Le quatorzième anniversaire du décès de Feu Maitre Moktar Ould Daddah qui, une fois de plus, aura passé inaperçu dans un pays qu’il a littéralement « fondé », mais qu’il ne reconnaitrait sans doute pas (je ne pense pas seulement aux nouveaux drapeau et hymne), est une occasion propice de réfléchir sur certains aspects de son héritage et des leçons qu’ils recèlent pour le pays en ces temps difficiles. Rien de tel que les vacances d’été pour donner le temps de relire (au moins) certains passages d’ouvrages, surtout s’ils font 669 pages et qu’ils sont écrits par un homme politique, à tous égards, exceptionnel. C’est donc en pleine campagne du referendum qui a mobilisé l’attention et l’énergie des mauritaniens que je me remis à relire La Mauritanie contre vents et marées (Editions Khartala, 2003). Une Lapalissade (qu’il aimait cette formule !) que de le dire, c’est là un témoignage dont la lecture devrait être obligatoire pour tout(e) Mauritanien(ne). Le malheur du pays est qu’il n’a sans doute pas été lu par l’écrasante majorité de sa classe politique actuelle. Je parierai jusqu'à mon dernier khoums que, sans doute, de la poignée de colonels qui lui ont succédé à la tête de l’Etat, ni Taya, encore moins Aziz, (peut-être même pas M. Ould Haïdalla) ne l’ont lu (n’évoquons pas ceux qui sont décédés. Qu’ils reposent en paix). Et pourtant, dans le contexte délétère qui est celui du pays depuis que, ces derniers temps, s’est apparemment mise sur stérides la « Mauritanie des colonels », bien de mauritaniens gagneraient à (re)lire ce livre. Que l’on se rassure, Il est sans commune mesure avec celui qui est évoqué en zest dans le titre de cet article. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, il y a quelques années, un certain journaliste de Jeune Afrique avait écrit le livre intitulé Le Marabout et le colonel consacré plutôt au colonel qu’au marabout. Les opposants politiques du colonel d’alors l’avaient, à juste titre, assimilé à une autre instance du serviteur intéressé, tenant à Narcisse son miroir juste au parfait l’angle permettant à celui-ci de s’épater de sa beauté et de se rassurer, son ego étant si fragile. Une autobiographie, La Mauritanie contre vents et marées est surtout une chronique des années épiques mais aussi contentieuses et même dangereuses au cours desquelles le Président Moktar (lui insistera plutôt ‘et son équipe’), par un volontarisme en tout mystique, exaltant, une conviction et une détermination à toute épreuve, a simplement créé ex nihilo rien moins qu’un Etat-nation dans des conditions presqu’impossibles. On y lira l’attachement de Moktar à la dignité et à l’Honneur (ceux de son pays, de l’Afrique, les siens) quel qu’en fut le coût, la ténacité, le sens élevé de l’Etat, l’habilité et la subtilité du diplomate-né, la défense infatigable des causes justes et, sous-tendant tout cela, une probité morale que l’écrasante majorité des mauritaniens douteraient qu’elle existât vraiment encore en ce bas monde. Qui le leur reprocherait en voyant ce qu’il est advenu de ce pays depuis bientôt trente ans ? Oh, ai-je mentionné le goût de Moktar pour la musique classique ? Son sens de l’humour qui le servit souvent si bien ? « Dieu et l’Argent » Par les temps qui courent, une relecture opportune de La Mauritanie Contre vents et marées amènerait à s’attarder sur le chapitre14 intitulé « Nul ne peut servir deux maitres, Dieu et l’argent ». N’est pas prémonitoire pour une République si se veut ‘Islamique’ ? Dans ce chapitre Moktar expose sa conception de la chose publique et son aversion pour la malversation et la corruption, ces « deux calamités » (son expression) qui gangrénaient et gangrènent encore tant d’Etats du tiers monde. On y lit ce qui pour lui allait de soi : Le responsable « doit non seulement éviter, mais aussi combattre énergiquement la corruption sous toutes ses formes : matérielle et morale » (p. 497). Plus loin, « …j’ai toujours refusé d’avoir une solde exorbitante, à cause de la pauvreté du pays et de l’immensité de ses besoins » (pp. 413-14). Moktar relate aussi le soin appliqué qu’il mit, malgré les soucis financiers dans lesquels lui et sa famille se sont constamment débattus, à verser au trésor public les milliards de Francs (et bien quelques millions de dollars) de cadeaux personnels (parfois en argent liquide) qu’il recevait de ses collègues africains et arabes (pp. 417-418). Si bien qu’après 21 ans de pouvoir, Moktar quitta le pouvoir avec, pour tous biens, une modeste villa construite sur prêt bancaire et une modique somme, en Ouguiya bien sûr, dans l’unique compte bancaire qu’il possédait. Imaginable, aujourd’hui ? Et Moktar de conclure, « Malgré les inconvénients de la pauvreté, je suis heureux et fier d’avoir quitté le pouvoir presque aussi pauvre que lorsque j’ai commencé de l’exercer » (p. 419). Il est à l’honneur des colonels (l’opposition en treillis pour ainsi dire) qu’ils ne se sont jamais laissés aller à accuser ce marabout (ou son épouse) de corruption. Et qu’avons-nous aujourd’hui en Mauritanie, symbolisant le « pouvoir et l’opposition » ? Selon l’excellente analyse de Moussa Ould Abdou (voir, http://lecalame.info/?q=node/6134) [1] il s’agirait simplement de deux cousins qui, ayant réussi leur coup, se chamaillent sur la répartition du butin. Dans notre cas, le coup (d’état) réussi n’était rien moins que de faire dérailler la démocratie mauritanienne dont le fragile train avait à peine quitté la gare en 2008. Ce sont donc les principaux complices de cette forfaiture (et leurs seconds couteaux) qui s’étrillent maintenant en conséquence de leur différend sur le partage du butin que représentent les richesses de pays. S’il fait maintenant figure de victime radioactive (même pour les bien intentionnés), et même après avoir fait apparemment œuvre utile avec la fortune amassée grâce à la bienveillance de Taya et des siens (ce qui a son prix), et même fondé un institut pour lutter contre la corruption en Afrique (un peu sur le tard, non ?), M. Mohamed Ould Bouamatou n’a pas ma sympathie.(Sympathie que bien sûr il ne la sollicite ni n’en a besoin, je le sais). Il aurait dû songer à la massive corruption morale qu’a constitué son soutien à son putschiste de cousin à réussir son coup et ensuite le financement à coup de milliards d’Ouguiya de sa légitimation contre le processus démocratique dans son pays. Certains appelleraient ce qui lui arrive « tezaboutt », d’autres « Karma ». Peut-être bien que, après tout, certains péchés n’attendent pas l’au-delà pour être expiés ! Cependant, tout compte fait, M. Ould Bouamatou et son adjoint pourraient bien être l’équivalent financier des « cavaliers du changement » qui ont signalé le début de la fin du régime de Taya : Quoi de plus naturel pour le régime de Aziz, notoire pour son interminable série de scandales financiers. Mais Comparons donc! Mais revenons à Moktar. Qui peut, ne serait-ce qu’un instant, imaginer le millième de ces scandales arriver avec Moktar aux commandes ? La voix de Moktar donnant des instructions à des acolytes de puiser dans une malle d’argent (de faux billets ?) pour sceller quelque manigance financière ? Moktar accusé de transformer le pays en une gigantesque mangeoire où tout va au profit de sa famille, de son clan, de sa tribu ? Les marchés de gré à gré à la pelle? La rumeur (même la rumeur seulement !) que la Première Dame Marième Daddah aurait été prise avec une fortune en devises destinées à faire des emplettes en France ? Please ! Pl-ease ! s’indignerait-on à Lusaka, Accra et Addis Ababa où Moktar était bien connu. C’est là, voyez-vous, la revanche de Moktar sur le 10 juillet. Sur les colonels. Sur les bidasses. Sur, un peu tout le monde ! Non pas que ‘revanche’ ait nécessairement fait partie de son vocabulaire. L’indignité ! La révélation de Marième Daddah que c’est presque dans l’indigence que se trouvait le premier Président de la Mauritanie lorsque son état de santé nécessita qu’il fût évacué à Paris, et que c’est la générosité d’un tiers qui lui permit de retourner en France dans des conditions décentes, ne devrait laisser indifférent, même aujourd’hui, tant d’années après son décès, le mauritanien, le plus blasé, le plus ingrat (voir https://www.youtube.com/watch?v=2BHdTnnz41o). Certainement pas tout mauritanien qui peut comparer l’étendue de la démesure, de la médiocrité, de la bêtise, de l’insanité, de la voracité, de la cupidité, de la …connerie qui caractérise les affaires en Mauritanie ces temps-ci, en fait depuis le 10 juillet 1978, d’une part, à la sagesse, la sobriété, la finesse, le méticuleux respect pour les deniers publics, l’incorruptibilité et autres qualités encore qui ont caractérisé Moktar et sa gestion de la chose publique, d’autre part. A cette appréciation et au vu du témoignage de Marième Daddah, on ne peut que ressentir une sourde rage, une indignation à faire hurler, et avoir un mauvais goût à la bouche toute la journée. L’attitude du colonel Taya, alors au pouvoir, toujours égal à lui-même, sous le poids incommensurable du complexe du ‘porteur’ du cartable de Moktar sous lequel il n’a apparemment jamais cessé ployer, était somme toute compréhensible. Et bien sûr, il était bien plus à l’aise en accueillant la dépouille mortelle de Moktar qu’à l’accueillir à la fin de son exil forcé, ou à lui consacrer une petite part du trésor public que lui et ses sbires dilapidaient alors à tour de bras. Mais quelle excuse Aziz a-t-il eue ? Lui qui, après s’être évertué (sans vergogne, aucune !) à récupérer son aura, tout aussi fidèle à lui-même, s’est acharné, sans état d’âme, avec une mesquinerie appliquée plutôt, sur la fondation Moktar Ould Daddah, la seule institution consacrée à le faire connaître, lui et son œuvre, à l’écrasante majorité des Mauritaniens qui sont nés après qu’il ait été renversé. J’ai toujours pensé et jadis écrit que le « Président Ould Daddah avait plus de vision, de clairvoyance, et d’amour pour son peuple dans son petit orteil » que, pris ensemble, tous les chefs d’Etat qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie depuis 1978. Et c’était en 1999 ! La relecture de son livre m’a conforté dans cette appréciation. La descente aux enfers de ce pays depuis 1978, et l’accélération marquée de la chute libre depuis 2008 en témoignent largement. Ni prophète, ni saint Ce grand Homme mérite largement la vénération et la reconnaissance éternelles de la patrie. Peut-être bien qu’un jour, un chef d’Etat plus digne, et reconnaissant de ce que ce pays lui doit, saura, finalement, solennellement, lui rendre son dû, pour ce qu’il a incarné de probité, de sincérité, et de dignité, de grandeur d’âme. Peut-être bien qu’il (ou elle !) s’inspirera de ses qualités dans sa gestion des affaires. Et peut-être bien qu’elle saura, finalement, surmonter cette aversion ‘épidermique’ à s’inspirer de certains de nos voisins du sud comme le Mali, la Guinée ou le Ghana dont les dirigeants ont su faire une place d’honneur et de dignité à leurs ‘pères fondateurs’ bien que ceux-ci, comme Moktar, aient été renversés par leurs propres troufions iconoclastes (voir, par exemple, pour le Ghana, l’hommage du Président Mahama à Kwame Nkrumah: http://citifmonline.com/2017/09/21/mahama-eulogizes-ghanas-founder-kwame...). Cependant, comme il l’a écrit, Moktar ne se considérait, et n’était pas un saint (mais, bon Dieu, comparé à qui ?). Je demeure convaincu que ce qu’il appelle avec tant de sincérité et de conviction « la guerre de réunification nationale » fut en réalité une tragique faute politique. Celle-ci a résulté de sa conception de la Mauritanie (certainement un aspect prépondérant de cette conception) qui lui a fait revendiquer le Tiris el Gharbia, et pas la rive gauche du fleuve Sénégal, ou l’Azawad malien, par exemple. Cette revendication était à rebours des principes (droit des peuples coloniaux à l’autodétermination (la vraie !), respect des frontières héritées du colonialisme) qui lui ont permis, en plus de ses propres qualités, de triompher (le mot n’est trop fort) de l’expansionnisme marocain. Après tout, c’est cette revendication qui, en plus de légitimer ce même expansionnisme marocain et à le parachever sur tout le Sahara Occidental, nous a valu l’avènement de la « Mauritanie des colonels » et tout ce que cette ère nous a apporté : Taya, Aziz, leurs politiques de gabegie boulimique, le renversement de l’échelle de valeurs de notre société, le racisme d’état institutionnalisé, et j’en passe de nettoyage ethnique, de ‘génocide biométrique’. Ne parlons pas de la récente tragi-comédie référendaire et de ses conséquences potentiellement désastreuses. Mais c’est là un débat pour un autre jour. En attendant, Maitre, reposez en paix et, selon votre si belle formule à laquelle même « Si Boumediene » a eu droit, et qui s’en étonnerait de votre part : Que Dieu ait votre âme et qu’Il vous enveloppe de Sa miséricorde. Amen. Prof. Boubacar N’Diaye ________________________________________ [1]Pour une analyse des coups d’état de 2005 et 2008 en Complément de son analyse, lire aussi le chapitre de la Mauritanie, ses colonels et moi (Edilivre, 2015), intitulé, “Main basse sur un pays.”
Soucieux de moderniser Nouakchott et d’en faire une ville un tant soit peu viable, le gouvernement a décidé de débloquer cinquante milliards d’ouguiyas MRO. Plusieurs départements ministériels sont concernés par cette mise à niveau dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a tardé.