L’affaire dite « Ould Bouamatou et consorts » n’en finit pas de faire des vagues. Alors que les prévenus ont été, soit envoyés en prison, soit placés sous contrôle judiciaire, depuis près de quarante-cinq jours, l’instruction n’a commencé que mercredi dernier 11 Octobre. Les juges formant le pool chargé de la mener n’en semblent nullement pressés, bien que le Code pénal exige un procès rapide, lorsque l’accusé est placé en détention provisoire, lors d’affaires de corruption ( !!!!). Même si les charges sont légères et le dossier vide, ils auraient pu tenter, au moins, de sauver la face, en respectant un semblant de procédure. Mais il y a longtemps que notre justice n’essaie même plus de faire semblant. Elle est devenue une annexe du pouvoir exécutif qui l’utilise, à sa guise, pour régler ses comptes, envoyer en prison ou placer sous contrôle judiciaire. Le malheur est que les juges, qui disposent, au moins sur le papier, d’une certaine liberté de manœuvres, se retrouvent très souvent sur la même longueur d’onde que le Parquet. En fait, il est utopique d’exiger une quelconque indépendance de « notre » justice, quand les promotions, les nominations et les déchéances sont décidées par un Conseil supérieur de la Magistrature présidé par le chef de… l’Exécutif. Une bizarrerie mauritanienne, comme on en voit tous les jours.
Mais, bref, l’instruction sur le fond du dossier a donc commencé mercredi dernier. Et de quelle manière ! Premier à comparaitre, Mohamed ould Ghadda a été extrait de prison, menotté, conformément à une directive décidée… la veille. Une façon de l’humilier un peu plus. Mais le sénateur est teigneux. Placé, de force, dans la voiture qui l’amène au Palais de justice, il refuse de se mettre debout pour rencontrer le juge, tant que les menottes ne lui sont pas retirées. A 17 heures et las d’attendre, le magistrat reporte la séance au lendemain 10 heures. Le jeudi, c’est donc un sénateur libre de ses mouvements mais en grève de la faim, pour protester contre ses conditions de détention, qui se présente devant le pool. Ce sera, ensuite, au tour des autres sénateurs, des journalistes et des syndicalistes de passer sur le gril dans les prochains jours. Ils seront, soit envoyés en procès, soit libérés de toutes charges. De longues journées en perspective, pour des prévenus qui se demandent toujours par quel « miracle » a-t-on pu les accuser de la sorte et entraver leur liberté de mouvement, alors que les charges retenues contre eux prêtent à sourire. Leurs avocats ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en qualifiant l’affaire de « mascarade », montée de toutes pièces, pour faire payer, à certains, leur insolence et leur liberté de ton. Human Rights Watch s’est aussi jointe au concert de récriminations. L’organisation internationale non-gouvernementale, qui plaide en faveur des droits humains et a partagé, en 1997, le prix Nobel de la paix, en tant que membre fondateur de la Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnelles, a publié un communiqué dénonçant l’arrestation du sénateur, « sur la base de vagues accusations de corruption » et la mise sous contrôle judiciaire de sénateurs, de journalistes et de syndicalistes, « dans une affaire qui consiste davantage à museler l’opposition au Président qu’à rendre justice ». D’autres ONG, des Etats et des organisations de syndicats et de journalistes ont, à leur tour, dénoncé une cabale qui ne dit pas son nom. Ce qui n’a pas manqué d’hérisser notre guide éclairé, si convaincu du caractère providentiel de ses humeurs et de ses antipathies. Mais d’hérissements en déchirements, de rectifications en providences, d’antipathies en haines, vers quel effondrement un tel égocentrisme maladif mène-t-il la Mauritanie ? Ce n’est pas seulement qu’on en soit obligé de dire, à l’entrée des juges au prétoire, « Messieurs, mesdames, la Cour des miracles ! », c’est que ces miracles, s’accumulent… avant que les miraculés ne se décident, enfin, à balayer la cour de ses abracadabrants éclairages présidentiels ?
Ahmed Ould Cheikh