Apres Atar, Nouadhibou, les festivités du 28 Novembre se dérouleront à Kaédi. Une décision républicaine, historique, qui fait suite à la volonté du chef de l’Etat de les délocaliser dans les wilayas, depuis quelques années. Kaédi, la capitale du Gorgol, sera donc l’hôte du pays, du Président, de son gouvernement, bref, l’hôte de tous ceux qui veulent, à la faveur du temps, magnifier cette date référentielle de l’accession du pays à la souveraineté internationale. Un pays qui vient de loin, au regard des turpitudes de la géopolitique nationale et internationale, caractérisée, d’une part, par les velléités, nourries par le voisin marocain Hassan II, de parachever son rêve de « Royaume du grand Sahara » et, d’autre part, par les courants politiques internes, très diversement orientées. Nonobstant ces aléas et comme pour ne pas vivre à la périphérie de sa propre existence, le pays s’est donné, ce jour, une identité et une reconnaissance, sous la plume de feu Moctar ould Daddah, sous la tente, dans le désert.
Avec cette perspective, heureuse, pour la ville de Kaédi, qui lui confère, tout au moins, le sentiment d’appartenir à la République, la ville à la riche histoire politico-économique se prépare à dépoussiérer sa renommée et renouer avec ce qu’elle fut, par le passé : terre des grands évènements. Foyer d’intenses activités politiques, avant et après l’indépendance, l’ex-quatrième région a vu défiler, en effet, sur son sol, sous le magistère de son premier maire et ancien président de l’Assemblée nationale, feu Youssouf Koïta, en tandem avec son alter ego, feu Samba Hamady Diagaraf, les présidents Ahmadou Ahidjo du Cameroun, Omar Bongo du Gabon, François Tombalbaye du Tchad. De quoi bien remuer l’histoire, la belle histoire de cette ville qui compte bien renaître, à l’occasion de la fête nationale, de ses cendres. Par son rôle historique, entretenu et géré par des hommes politiques qui ont incarné et bâti la Mauritanie plurielle, par leurs actions et la justesse de leur vision prospective, Kaédi –partant, l’ensemble du Gorgol –a su épouser toutes les dimensions sociales, au point d’être qualifié de « Mauritanie en miniature ». Loin de relever de la chimère, cette constante tire sa légitimité politique et historique des règnes, sur le perchoir, de feu Youssouf Koïta, feu Mamoudou Samboly et Dah ould Haïba. Elle en dit long sur la gestion citoyenne, singulière, de la chose publique en ce terroir multiculturel qui avait fait, du respect de chaque entité, un sacerdoce, loin des clichés et des préjugés qui ont pignon sur rue de nos jours.
Entente stratégique
Au-delà des avis et des contradictions que porte chaque politique, selon son camp, il n’en demeure pas moins que la capitale du Gorgol fut et demeure un centre de production de cadres qui ont participé et participent, activement, à la construction de la nation mauritanienne, en fer de lance d’une jurisprudence politique qui a forgé l’esquisse d’un schéma de gouvernance dépassant les clivages ethnico-communautaristes. Même si des survivances d’intolérance occupent le terrain, le style politique des anciens, caractérisé par une entente stratégique de bon aloi, continue d’animer la conscience collective des Gorgolois qui ne cessent de penser et de repenser, avec cette dose de nostalgie mêlée de regret, les actions et réalisations socio-économiques de feu Youssouf Koïta et de tous ceux de sa génération. N’est-il donc pas impardonnable de nier la dynamique historique insufflée par feu Ba Abdoul Aziz, au temps du Parti du Peuple Mauritanien (PPM), ou, faute de reconnaissance, ranger, au cimetière de l’oubli, les hommes de valeur comme feu Sidi Mohamed Diagana dont l’exemplarité, dans les ministères régaliens de l’époque, constitue un cas d’école pour la promotion de la bonne gouvernance tant aujourd’hui exaltée ? S’il est clair que la marche d’une nation nourrit ce paradoxe, presque viscéral, de porter en martyrs certains de ses enfants, pour avoir défendu des convictions en compétition avec celles des tenants du pouvoir, jamais l’on ne saurait ensevelir le combat de Tene Youssouf Guèye, ce fils-martyr qui tant magnifia, par la plume et l’action, l’engagement, au point de se porter en sacrifice, loin de son « royaume d’enfance » de Dimbé, pour faire, de Oualata, sa sépulture, pour la perpétuation du vivre ensemble.
C’est dire, aujourd’hui, que notre histoire nous rattrape et nous interpelle sur la marche à suivre, pour sauver la région. Au-delà des politiques, d’autres hommesde valeur nous en indiquent le chemin, à l’instar de Baliou Kaba, dit M’paly, dont le nom résonne au-delà du Fouta, pour avoir été le pionnier dans le commerce et le transport depuis les années 1950. Consolidant cette dynamique, d’autres fils et filles de Dimbé ont repris le relais, comme feu Silèye Banna, Fatou Niannankoro,Tijane Kaou,Tahara ou Sidi Amadou Diagana, qui ont eu à parcourir les contrées du pays, sur des pistes dangereusement difficiles. Par leur talent de négoce et leur sens élevé du devoir citoyen, les hommes d’affaires ont sacrifié leur vie à la renaissance de Kaédi qui constituait, déjà, un pôle économique indéniable. De leur imagination fertile, doublée d’une anticipation hors pair, naquit la Société Kaedienne d’IMport et d’EXport (SOKIMEX) où les frères Mahamadou et Bakary Semega et les frères N’Diadé, pour ne citer que ceux-là, ont montré la voie d’une possible intégration économique transcendant les origines, en faisant, de la mutualisation des moyens économiques, un créneau de développement durable. En termes d’infrastructures, le complexe frigorifique attenant au fleuve Sénégal, pour l’abattage et la commercialisation de la viande bovine, avec ses installations modernes qui lui permettaient de ravitailler les villes et pays frontaliers ; la tannerie qui transformait les produits de l’élevage ; l’aéroport qui accueillait les rondes de DC 4 dont chaque survol constituait un moment, intense, de la vie économique ; l’aménagement du débarcadère où les bateaux de la messagerie du Sénégal (Bou el Moghdad, Siné Saloum et autres) assuraient le ravitaillement des maisons de commerce (Maurel et Prom, Périssac, Dev et Chaumet, Nosoco) implantés à la lisière du fleuve : autant de réalisations qui faisaient, de Kaédi, une ville-carrefour et un centre économique dynamique. Force est de constater que cet envol prometteur a essuyé un coup d’arrêt, un coup de massue, au point qu’aujourd’hui, elle semble évoluer dans « l’avenir à reculons ». En cette veine du dynamisme d’alors, des grands commerçants, comme Moustapha ould Salem, Badjey Tandia, Sidi ould Kobad et autres Ould Hassidi, Baba Gallé Wone, Abdoulaye Touré, ont participé au rayonnement de la ville, avec des notables comme ould Meïssara, Samba Ndiabou, Ould Oboye ou Cheikhna Aliou Diakité. Dans cette effervescence politico-économique qui plaçait, déjà, la ville dans son rôle transfrontalier, des personnalités comme Basilèye Diagana, Lambourou Koudia, Kaourou Sylla, Bilal Opa Coulibaly, Youssouf Diagana le géomètre, Housseïn Bal le pharmacien, Kande Baradji –la liste est loin d’être exhaustive – ont tous joué leur partition de régulateurs sociaux pour que Kaédi retrouve la stabilité, préalable à tout développement. Même au plan de l’art et du sport traditionnel, l’excellence s’y invitait tout naturellement, avec la teinture que les mains expertes des femmes soninkés ont fait évoluer à l’échelle industrielle, en passant par le studio-photo de Seyba Kanté, photographe hors pair. Fief de créativité, oui, Dimbé l’était. Côté sport, les clameurs des arènes Ndiyam Diéri qui accueillaient les grands lutteurs comme Fodié Doussouba, star sénégalaise de la discipline, et le galop des courses hippiques, sponsorisées par feu Kaou Kaou Semega, un féru des chevaux, ajoutaient d’autres sonorités à cette harmonie que personne ne voulait rompre. Oui, l’harmonie, dans la distribution des postes politique et administrative, dans la convergence des efforts pour l’instauration de valeurs aux antipodes du confinement tribalo-ethnique et pour asseoir une véritable union sacrée, en cohérence avec les défis contemporains, voilà bien une source d’inspiration qui doit tenir en haleine les héritiers à faire bien et mieux.
Que des voix s’élèvent pour apprécier différemment la célébration du 28 Novembre, quoi de plus normal ? Mais cette opportunité ne devrait-elle pas constituer un prétexte solide pour que le Gorgol, de Kaédi, Doro Sow et Samba Manthita à Maghama, des Ehel Guèlaye à Mbout, de Mélaïnine ould Chrive à Housseïn Sakho, en passant par Egueilat de Yarba ould Ahmed Bannane, retrouve sa voie arc-en-ciel, pour se soustraire de cette macabre place, bien moins reluisante, de deuxième wilaya la plus pauvre du pays, après le Guidimakha. En attendant le Jour J, le bitume et le béton se conjuguent sur les axes principaux de la ville, pour lui arborer un nouveau visage.
S.Diagana
CP Gorgol