Le Calame : Après avoir été président du Burundi, Haut représentant de l'UA et Médiateur de la Francophonie, pourquoi êtes-vous candidat au secrétariat général de l'OIF ?
Pierre Buyoya : Ma candidature, c'est d'abord la candidature de mon pays par la voie de son président. Ma décision personnelle n'est intervenue qu'après une longue période de réflexion. La francophonie aborde une étape importante de son développement après les mandats réussis de Boutros Ghali et du Président Diouf qui en ont fait une grande organisation internationale en lui faisant jouer un rôle politique dans la prévention et la résolution des conflits, la démocratisation des jeunes Etats africains et la défense des droits de l'homme. Depuis la fin de mes mandats de Président du Burundi en 2003, j'ai servi aussi bien la francophonie que l'Union africaine dans leurs missions de paix et démocratisation : de la Mauritanie à la Centrafrique en passant par le Soudan, le Cameroun et le Mali... Sans doute que mon bilan à la présidence de mon pays et mon investissement au sein de la Francophonie et l'Union africaine ont pesé dans la décision de candidater au secrétariat général de la francophonie que j'ai toujours servie.
Justement certains pays vous reprochent les conditions d'accession au pouvoir dans votre pays ?
Tous les pays du monde ont connu des périodes exceptionnelles. J'ai accédé au pouvoir dans des périodes de crises exceptionnelles dans mon pays. Mais ce qui compte vraiment, ce n'est pas plus comment on accède au pouvoir que ce que l'on fait du pouvoir et surtout la façon dont on quitte le pouvoir. Or, mes deux mandats de président du Burundi se sont terminés par une restitution démocratique et pacifique du pouvoir. En 1993, j'ai reconnu la victoire de mon adversaire au terme d'un processus démocratique que j'avais initié et abouti. En 2003, j'ai transmis la présidence à mon vice-président conformément aux ''Accords d'Arusha'' que j'avais aussi initiés et appliqués pour sortir mon pays de la pire crise de son histoire. Là aussi, je pense que mon bilan à la tête de mon pays parle pour moi. J'avais pris le pouvoir pour servir mon pays mieux que tant d'autres qui y ont accédé plus ou moins démocratiquement. Depuis, j'ai participé à la construction et la promotion du dogme démocratique de l'Union africaine et j'ai présidé les médiations de la francophonie dans toutes les transitions démocratiques du continent sans avoir jamais entendu quelqu'un me reprocher mon accession au pouvoir. Ni au sein de la francophonie, ni au sein de l'UA, ni au sein des Nations unies.
La francophonie a-t-elle besoin d'un ''homme fort'' pour utiliser la formule d'Obama à propos de l'Afrique : les pays du Nord ne préfèrent-ils pas un agneau plutôt qu'un indomptable à la tête de l'OIF ?
Les candidatures seront examinées par le sommet des chefs d'Etat. Je ne veux pas m'enfermer dans ses raisonnements polémiques. On a vu un peu partout que la défaillance des leaders conduit souvent à la faillite des pays. Si l'homme fort est celui qui est capable de faire avancer son pays et son organisation, nous avons besoin d'hommes forts. Pour faire avancer le Burundi de l'époque, on avait besoin d'homme fort parce que la tâche était gigantesque car nous jouions une partie risquée et non une partie de plaisir. J'étais combattu par les extrémistes du camp adverse et les extrémistes de mon camp qui pensaient que j'étais en train de les vendre. Comme l'Afrique qui est immense sur le plan social, culturel et physique, l'OIF, l'UA et l'ONU ont toujours besoin d'hommes d'autorité qui ont déjà fait leurs preuves. Mais un homme d'autorité doit se définir par ses capacités de conduire une organisation à sortir de situations difficiles et faire les progrès nécessaires. Au Burundi, j'ai affronté les rebellions. On peut espérer qu'à la tête de la francophonie, les rebellions me seront épargnées.
Propos recueillis par Cheikh Touré