Monsieur Moustapha Sidatt, notre honorable Sénateur, vous avez publié un article intitulé : Note sur le bien fondé du projet de barrage de Baghdade (Oued de Tidjikja) dans le calame relayé, ensuite, le 18 juillet 2017, par le site Cridem sous le lien suivant : http://cridem.org/C_Info.php?article=700995.
Dans cet article, vous débutez par une description détaillée des conditions lithologiques de la région de Baghdade, avant de passer par un long plaidoyer pour la mise en place du projet dudit barrage et concluez votre texte, en fin, par le rêve de la dynamique socio-économique nouvelle que le barrage est censé créer selon vous.
Monsieur le sénateur, vous avez rappelé, de passage, à vos lecteurs qu’une étude est actuellement en cours d’exécution et leur avez affirmé qu’«en attendant qu’elle soit achevée, il n’est pas approprié de juger pour le moment de l’opportunité de la faisabilité de cet ouvrage, ni de ses impacts sur l’activité socio-économique et sur l’environnement. » Pourtant, et immédiatement après, vous avez commencé passionnément une longue apologie du projet dévastateur dans laquelle vous avez mis à contribution tout votre talent d’orateur pour convaincre du bien fondé du projet et c’était, d’ailleurs, l’intitulé de votre note.
En tout cas, c’est votre affaire. En ce qui nous concerne, et après avoir lu votre texte nous pensons que les éléments de réponse suivants méritent d’être lus. Tout d’abord nous vous invitons, honorable sénateur, à réviser votre conception de certaines choses dont notamment le rapport de la ville de Tidjikja avec l’oued sur les berges duquel elle a été fondée en 1660.
L’oued, un patrimoine commun
Cette vallée est appelée depuis déjà très longtemps l’« Oued des ksours » dont Tidjikja n’est que l’un d’eux, mais, certes, le plus important. Et l’oued, étant un patrimoine commun et cordon ombilical dont dépend la survie des dizaines de milliers d’habitants, toutes modifications dans son système de drainage doit être l’objet d’une large concertation entre les parties concernées et suite à une étude comparative de ses différents impacts positifs et négatifs.
Je compte, ici, sur votre sagesse et votre bon sens et de ceux qui tiennent, coûte que coûte, à l’exécution de ce projet de ne pas tourner le dos à la vérité suivant laquelle le partage équitable des ressources en eau, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est une soupape de sécurité contre l’instabilité et l’un des éléments essentiels du maintien de la paix sociale. C’est que, dans toutes les jurisprudences du monde entier, se situer en amont d’un court d’eau ne confère nullement le droit de sa gestion unilatéral.
Toujours dans cet ordre d’idée et avant de passer à autre chose, permettez-moi de vous reprocher amicalement de ne pas observer la position impartiale que vous dicte votre fauteuil de sénateur de toutes les populations de la Moughataa de Tidjikja. En effet, en suivant la logique que vous avez exhibée dans votre article, tout nous laisse penser que ce qui vous compte c’est seulement l’offre de l’eau à la ville de Tidjikja et le reste ne vous concerne guère. Monsieur le sénateur, cet objectif est très important, certes, et mérite que l’on en fournisse tous les efforts possibles pour son atteinte mais la question ne se limite pas à cela. Il s’agit de créer les conditions d’un développement équitable pour toutes nos populations et non d’en consacrer un pan pour le développement d’un autre.
Pouvez-vous penser qu’anéantir toutes les populations du cours moyen et inférieur de l’Oued des ksours peut-il être un prix acceptable pour offrir l’eau à la consommation d’une autre partie de la population grande et importante soit-elle? Tuer pour faire vivre ? Cela peut-il être votre approche ? Si ce n’est pas le cas, ouvrez les yeux ! C’est, pourtant, bien le sens vers lequel vous orientez votre action, monsieur le sénateur.
Solution à trouver
Le bassin hydrographique ou le bassin versant est défini comme étant la région dont le cours d’eau rassemble ses eaux de ruissellement, de sa source à son embouchure, à travers un réseau d’affluents d’apports hydriques différents suivant les caractéristiques des terrains.
En ce qui concerne l’oued des ksours, le bassin se divise en deux parties, une partie amont, montagneuse, favorisant parfaitement le ruissellement, au sud et au sud-est de Baghdade, et une partie aval au nord et au nord-ouest ensablée, d’une grande capacité d’infiltration, d’inclinaison et de ruissellement faibles.
Dans la première partie amont, vous, qui êtes un grand connaisseur de la région, avez cité l’ensemble de ses affluents, chacun par son nom. Dans la partie aval, où il n’y en a que de petits ravins insignifiants et sans noms dans les parties accidentées vous avez parlé, par contre, de 6 affluents sans oser citer de noms inexistants.
Je voudrais dire, par là, que l’endroit choisi pour le barrage permet effectivement de retenir la quasi-totalité du volume des eaux de ruissellement de l’oued contrairement à ce que vous voulez nous faire croire dans votre article.
Autres choses encore, vous dites : « La réalisation de ces ouvrages apporterait du nouveau et bousculerait très certainement les habitudes… » D’accord ! Et vous dites encore que lesdits ouvrages « …sont d’une nécessité absolue pour sauver ce qui peut l’être des oasis et de la vie des populations » mais là non ! Nous ne sommes pas du tout d’accord ! Monsieur le sénateur, Tout peut être sauvé et doit l’être, mais avec une solution géniale qui reste à trouver, mais, qui n’est, certainement pas, celle-là. Vous dites, enfin, concernant les ouvrages que « …C’est une initiative d’intérêt général pour l’ensemble des villages de l’Oued, qui mérite d’être saluée et appuyée à juste dimension. »
Non ! Non ! Vous ne plaisantez pas, comme j’ai été tenté de le croire. Vous êtes un sénateur sérieux et l’affaire est trop sérieuse aussi. En tout cas, je vous respecte et je veux bien vous croire, mais comment dites-vous que la rétention définitive de l’eau dont dépend la vie des populations de Rachid ou de Taoujavet, par exemple, au niveau de Baghdade peut-elle servir leurs intérêts ? C’est comme si vous étranglez quelqu’un à mort et vous lui dites : ne vous agitez pas, ça sert vos intérêts. J’ai essayé d’être technique et d’éloigner mes sentiments, comme vous nous l’avez conseillé, mais malgré cela, je n’ai pas pu comprendre. Soyez charitable et expliquez-moi s’il vous plait !
Il est connu généralement que pour qu’il y ait de nappe phréatique, il doit y avoir une roche spongieuse reposant sur un lit imperméable. Les porosités de la roche spongieuse permettent l’emmagasinage de l’eau de pluie ou de ruissellement. Et, selon ce que vous dites dans votre article, monsieur le sénateur, les conditions ne sont pas, tout simplement, réunies pour la formation d’une nappe telle qu’elle est connue puisque vous parlez de 2 à 4 m de sable, surmontant 7 m d’argile, et l’ensemble repose sur un socle de grès peu altéré.
L’argile et le grès non altéré étant imperméables, la déduction qui s’impose de tout cela c’est que la solution ne passe pas par la rétention de l’eau de ruissellement puisque, de toutes façons, il n’y aura pas de nappe même en retenant l’eau de cette manière.
Bonnes intentions
Quant au projet de vente des eaux retenues dans le futur barrage et qui seront acheminées, par tuyauterie, aux villages de la partie se situant en aval de l’oued et que vous avez mentionnés dans votre article, nous n’avons pas compris aussi, au-delà de son côté lucratif pour ceux qui l’organisent, comment sert-elle l’intérêt des populations locales. Au contraire, nous pensons qu’elle ne fait qu’augmenter leur fardeau encore davantage.
Par ailleurs, je ne pense pas que vous êtes aussi déconnecté des réalités de la circonscription électorale dont vous êtes le sénateur de sorte que vous ignorez totalement les conditions dans lesquelles vivent ses populations.
Mais, si c’est le cas, ce sera dommage ! Sachez que la sécheresse de ces dernières années, même avec les ruissellements irréguliers de l’oued, le niveau de la nappe s’est considérablement rabaissé dans le cours moyen et inférieur de l’oued et son taux de salinité a monté à des degrés dangereusement élevés. Et que suite à cela, plus de la moitié des palmiers sont morts et les activités agricoles, pratiquées jadis, en sont devenues quasi impossibles eu égard à la concentration des sels.
Mesurez, s’il vous plait, l’ampleur des dégâts qui viendraient s’ajouter à ceux précédemment cités, si l’on retient définitivement les eaux de ruissellement de l’oued suite à la construction du futur barrage.
Même si l’initiative de la construction du barrage est celle des pouvoirs publics, comme vous dites, les intentions sont bonnes, sans aucun doute, mais des erreurs d’appréciation peuvent bien survenir et nul n’est infaillible. Notre rôle, nous intellectuels de la région, et surtout vous, ses élus, consiste à les éclairer en partageant avec eux les profondes connaissances que nous avons des conditions physiques et socio-économiques de notre région.
Monsieur le sénateur, nous n’avons pas de connaissance personnelle antérieure avec vous, mais, de par ce que nous entendons de vous, l’idée que nous avions eu de vous, est que vous êtes un homme charitable, qui ne veut que du bien pour ses concitoyens et sensible, sans doute, à tout ce qui les touche de malheureux. Et nous étions, à vrai dire, beaucoup surpris de la position que vous venez d’enregistrer à travers votre présent article au sujet de ce barrage.
Nous considérons, à juste titre, qu’une solution de disponibilisation de l’eau à la ville de Tidjikja quelle que soit sa pérennité et dont le prix est l’anéantissement de la vie d’autres dizaines de milliers d’individus ne peut être une solution acceptable. Et, nous vous demandons expressément de bien étudier ce sujet prenant en compte toutes les parties de son puzzle et de suivre, en suite, le bon conseil que votre conscience ne manquera pas de vous donner. Et nous avons le grand espoir de vous voir revenir à la raison et de s’aligner avec nous dans l’œuvre commune de la défense des intérêts vitaux de nos populations. A bon entendeur salut !
Sid Ahmed AHMEDJID