Le Calame : A en croire la CENI, Les Mauritaniens ont voté largement en faveur des amendements constitutionnels. Le Oui remporte à 85, 61% des votants, avec un taux de participation de 53,75%. Quels enseignements tirez-vous de ce scrutin et quelles en peuvent être les implications politiques ?
Moussa Fall : Je commencerai d’abord par vous dire que nous ne reconnaissons pas les résultats officiels tels qu’ils sont publiés et ce, pour de nombreuses raisons : Comme chacun le sait, nous avons prôné le boycott de ce referendum pour plusieurs motifs: D’abord parce que les reformes proposées n’étaient pas consensuelles et encore moins prioritaires ; Ensuite parce qu’elles ont été rejetées démocratiquement par une large majorité des sénateurs ; Et enfin parce que l’utilisation de l’article 38 est simplement anticonstitutionnelle.
De plus telle qu’elle a été menée, la campagne électorale a foulé aux pieds tous les acquis démocratiques en matière d’organisation des consultations électorales dans notre pays. Nous avons assisté à un forcing antidémocratique sans précèdent et scandaleux pour faire passer des réformes que l’on savait rejetées d’avance. Les hauts fonctionnaires de l’Etat ont été embrigadés souvent contre leur gré pour conduire cette campagne. L’argent public a servi à financer ces missions imposées. Les autorités administratives, dont le rôle devait être d’assurer la sécurité et l’impartialité des opérations de vote, se sont investies ouvertement en participant aux meetings électoraux et en usant de leur influence et de celle de l’Etat pour assurer le vote en faveur du oui. Comme dans les années des dictatures les plus sombres, les chefs de tribus, les notables traditionnels, tous ont été mis a contribution pour imposer des records dans leurs localités tant en matière de taux de participation qu’en matière de score en faveur du oui. Les partis politiques censés être les acteurs principaux dans les campagnes électorales ont brillé par leur absence. Le seul parti de l’opposition qui a appelé a voter non a été interdit de meetings et certains de ses représentants dans les bureaux de vote ont été molestés.
N’ayant pas participé à ce scrutin et n’ayant pas été représentés dans les bureaux de vote, nous ne pouvons accorder aucune crédibilité aux résultats que vous mentionnez. Ce que nous pouvons affirmer et que tous les observateurs indépendants, qu’ils soient journalistes ou simples témoins, est que les bureaux de vote étaient déserts aussi bien à Nouakchott que dans les grandes villes du pays.
Pour toutes ces raisons, nous affirmons que les résultats que vous mentionnez ne reflètent pas l’opinion librement exprimée des populations.
Les réformes issues d’un tel scrutin sont contestées et controversées. Elles seront inéluctablement remises en cause le moment venu.
Le drapeau national actuel symbolise notre accession à l’indépendance nationale, la création de notre nation autant d’évènements fondateurs qui font notre fierté. Nous n’y renoncerons pas en faveur d’un drapeau imposé par effraction en violation de notre Constitution et au mépris des règles démocratiques élémentaires. Un drapeau qui ne porte aucun symbole autre que le caprice et l’affirmation d’un pouvoir personnel et dictatorial.
Le combat mené par les sénateurs pour l’équilibre des pouvoirs et la défense de la constitution et des acquis démocratiques du pays a montré toute l’importance de cette institution. Avec ce combat, les Sénateurs et le Sénat sont entrés dans l’histoire de la conquête de la démocratie et des libertés en Mauritanie. Nous condamnons énergiquement les offenses proférées à leur encontre et continuerons à nous opposer à la disparition de leur honorable Institution.
La bataille n’est donc pas terminée. On peut dire qu’elle vient de commencer et qu’elle se poursuivra avec détermination.
Le front du refus, autrement appelé le G8, avait appelé les mauritaniens à boycotter le scrutin. N’aurait–il pas été entendu?
L’ampleur du boycott des urnes prouve tout à fait le contraire. Les mots d’ordre du G8 ont bien été entendus. Tous les observateurs indépendants en ont témoigné, tout au moins dans les grandes villes. Maintenant le traitement de la centralisation des procès verbaux et les résultats de 100% enregistrés par les bourrages des urnes dans les localités de l’intérieur ont donné des résultats qui se retourneront inévitablement contre leurs auteurs.
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz peut désormais se frotter les mains ; il pourra, comme il a eu à l’annoncer dans ces meetings, toiletter la Constitution et peut-être, déverrouiller, comme l’opposition le suspecte, l’article 26 qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, afin de briguer un 3e mandat. L’opposition n’y pourra rien ?
L’opposition n’y pourra rien ? C’est vous qui l’affirmez. L’objectivité doit conduire à reconnaitre que le G8, qui vient de se créer, a impulsé la résistance de l’opposition démocratique à ces réformes constitutionnelles. La marche du 20 juillet a drainé une foule d’opposants consentants jamais rassemblée a Nouakchott, les nombreuses marches parfois sauvagement réprimées par le pouvoir, les actions des jeunes, le sit in des sénateurs, les émissions, publications et contributions des internautes, ont montré la détermination des dirigeants, des militants et des citoyens soucieux de la préservation des acquis démocratiques à consentir des sacrifices pour barrer la route au despotisme. Cette combativité ira en s’amplifiant, et toute tentative de modification de l’article 26 verra se dresser contre elle un mur infranchissable construit, aussi bien par l’opposition actuelle que par tous les citoyens qui ont déjà manifesté et ceux qui s’ajouteront à eux pour rejeter la perpétuation de ce pouvoir.
Quel peut être l’avenir de ce G8 ? Survivrait-il au référendum et partant soutenir un seul candidat en 2019?
Le G8 continue son activité et probablement qu’il intègrera d’autres formations qui frappent à sa porte. C’est une coalition qui constitue une avancée considérable dans la reconstruction de la cohésion de notre société. C’est aussi une force de progrès et de lutte contre l’oppression et la mauvaise gouvernance. Vous ne cesserez pas d’en entendre parler dans les mois à venir. Quand aux présidentielles de 2019, comment peut-on y penser tant que l’Etat et l’administration centrale et territoriale s’investissent comme on vient de le voir dans les compétitions électorales. Il faut au préalable assurer la neutralité des pouvoirs publics pour pouvoir participer à des élections équitables.
Au cours de ses meetings, le président Aziz n’a pas manqué d’attaquer l’opposition, traitant ses leaders de tous les noms d’oiseau. Que vous inspirent ces attaques ?
Le mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ces propos est imprononçable. Je reprendrai simplement le titre d’un livre paru il y a quelques mois : ’’Un président ne devrait pas dire ça ».
Le président a qualifié de rose la situation économique du pays. N’aurait-il pas raison dans la mesure où le gouvernement a organisé le référendum sans l’apport des partenaires de l’extérieur, donc avec ses propres moyens?
La situation économique est loin d’être florissante. Selon les chiffres officiels, le taux de croissance estimé pour 2016 n’est que de 1,7% et il sera probablement revu à la baisse après correction comme à l’accoutumée. En 2015, il n’était que de 0.9% alors qu’il était estimé au départ, à 2%. Notons qu’au Sénégal, il est de 6,6% et au Mali, pays pauvre et en guerre, il est de 5,3%. L’ouguiya se porte au plus mal avec un cours officiel qui est tombé à 426 MRO pour 1 euro.
Les citoyens et les entreprises sont pressurés par une politique fiscale implacable. Rappelons à ce propos que les aménagements fiscaux introduits dans la loi de finances de 2016 ont porté sur, et je cite textuellement « i) l’application en année pleine de la réforme de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et celle de la taxation des produits pétroliers ; ii) le relèvement du droit fiscal à l’importation (DFI) et des taxes de droit d’accises (sur la quantité et non la valeur, NDLR) sur certains produits de grande consommation (riz, tabac et dérives, clinker, fer à béton, ciment, etc.) ; iii) la création d’une taxe de consommation sur les poulets ainsi que sur certains produits laitiers ; iv) la hausse de la taxe de consommation sur certains produits ; v) la mise en place et/ou le relèvement du droit de pèche à l’exportation pour certains produits de la pèche ».
Vous comprendrez donc qu’il peut soutirer suffisamment de recettes fiscales pour financer à fonds perdus des activités dont la pertinence est douteuse. La question est de savoir jusqu'à quand les populations pourront elles continuer à supporter ces efforts? Aucune économie et aucune population ne peuvent accepter durablement une telle politique fiscale.
Comment voyez-vous les perspectives politiques du pays ?
Si le régime s’entête dans sa gestion unilatérale caractérisée par la gabegie et la paupérisation, l’exclusion et l’oppression des populations, il faut s’attendre à une montée en puissance de la résistance multiforme des forces diverses mais de plus en plus unies par une volonté commune de libérer le pays de la dictature et d’instaurer une démocratie véritable seule voie vers l’unité, la paix, la justice et la prospérité.
Propos recueillis par DL