Le Calame : Commençons, si vous le voulez bien, par la répression par la police des marches du front du refus des amendements Constitutionnels. Des leaders de partis politiques ont été même été blessés. Que vous inspire cette réaction du pouvoir contre ses opposants qui voulaient exprimer par une marche pacifique leur opposition au référendum, prévu le 5 août prochain ?
Aminetou Mint Moctar : J’estime qu’Aziz, depuis qu’il s’est emparé du pouvoir, en 2008 a fini de démontrer aux yeux de l’opinion nationale et internationale qu’il est opposé à tout changement qui pourrait porter atteinte à son pouvoir. Cela date de Dakar 2009 ; il a mis tout en œuvre pour réduire au silence l’opposition démocratique ; il est très rusé et a su exploiter toutes les situations. L’opposition l’a compris déjà ; elle, qui pensait, au départ qu’Aziz avait allait changer. Il ne va jamais changer et continuera toujours à décevoir l’opposition. Je rappelle d’ailleurs que la principale pomme de discorde entre Ould Abdel Aziz et l’opposition, c’est qu’il refuse de cocher par écrit ses engagements. Il ne peut pas respecter sa parole. Aujourd’hui, il entraine la Mauritanie dans des changements qui n’intéressent personne (changement de la couleur du drapeau), il crée une résistance qui ne sert qu’à lui seul …). Le tout pour modifier la Constitution pour un 3e mandat que ses laudateurs et applaudisseurs ne cessent de réclamer pour lui. Eux qui ont osé réclamer qu’il soit investi ou intronisé roi. Aziz ne fait mépriser son peuple. Vous avez entendu la promesse farfelue qu’il a faite aux populations de Néma ? Il leur a demandé de voter massivement Oui pour bénéficier de vaches rouges et de lait. C’est dire combien il bafoue la dignité du peuple mauritanien, qui, nul ne l’ignore, est aujourd’hui contre les amendements constitutionnels, parce qu’il y a plus urgent que cela. La situation économique du pays est catastrophique, le chômage explose, le panier de la ménagère ne cesse de se trouer….Les marches de l’opposition sont l’expression d’un ras-le bol du peuple. Et ne nous trompons pas, nous devons nous attendre à plus de répression, parce qu’on ne veut entendre que la majorité. Tous les moyens de l’Etat sont mis au service du chef.
Je salue le courage et la détermination de l’opposition et je condamne avec vigueur cette répression qui s’abat sur elle depuis quelques jours. Je me souviens de l’agression perpétrée contre le siège du RFD dans lequel se trouvaient des femmes et des enfants et que la police a arrosés de gaz lacrymogène, mettant leur vie en péril. J’en appelle à toutes les bonnes volontés, aux patriotes, épris de paix et de justice pour condamner davantage cette répression. L’opposition a compris que seule la lutte peut arriver au bout du régime d’Ould Abdel Aziz qui est aujourd’hui aux abois. C’est parce qu’il est justement acculé et aux abois qu’il use de la violence contre le peuple. Nous sommes dans un Etat certes, dit démocratique qui garantit le droit de manifester. Mais force est de constater que toutes les libertés sont en recul dans ce pays, depuis quelques années.
Le référendum en question sera un chaos pour Aziz, il aura une surprise comme celle du sénat, et malgré la mise à la disposition des bandes de laudateurs et d’opportunistes de tout acabit, il y aura à coup sûr des surprises parce que le peuple n’acceptera pas cette forfaiture, cette violation flagrante de la Constitution.
- Au cours de cette année, la Mauritanie a été accusée de ne pas respecter la Convention 29 du BIT. Comment cela s’est manifesté ?
- Tout d’abord, la Mauritanie n’a jamais respecté quoi que soit. Elle est championne de la violation des droits, traités et conventions qu’elle a eu à signer et à ratifier. C’est vrai, selon nos informations, la Mauritanie vient de publier 26 conventions qui, hélas sont toutes méconnues aussi bien par ceux qui sont chargés de les appliquer et des organisations de défenses des droits de l’homme. Autre problème, l’harmonisation de nos textes avec les conventions internationales. L’article 80 de la Constitution mauritanienne stipule que toute convention ou traité ratifiés par le pays a la suprématie sur les textes nationaux. Le paradoxe de notre pays, c’est que mêmes les textes nationaux ne sont pas appliqués. La Mauritanie n’a pas adhéré ou ratifié la convention 189 relative aux pures formes de traites des femmes et d’exploitation par le travail, ce qui fait qu’elle s’est permise de signer une convention sur le travail domestique avec l’Arabie Saoudite alors qu’actuellement, nous avons beaucoup de textes en souffrance devant la justice portant justement sur le sort des filles envoyées en Arabie Saoudite pour travail domestique. On ne peut donc pas parler d’avancée sur cette question. S’ajoute à cela, que beaucoup de pays dont le Maroc, les pays Asiatiques (Philippines), Madagascar ont voté des textes interdisant l’envoi de domestiques en Arabie Saoudite. Et c’est la Mauritanie qui, contre toute attente, signe une convention avec ce royaume pour masquer l’exploitation sexuelle de domestiques. C’est une catastrophe, un manque de respect pour le corps de la femme.
-La conférence internationale du Travail 2017, à Genève, s’est déclarée « vivement préoccupée par la persistance de l’esclavage », ce que les représentants du gouvernement ont nié en bloc. Que pensez-vous de cette accusation ? Etes-vous satisfaites, à AFCF, de l’application de l’arsenal juridique visant à éradiquer l’esclavage ou ses séquelles en Mauritanie ?
-Je trouve qu’il y a beaucoup de tapage autour du traitement de la question de l’esclavage et de ses séquelles. Certes, il ya eu quelques avancées avec l’érection de l’esclavage en crime contre l’humanité, mais le problème c’est que ces textes ne sont pas appliqués. Ce texte n’a concerné qu’un ou deux cas, avec beaucoup de procédures et de vices de forme. Le discours officiel du président de la République nie l’existence de cette pratique pour ne retenir que les séquelles. Et tant que le discours du président n’engage pas les autorités judicaires et les populations, cette pratique continuera à perdurer. Je dirai même qu’il y a comme espèce de complicité en termes de lutte contre l’esclavage. On a créé des chambres sans moyens, sans aucune spécialisation avec un discours officiel qui nie en même temps l’existence de l’esclavage en Mauritanie. Comme vous le constatez, il y a plus de folklore que de réelle volonté de lutter contre l’esclavage en Mauritanie.
L’agence Tadaamoun fait des efforts mais ils sont en deçà de ce qu’on attend d’elle. Les problèmes d’état-civil pour les esclaves ou ascendants d’esclaves, la formation professionnelle au profit des esclaves ou de leurs progénitures, la discrimination positive ne sont pas vaincus. Les fonds de roulement octroyés par ci et par là ne suffisent même pas à faire face aux besoins de la famille à plus forte raison au démarrage d’une activité à même de sortir l’intéressé de la dépendance. Je pense que le tapage autour de cette question ne vise que les bailleurs de fonds. Ca n’impacte nullement sur le quotidien des victimes de cette pratique.
-Y a-t-il aujourd’hui un cadre régissant le travail domestique, notamment des femmes, qui ne cesse de se développer en Mauritanie? Sinon, que faudrait-il faire, à votre avis pour encadrer cette main-d’œuvre laissée à la merci de leurs employeurs?
-il parait que l’Etat vient de mettre en place un cadre qui reste cependant inconnu de nous. Pour notre part, nous avons initié un avant projet de loi financé par l’UNICEF et soutenu par le MASEF. Nous avons fait le plaidoyer auprès des partenaires, mais le gouvernement traîne les pieds. Le texte de l’Etat met dans le même sac et les enfants et les adultes, ce qui est une monstruosité. Les domestiques continuent à être exploitées. On ne respecte même le SMIC, elles n’ont pas de contrat. C’est dire que même si le texte du gouvernement est adopté, il ne va pas régler le problème des domestiques.
-Après la déclaration du président Macron sur la fécondité en Afrique, voilà que les parlementaires de la CEDEAO, plus la Mauritanie et le Tchad proposent de réduire le taux de fécondité à 3 enfants par famille, d’ici 2030. Qu’en pensez-vous ?
- Je ne pense que la Mauritanie a des priorités ailleurs que sur cette question. Nous ne sommes pas un pays surpeuplé. Nous sommes un pays immensément riche de nos poissons, de notre fer, de notre or, de notre cuivre, de notre cheptel, de notre agriculture, mais nous sommes incapables de les exploiter au profit de nos populations. La Mauritanie est incapable de connaître exactement le nombre de ses citoyens, elle est incapable de fournir à ses fils des papiers d’état-civil, elle est incapable d’éradiquer la gabegie, elle est incapable de répartir avec équité, les dividendes de ses ressources, elle est incapable de respecter les valeurs que sont l’éthique, et la citoyenneté. Elle est enfin incapable de bâtir une unité nationale. Voilà des enjeux de taille qui doivent la préoccuper plutôt que de penser à la limitation de la fécondité. C’est une autre diversion. Si c’est nous qui avions sorti cette énormité, on allait nous traiter d’apostats. Nous devons nous battre pour une République qui œuvre pour la citoyenneté, pour un Etat respectueux des valeurs de l’Islam et de la République.
Propos recueillis par Dalay Lam