Le Calame : Votre client, le sénateur, Mohamed Oud Ghadda a été arrêté chez lui par des policiers en civil. Avez-vous une idée de l'endroit où il se trouve et pourquoi il a été arrêté?
Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni : Une petite précision : d'abord il n'a pas été arrêté, il a été enlevé.
La nuance est de taille, l'arrestation est celle qui s'opère dans le cadre d'une procédure (interpellation ou mandat) opérée par une autorité identifiée sous le contrôle de la justice, en l'occurrence le procureur de la République et le procureur général près la cour d'appel.
L'arrestation ou l'interpellation est une procédure soumise à des formes, des délais, il s'agit d'une procédure légale qui garantit les droits notamment les droits de la défense, justement parce qu'elle s'effectue sous le contrôle d'un magistrat qui peut autoriser la visite de l'avocat par exemple... Le Conseil National des Barreaux de France a rappelé, par une Motion rendue le 23 septembre 2011, que le renforcement du rôle et de la présence de l'avocat dans la phase d'enquête de la procédure pénale est une garantie essentielle de l'Etat de droit et du respect effectif des droits de la défense.
Les systèmes juridiques tunisien, marocain et sénégalais veillent à ce que les personnes soupçonnées ou poursuivies aient accès à un avocat dans les meilleurs délais.
Contrairement à l'enlèvement, l'arrestation protège contre I ‘arbitraire en ce sens que la police qui interpelle ou qui garde à vue rend compte de sa procédure à l'autorité judiciaire de tutelle, assume les responsabilités quant aux abus qu'elle commet au cours de cette arrestation et en répond devant la chambre d'accusation,
L'arrestation se passe dans un Etat de droit et l'enlèvement relève de l'Etat policier ou des bandes, sans différence au surplus entre l'arbitraire de l'Etat et celui des bandes, l'arbitraire étant l'arbitraire.
Pour rappel, le droit international exige que " les détentions de personnes privées de liberté soient dans des lieux de détentions officiellement reconnus" quel que soit le crime qu'ils ont commis et quelle que soit sa gravité.
La Mauritanie viole ainsi la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées qu'elle a signée en septembre 2011.
En réponse à votre question, le sénateur a été enlevé par des individus non identifiés vers une destination inconnue, nous n'avons aucune idée de l'endroit où il se trouve ni pourquoi il a été arrêté
Le bâtonnier de l'ordre des avocats, dans une déclaration à la presse, a dit qu'il a été commis par le lieutenant qui a tiré sur le président à Tweyla pour porter plainte contre Ould Ghadda. Êtes-vous au courant de cette plainte?
Non je ne suis pas au courant de cette plainte. Par ailleurs en ce qui concerne ce lieutenant, le procureur de la République doit mettre en mouvement l'action publique pour l'application des peines relativement à son infraction qui n'est pas prescrite. A supposer que le président ait renoncé à l'action civile, ceci n'est pas de nature à arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique (art 2 du code de procédure pénale), celle-ci s'éteint par la mort du délinquant, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée.
Étant donné qu'aucune de ces conditions n'est réunie, le procureur doit poursuivre le lieutenant avant de traiter son éventuelle plainte,
En tout état de cause, si le lieutenant porte effectivement plainte, le procès sera celui de Tweyla et tous les détails seront sur la place publique
Si la plainte a été effectivement déposée, pourquoi n'a-t-elle pas suivi la procédure normale? Ne pensez- vous pas qu'on cherche à faire payer à votre client son engagement contre les amendements constitutionnels et dans certains dossiers sensibles?
Il ne fait aucun doute que le sénateur est aujourd'hui poursuivi pour ses positions politiques. Mais au delà de la question du sénateur, ce qui est en jeu, c'est l'Etat de droit et du coup les droits de tout citoyen
On assiste à une dérive dangereuse, l'administration et la justice sont mises à la disposition du pouvoir pour asseoir son régime et museler ses adversaires.
Ce que le dossier Ghadda doit mettre en relief, c'est que nous assistons à un recul démocratique inquiétant, le référendum à ravivé les anciennes méthodes qu'on croyait révolues (implication de l'administration utilisation des moyens de l'Etat, fraude et bourrage des urnes, répression des manifestants). Et voilà aussi qu'on revient aux détentions arbitraires, aux enlèvements, aux lieux de détentions secrètes, bref, des méthodes qu'on croyait révolues.
C'est ce que nous avons dénoncé et combattu il y a quelques années.
C'est ce qu'il convient de dénoncer avec force aujourd'hui et c'est l'affaire de tous les citoyens, chacun de nous est exposé au sort du sénateur ou celui de l'italien qui a été séquestré pendant des mois avant d'être arraché par son ministre.
Propos recueillis par AOC