Encore une fois, si nos oreilles rapetissent, de jour en jour, c’est que, chaque jour, ces oreilles-là qui deviendront des oreillettes entendent quelque chose d’extraordinairement nouveau. Heureusement d’ailleurs, puisque certains d’entre nous ou parmi nous – je ne sais pas, « prenez l’un et laissez l’autre », disait quelqu’illustre – ont les oreilles extraordinairement longues. Et, à défaut de scie pour les raccourcir, le procédé des extravagances et des incongruités n’est pas mal. Spécialistes des nouveautés en tout genre, nous aussi spécialistes de l’amplification et de l’exagération à tout-va. Le tout mélangé à des considérations strictement personnelles, incapables de dépasser le bout de nos nez et d’aller au-delà de nos petites susceptibilités, souvent injustifiables et injustifiées. Non, attendez ! Je ne rentre pas encore dans le vif du sujet. Je refuse. Je disais que pour un rien, un oui ou non, c’est les inna llillahi we ina ileyhi raji’oun. Ça, c’est très grave. Le pays est foutu. C’est la guerre civile. C’est ceci, c’est cela et patati et patata. Pendant quarante-huit heures, les radios privées, la radio officielle, les télévisions nationales et privées, les sites d’information – Et Allah seul sait, dans Son Omniscience, combien ils sont ! – se relayaient sans cesse l’information : chaud, chaud, le congrès des FLAM ! Comme si ces FLAM qui sont revenus au pays depuis plus d’une année étaient tombés subitement du ciel. Comme si ces FLAM n’avaient pas été reçues, à leur retour, en plein jour, par des milliers de personnes, en plein cœur de Nouakchott. Comme si ces FLAM n’avaient pas été reçues, au moins deux fois, par la tête du pouvoir. Comme si, tout simplement, ces FLAM n’étaient pas des Mauritaniens, au même titre que ceux qui nous ont tympanisés, avec des réunions tribales, claniques, familiales et autres, pour annoncer le soutien, indéfectible et sans conditions, à X ould Y. Comme si ces FLAM n’ont pas le droit de faire entendre leur voix, via les idées qu’ils défendent. Ces voix « indignées », prétendument « soucieuses de l’intérêt général », jalouses de l’intégrité nationale, accrochées à l’unité sociale ne se sont guère fait entendre, à l’occasion d’événements beaucoup plus dramatiques et, de loin, plus dangereux et plus préjudiciables à la souveraineté nationale et à sa cohésion. Quelles furent les condamnations « indignées », lorsqu’en 1989, des milliers de citoyens mauritaniens furent, lâchement et sauvagement, assassinés, au pire, ou chassés, au mieux, de leur pays où ils ne retourneraient que vingt et un ans plus tard, dans des conditions plus que précaires ? Quelles condamnations « indignées », lorsque des Mauritaniens, dont des responsables de partis politiques, s’en sont allés prêter allégeance à un autre pays et à son guide ? Ce sont des choses récentes, particulièrement graves. Quelles condamnations indignées, quand des dizaines de milliers de citoyens ploient, encore, sous le crime abject de l’esclavage ? Voici des choses qui menacent, réellement, le pays. Pas des choses aussi banales qu’une réunion d’un groupe de Mauritaniens qui veulent fonder, ensemble, un cadre légal qui leur permette de participer, pacifiquement, à la vie nationale. En démocratie, chacun a le droit de penser librement. Si l’Etat est incapable de faire régner la justice entre tous ses citoyens, de prendre en charge le développement de toutes ses wilayas et de mettre en œuvre des politiques sectorielles, capables d’assurer de meilleures conditions de vie, les citoyens ont, à tout le moins, le droit de lui faire des propositions. Si l’Etat est incapable de gérer les différences de composantes de la Nation dont il prétend administrer le territoire, de profiter de ses spécificités et de « frapper sur la main » des négationnistes tapis dans l’ombre, les citoyens ont le droit de réfléchir à des compromis, à des solutions. Passer des jours et des jours à condamner un tel d’une telle communauté, pour avoir participé, à Nouakchott, au congrès des FLAM est ridicule. Alors que des délégations entières se déplacent, très loin du pays, pour assister à des rencontres de courants de toutes obédiences, y compris les plus négationnistes et les plus racistes.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».