Il faut chercher la sève nourricière du système bancaire mauritanien actuel dans le démantèlement de quatre banques qui ont accompagné, jusqu’aux années quatre vingt, l’indépendance de la Mauritanie ; il s’agit de la Banque Internationale pour la Mauritanie (BIMA), filiale de la Banque Internationale pour l’Afrique de l’Ouest ( B.I.A.O. ), la Société Mauritanienne de Banques (SMB) , la Banque Arabe Africaine en Mauritanie (BAAM) dont le capital était détenu en partie par une banque égyptienne dite Banque Arabe Africaine Internationale, la Banque Mauritanienne pour le Développement et le Commerce (BMDC) au capital partiellement détenu par la Société Tunisienne de Banque.
Ces banques dont les dirigeants considéraient l’ entreprise comme un centre de production, un portefeuille de ressources et de compétences , appréciaient les apports vertueux de l’endettement à la croissance et au profit (voir partie 1) ont, vaille que vaille, contribué à l’émergence d’un entrepreneuriat d’une grande qualité concurrentielle dans le bâtiment et les travaux publics, dont les compétences vont franchir les frontières mauritaniennes, ainsi que le savoir-faire et l’expertise s’exporter comme des produits performants dans la sous-région et même au-delà ; ces banques n’hésitaient pas à soutenir les entrepreneurs, dont l’ambition n’avait d’égale que la probité ; à les soutenir dans leur quête de capitaux en vue de la réalisation de chantiers titanesques (barrages, routes , ponts…) grâce notamment à la mise en place d’une cascade de garanties croisées et de facilités de paiement permettant la sauvegarde des intérêts de tous les intervenants, chacun trouvant son compte au bout du processus de financement : banque, autorités contractantes, opérateurs.
Bonne réputation
L’import-export connaîtra une expansion sans précédent grâce aux produits d’une industrie bancaire qui, bien que basiques en la matière, facilitaient les opérations avec l’étranger par le biais de la mise à contribution de sociétés d’assurances de réputation internationale, dont la société Coface, qui garantissaient la sécurité du crédit et sa mobilisation pour la réalisation d’opérations commerciales complexes et de grandes envergures , menées à bonne fin dans des conditions optimales, à travers ciel, terre et mer ; les opérateurs privés mauritaniens bénéficiaient d’une bonne réputation internationale et d’un capital confiance, qui permettaient d’alimenter le marché de manière soutenue, avec des produits de toutes sortes, en quantité et en qualité ; cette confiance était suffisamment illustrée par la pratique quasi-courante de la technique de paiement dite de remise documentaire , gage de la solvabilité des importateurs et de la relation privilégiée que ceux-ci, en toute sérénité, entretenaient avec leurs banquiers ainsi que leurs partenaires au-delà de la Mauritanie.
Ces banques n’hésitaient pas non plus, à faciliter l’accès aux financements de toutes les activités de nature à répondre à une demande solvable, et dans certains cas, à mettre à la disposition des investisseurs, crédit et ingénierie bancaire de haut niveau, sur la base de modèles d’affaires ou « business plans » qui mobilisaient l’expertise d’équipes performantes, dont les conclusions ne souffraient d’aucune complaisance, l’arbitrage sur l’opportunité de soutenir ou non tel ou tel investissement se faisant indépendamment des préférences individuelles, loin de tout critère subjectif , mais plutôt, au moyen de puissants outils d’analyse, permettant une répartition soutenable des risques et une comparaison rigoureuse des coûts et des bénéfices associés à l’investissement projeté ; les ressources humaines étaient d’une grande qualité, les recrutements se faisant à des niveaux académiques assez élevés, avec une immersion immédiate des nouvelles recrues dans leur environnement de travail ; des plans de carrière permettaient aux employés d’envisager l’avenir avec quiétude , et grâce à une formation continue, judicieusement financée, la qualité du service s’améliorait à vue d’œil.
Dépossession pure et simple
A partir des années quatre vingt, le démantèlement de ces banques va freiner net le financement de l’économie par la voie bancaire.
Ce démantèlement prendra la forme d’acquisitions soigneusement dissimulées sous le titre ronflant de fusions par absorptions, sauf que le patrimoine de la banque absorbée n’est transféré à l’entité absorbante, qu’en ce qui concerne l’actif ; il s’agissait en réalité d’une forme de concentration dévoyée à caractère répressif, dont l’objectif était de transférer la propriété des banques de l’époque, par le biais de mécanismes débouchant sur une dépossession pure et simple du patrimoine de la banque cible, au bénéfice de l’entité absorbante. En effet, on ne trouve aucun traité sur ces opérations, exposant les motifs et les conditions des fusions envisagées , étayant de manière précise un rapport d’échanges entre les actions de la banque absorbée et celles de la banque absorbante, et relatant in fine les modalités de fusion proprement dites ( dates, échéances, enregistrement comptable….). C’est la même approche qui a été retenue lors du démantèlement, à cette même période, de la société mauritanienne d’assurance et de réassurance, dite SMAR, dont les biens d’exploitation ainsi que le patrimoine financier ont été transférés à une entité privée contre une Ouguiya symbolique, tandis que le passif pris en charge par le trésor public. Les nouveaux banquiers, d’anciens commerçants ayant pignon sur rue, vont donc se retrouver du jour au lendemain, à la tête d’un véritable empire financier, disposant de la sorte des biens d’exploitation des banques défuntes, mais aussi de toutes leurs créances, valeurs mobilières et disponibilités financières.
De tout ce patrimoine, le portefeuille créances clients sera celui qui focalisera le plus l’intérêt des nouvelles banques qui, au-delà, vont bénéficier d’une législation sur mesure, avec un privilège de juridiction doublé d’une procédure sommaire de recouvrement de leurs créances présumées (voir partie 1). Ces banques vont donc privilégier la réalisation de leurs portefeuilles créances, au détriment de tous les autres produits de l’industrie bancaire, dont l’emprunt.
Les nouvelles banques sont encouragées dans cette attitude par les exigences des programmes d’ajustement structurel, qui définissaient alors l’emprunt comme une source d’inflation qui dévalorise le prêt, son remboursement s’effectuant en monnaie dépréciée. Ces programmes considéraient également que lorsque l’accès au crédit est facilité, cela se traduit mécaniquement par un accroissement de la demande des biens de consommation sans qu’il n’y ait simultanément hausse de l’offre de ces produits, ce qui engendre une flambée des prix.
Les recommandations des programmes d’ajustement structurel n’avaient suscité aucune réaction hostile de la part des organisations patronales censées représenter les intérêts des entrepreneurs, alors même que les solutions préconisées ne quantifiaient pas la monnaie mise à la disposition des entrepreneurs par le système bancaire mauritanien, et ne pouvaient en conséquence, déterminer la part de cette quantité de monnaie dans le phénomène inflationniste réel ou supposé.
On est donc en droit de se poser bien des questions sur l’attitude des organisations patronales. Avaient-elles agi par collusion d’intérêts ou tout simplement par méconnaissance de la portée des solutions proposées ? Le même comportement avait été observé par le patronat lors de l’adoption de la législation sur le recouvrement des créances bancaires, malgré son caractère dérogatoire au droit commun et fortement préjudiciable au capital ; certaines voix libérales , dont l’auteur du présent article s’était fait le porte-parole, avaient à l’époque, dénoncé de telles mesures, tant celle sur la législation bancaire que celle concernant la restriction du crédit ; l’essentiel du plaidoyer développé alors, est repris par le site de CRIDEM sous le titre « Enjeux des défaillances bancaires » signé du même auteur.
‘’Encadrement du crédit’’
L’approche de l’endettement telle que préconisée par les programmes d’ajustement structurel va donc prendre la forme d’une macrodécision publique traduisant une option politique, débouchant sur une aggravation des conditions d’endettement dont la Banque Centrale se fera favorablement l’écho, sous le vocable pudique d’ « encadrement du crédit », qui se réalise à travers une envolée du taux de réescompte appliqué par la Banque Centrale avoisinant des proportions de l’ordre du quart du capital emprunté, dissuadant de la sorte tout investisseur de recourir à l’endettement ; ceci à côté de la technique de capitalisation du prêt devenue la règle (voir partie 1) et qui, au bout d’un certaine période, appauvrissait au propre comme au figuré, l’emprunteur.
Privés de tout recours à l’emprunt, les entrepreneurs vont se rabattre sur l’autofinancement dont la première des conséquences est de faire perdre à l’entreprise ses avantages concurrentiels et dont le caractère récurrent a des conséquences néfastes sur l’investissement, ses effets sur la croissance de l’entreprise étant de la ralentir dans un premier moment, avant de l’anéantir.
Le calvaire des entrepreneurs ne va pas s’arrêter là ; il va se poursuivre, car ils subiront de surcroît et de plein fouet, la concurrence des nouvelles banques dont les domaines d’activités stratégiques n’ont pas de frontières ; on les retrouve dans l’agro-business, l’industrie halieutique, l’immobilier, le tourisme, le système éducatif privé, et même pour certaines dans la distribution, reproduisant de la sorte un cas typique de « stratégie corporate » par diversification, propre à la logique de groupe, avec autour de chaque banque, un ensemble d’entités satellites qui bénéficient de manière prioritaire, si ce n’est de manière exclusive, en tous les cas de manière diligente et privilégiée, des services prodigués par cette banque. De surcroît, et comme pour maintenir leur position dominante, ces banques vont développer et entretenir un comportement propre aux groupes stratégiques, adoptant des postures similaires, ayant accès à des ressources similaires, optant pour le même positionnement.
A l’égard de ces entités, grossièrement dissimulées sous forme de sociétés écrans, les banques se comportent comme de véritables institutions de placement, rémunérant leurs dépôts, facilitant leur accès au crédit, leur prodiguant conseils et assistance ; les banques détiennent la majorité du capital de ces sociétés, si ce n’est son intégralité, et toutes ces entreprises obéissent à un centre de décision unique, la banque, qui donne les impulsions, définit leur politique générale et exerce sur elles un pouvoir systématique de contrôle ; de quoi entacher et altérer profondément la lisibilité même du métier de banquier, dont le comportement devient identique à n’importe quel acteur du marché qui cherche à se diversifier pour se mettre à l’abri des risques inhérents à tout investissement.
Or, quand on contrôle la création de la monnaie, comme c’est le propre de toute banque , quand on a pour rôle d’alimenter l’économie en moyens de paiement, comme c’est le propre de toute banque aussi, d’orienter les flux monétaires vers les agents qui en ont le plus besoin, comme c’est le propre de toute banque, on ne doit pas opter pour une « stratégie corporate » par diversification, à caractère conglomérale de surcroît, stratégie au vu de laquelle, les activités visées n’entretiennent aucune synergie avec le métier d’origine, comme le font certains groupes qui sont présents dans des domaines très différents ; le transport aérien, ferroviaire, la téléphonie, les sodas, les médias, l’internet, l’électroménager, le tourisme spatial, l’imagerie médicale …etc.
Le cœur du métier de banquier étant de prêter aux agents économiques, notre système bancaire devrait centrer toutes ses ressources et compétences dans un seul domaine d’activité stratégique, celui de la banque, développer des activités qui ont des points communs, qui entretiennent une synergie avec le métier de base qu’est celui de banquier, opter pour une stratégie de croissance qui se fonde exclusivement sur les produits de l’industrie bancaire, mise au service de l’économie réelle, car c’est précisément pour avoir dévié de cette trajectoire que nos banques ont perdu leur vocation première qui consiste à faire crédit, à centraliser les capitaux disponibles pour les redistribuer, dans le seul souci et avec comme seul et unique objectif, de financer l’économie.
Aujourd’hui, on peut regretter que la réticence des banques à soutenir l’économie réelle se soit renforcée , et que la méfiance des investisseurs vis-à-vis du système bancaire ne fasse que croître, ce qui explique qu’en Mauritanie, on constate de plus en plus, le recours aux banques de l’ombre ou « shadow- banking ». (à suivre)
* Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre