Samedi 30 Septembre, le régime mauritanien n’allait pas être à la fête à Dakar. Ce jour-là, en effet, le président de l’ONG Sherpa (spécialisée dans la traque des biens mal acquis) comptait présenter, lors d’une conférence de presse organisée par le président d’IRA, Biram Ould Dah, le rapport de son organisation intitulé « La corruption en Mauritanie, un gigantesque système d’évaporation ». Mais les autorités sénégalaises, qui gèrent leurs relations avec la Mauritanie avec une extrême prudence, n’ont pas voulu prendre le risque de froisser l’homme fort de Nouakchott dont les nerfs paraissent à fleur de peau, depuis sa dernière déconvenue sénatoriale. Elles ont préféré interdire la conférence de presse conjointe. Une réaction surprenante de la part d’une démocratie et une décision regrettable venant d’un Etat qui a toujours été une terre d’accueil. Malgré cette interdiction (une mesure qui ne grandit pas ses auteurs), le rapport accablant de l’ONG a été, quand même, envoyé à la presse et son impact n’en a été que plus grand. Etabli en 2013, il a été mis à jour cette année, avec un seul constat : « la situation n’a fait qu’empirer, les spoliations se sont accentuées, alors même que le pays traverse une période difficile, depuis la chute des prix des minerais de fer. Les ressources publiques continuent à être détournées par le clan au pouvoir ». Un constat qui résume, parfaitement, la situation que nous vivons depuis un bien triste 6 Août 2008 tuant, dans l’œuf, notre embryon de démocratie. Depuis, c’est la prédation à grande échelle. Un clan a fait main basse sur le pays et ses ressources. Une situation extrêmement grave et aux conséquences imprévisibles que dénonce Sherpa. Bien documenté et chiffres à l’appui, le rapport de l’ONG revient, avec force détails, sur la mise à sac de l’Etat et de ses ressources. Il évoque, d’abord, la malédiction des ressources minérales dont les prix ont connu une flambée, entre 2010 et 2014, qui a si peu profité au pays, seulement à des chanceux « bien nés ». Il dresse, ensuite, la liste des marchés de gré à gré conclus au profit des mêmes, sans aucun respect pour les procédures, comme l’aéroport international de Nouakchott, la centrale électrique duale (attribuée à la société Wartsila dont l’offre était pourtant la plus chère), des marchés « bien souvent conclus au mépris de l’intérêt général », note le rapport. Et d’épingler, dans la foulée, le programme Emel 2012 qui coûta des milliards, pour un résultat plus qu’aléatoire, sommet, parmi tant d’autres, hélas, de la mauvaise gestion et du pillage des finances publiques, au grand dam des institutions financières internationales.
C’est donc un énorme pavé dans la mare que vient de lancer cette ONG. Il aurait pu être plus complet, si l’on y avait ajouté un petit paragraphe sur la justice. Ce bras vengeur du pouvoir exécutif a perdu toute crédibilité. Désormais utilisée pour fabriquer des dossiers de toutes pièces et régler des comptes, elle a perdu son indépendance et n’est plus que l’ombre d’elle-même. Sinon, comment expliquer qu’on puisse placer, sous contrôle judiciaire, douze sénateurs, quatre journalistes et deux syndicalistes, pour la simple allégation qu’ils furent aidés par un mécène ? Comment comprendre qu’à part les petits dealers, aucun gros bonnet du trafic de drogue ne croupit actuellement en prison ? Ils ont pourtant été arrêtés, parfois la main dans le sac. Par quel miracle dix kilos de cocaïne, saisis récemment, se sont-ils transformés en ciment blanc ? Blanchissez, blanchisseurs, mais craignez qu’une fois pris, le ciment ne vous fixe à la merci du peuple qui vous demandera, tôt ou tard, des comptes…
Ahmed Ould Cheikh