Au Kenya, la Cour suprême a invalidé le résultat de l’élection présidentielle du 8 août dernier et, partant, la réélection du président sortant Uhuru Kenyatta pourtant déjà proclamé vainqueur par la commission électorale indépendante. Pour les juges kenyans, des «irrégularités ont affecté l’intégrité de l’élection», qui «n’a pas été conduite en accord avec la Constitution». Le résultat de l’élection, ont dit les juges, «est donc invalide et nul», et un nouveau vote doit être organisé sous deux mois.
Commentant cette décision de la Cour, prise à une majorité de quatre juges sur six, le président Uhuru Kenyatta a dit : «Personnellement, je suis en désaccord avec la décision qui a été prise mais je la respecte».
En Mauritanie, en dépit du bourrage avéré des urnes, de l’embrigadement des personnels et fonctionnaires de l’Etat, de la fraude à grande échelle facilitée par les autorités administratives régionales et locales et même par certains membres de la CENI, les résultats du scrutin référendaire portant sur des amendements de la loi fondamentale, ayant déjà fait l’objet d’un rejet sans appel par le parlement, ont été, sans coup férir, validés le 15 Août, par le conseil de Sghaïr Ould M’Barek. Malgré la fraude à ciel ouvert qui a entaché le scrutin, malgré un grand nombre de flagrantes irrégularités dont des procès verbaux où le nombre de votants dépasse le nombre d’inscrits, le conseil constitutionnel mauritanien n’a rien eu à redire. C’est à peine s’il a reconnu avoir reçu des recours en annulation (présentés par certains électeurs) qu’il a dit rapidement avoir rejetés. Rien de plus.
N’ayant aucune illusion sur ce qu’est ce conseil constitutionnel ni sur ce qui peut être attendu de lui, Me Bettah, président de la Convergence Démocratique Nationale, seul parti de l’opposition à avoir choisi de participer au référendum en faisant campagne pour le Non, n’a même pas daigné présenter un recours en annulation !
Au Kenya, Raila Odinga, le rival du président sortant, qui avait dénoncé des fraudes et saisi la plus haute juridiction du pays, n’a pas été inquiété. Mieux, c’est lui qui pose les conditions de sa participation à l’élection bis et exige le remplacement de certains membres de la commission électorale indépendante dont la moralité lui semble douteuse.
En Mauritanie, c’est tout le contraire ! Tous ceux qui ont osé exprimer leur hostilité aux amendements constitutionnels sont sur la ligne de mire du pouvoir. Des Sénateurs, des journalistes, des syndicalistes et des hommes d’affaires ont ainsi eu maille à partir avec la justice du pouvoir. Celle-ci n’y était pas allée de main morte. Elle a distribué à tour de bras mandats d’arrêt, de dépôt et placements sous contrôle judiciaire. Tous ceux qui sont poursuivis dans le cadre de ce dossier dit «crimes transfrontaliers de gabegie» ont, en prime, été traînés devant la police et le parquet où certains parmi eux ont été retenus et interrogés toute une nuit.
Mais ce qui est le plus gênant dans tout ça, c’est que, dès le début, certains avaient prédit que le pouvoir des généraux allait sévir contre les sénateurs qui lui avaient administré un soufflet le 17 Mars 2017 en rejetant la réforme qu’il proposait. Il s’agirait donc de poursuites préméditées engagées, sinon pour trucider l’opposition du moins pour l’affaiblir et montrer à l’opinion que c’est, seul, le pouvoir qui a la haute main sur le pays.
Voilà, en gros quelques-unes des différences qui distinguent la Mauritanie du Kenya, s’agissant surtout du fonctionnement des institutions en charge du recours et de la gestion des périodes post-électorales. Mais, ce n’est pas tout, il y en a encore d’autres:
- le Kenya est une Nation qui a connu seulement deux présidents sur toute la période allant de 1964 à 1998 alors que nous on en a eu neuf. Le Kenya n’a jamais connu de coups d’Etat militaires alors que nous on a tendance à devenir le pays du million de putschs.
- le Kenya est la première économie d’Afrique de l’Est alors que nous, en dépit de l’immensité de nos richesses, nous demeurons sur le carreau.
Il reste qu’en dépit de ces différences, le Kenya et la Mauritanie demeurent tous les deux dans le besoin de plus d’apaisement et de paix sociale. Le président kenyan qui a dit respecter la décision de la cour suprême et ne s’en est pas pris à ses opposants semble en être conscient. Est-ce qu’il en est de même en ce qui concerne ceux qui nous gouvernent ? Les poursuites engagées, ces jours-ci, contre plusieurs segments de la société civile ne le laissent pas penser et n’incitent, en tout cas guère à l’optimisme.
Ely Abdellah