sans heurts, l’identité mauritanienne, face à nombre de défis, tant internes qu’externes. Au niveau international, le pays doit redoubler de vigilance pour maintenir des relations, fraternelles et privilégiées, surtout avec ses pays frontaliers. Car le premier défi se trouve juste à la frontière. Avec le Maroc, des malentendus perdurent, depuis l’indépendance. Avec l’Algérie, la relation n’est plus rectiligne, depuis l’affaire du Sahara en 1975. Avec le Sénégal, les événements de 1989, des questions de frontières maritimes, de pêche illégale, de nouveaux gisements offshore et d’ingérence souterraine, parfois malveillante, assombrissent notre paysage commun. Avec le Mali, l’apparition de bandes armées terroristes et de mouvements autonomistes ; au début des années 2000, ont teinté de méfiance nos rapports. Et que dire de nos côtes, les plus poissonneuses au monde, si menacées, depuis plus de deux siècles, d’exploitation abusive ? Avec ces défis à la frontière et la richesse de notre sous-sol, l’Etat doit veiller encore plus à ce que son peuple demeure uni et solidaire, face à toute tentative de déstabilisation. Elles furent rares, par le passé ; elles peuvent l’être beaucoup moins, dans la mondialisation galopante de notre époque.
Au plan national, la guerre du Sahara, les sécheresses et de trop nombreuses urgences ont empêché de fixer une direction à long terme. Personne ne peut s’aventurer à dire dans quelle Mauritanie nous serons, d’ici vingt, trente, quarante, a fortiori cinquante ans. Nous n’avons rien préparé et ce doit être fait, maintenant. Les fils, filles, petits-fils et petites-filles de chaque famille, du président de la République aux plus pauvres, en passant par toutes les couches de la population, nul ne peut dire, aujourd’hui, dans quelle Mauritanie ils vont vivre, demain. Si même ils y vivront. Ni la famille du premier président mauritanien, Père fondateur de la Nation, ni celle de celui qui y régna le plus longtemps, n’ont vécu au pays, après le départ du pouvoir de leur père. Et que dire des nombreux autres émigrés qui durent quitter le pays, pour tant de diverses raisons ? L’Etat doit entreprendre les réformes nécessaires pour que chacun respecte le vivre ensemble et que toutes les filles et fils du moindre mauritanien puissent vivre chez eux, sereinement et sans crainte.
L’organisation des cérémonies de la fête de l’indépendance à Kaédi est une rencontre avec l’Histoire. Des actes et chantiers peuvent y être posés, pour renforcer la fondation de la Mauritanie de demain.
Parmi ces actes, régler, s’engager à régler, définitivement, les questions des séquelles de l’esclavage et du passif humanitaire. En ce qui concerne les séquelles, des reformes doivent être mises en chantier, pour donner, effectivement, les mêmes égalités de chance ou de traitement, à tous, en matière d’éducation, de santé, d’emploi et de justice. La culture qui cantonne une partie de la population à des tâches manuelles et s’attache à la faire perdurer, sur la majorité de leurs enfants et petits-enfants, ne peut être abandonnée qu’avec une action, en profondeur, de l’Etat mauritanien. Une discrimination positive peut aussi être envisagée, l’essentiel et que tous puissent vivre en paix et en harmonie. Des états généraux des séquelles de l’esclavage doivent être ainsi tenues ; un parc public, en plein centre-ville, érigé, avec un mémorial dédié à l’abolition définitive de l’esclavage et de ses séquelles, un musée et un espace d’expression culturelle.
En ce qui concerne le passif humanitaire et les tristes événements qui l’engendrèrent, Inal doit être aussi érigé en mémorial contre les injustices et les exécutions extrajudiciaires sommaires. Où les victimes trouveront, enfin, de dignes sépultures, conformément à l’islam et leurs descendants, un musée, pour nous prémunir et préserver de toutes ces exactions et exclusions. Après ces nécessaires apaisements, des excuses publiques de l’Etat pour les abus perpétrés par certaines autorités dont furent victimes, sans jugement, des tranches entières de la population. On convoquera, également, une conférence « Vérité et réconciliation », pour solder, à jamais, ces errements, finaliser les réparations et, surtout, renforcer la fraternisation retrouvée. Le sentiment d’appartenir à une même nation sera certainement consolidé par un Code de l’état-civil cimentant ces retrouvailles. Et pour couronner cet état d’esprit, on ne manquera pas de transformer la prison de Oualata en mémorial de la justice et de la liberté d’expression.
N’oublions pas nos martyrs, civils et militaires ! Dressons aussi un panthéon à leur mémoire, avec un musée de l’histoire et de la diversité culturelle mauritanienne.
Oui, la journée de l’Indépendance est l’occasion tout autant d’honorer nos illustres disparus que de fêter notre diversité. Cet évènement doit être dédié à la pluralité de nos cultures, dans toute la richesse de ses différents costumes, avec des festivals interculturels, des conférences sur nos similitudes et différences, des activités sportives et culturelles, des joutes chaleureuses où le meilleur de chacun élève le meilleur de tous.
Et finissons notre plaidoyer en exaltant sur ce qui en fut le début, nos relations internationales. Il y a cinquante-sept ans, notre indépendance nous positionnait, stratégiquement, dans le concert des nations. Il nous faut, encore et toujours, nous y employer et promouvoir cette place, lors de son anniversaire. A cet égard, notre actuelle présidence, à la tête de diverses institutions internationales, arabes, africaines et sahéliennes, doit nous permettre de tenir une attitude de neutralité politique. Pas une stricte neutralité, comme la Suisse, mais une neutralité positive : trait d’union musulman, entre le monde arabe et africain, la Mauritanie doit être le lieu de toutes les connexions, entre le Maghreb, le Machrekh « arabes » et l’Afrique.
BEJ