Le Calame : Après moult hésitations, la Mauritanie a franchi le Rubicon en demandant un accord économique avec la CEDEAO. Une requête soumise à la présentation de d’une « requête de réadmission». Pouvez-vous nous expliquer cette condition?
Yahya Ahmed El Waghf : Il me semble que les dirigeants de la CEDEAO n’ont pas examiné l’accord d’association signé entre la Mauritanie et la Commission portant sur la libéralisation de la circulation des personnes et des biens entre le pays et les 15 États membres de la communauté. Au lieu d’examiner cet accord, il a été demandé à la Mauritanie de présenter une demande de réintégration. Une interprétation possible serait un rejet de l’accord d’association. Les Etats de la CEDEAO expriment ainsi leur refus pour toute demi-mesure avec un ancien membre. Ou bien vous intégrez, sinon, il n y a pas d’accord d’association possible. Cette interprétation me semble plausible. Les Etats de la CEDEAO voisins de la Mauritanie, qui peuvent être particulièrement intéressés par la libre circulation des biens et des personnes, ont déjà des accords bilatéraux et ne voient donc aucun intérêt dans cet accord d’association et leur avis est certainement prépondérant pour tout ce qui concerne la Mauritanie. Nous avons quitté volontairement depuis presque deux décennies et nous revenons pour choisir ce qui nous convient dans cette organisation sans s’y intégrer. Il aurait fallu avoir d’excellents rapports avec ses voisins et/ou avoir un marché suffisamment alléchant pour les autres Etats, deux conditions qui ne sont malheureusement pas satisfaites.
Je pense qu’une réponse sage serait d’introduire une demande de réintégration sans hésiter. Nous avons plus besoin de la CEDEAO qu’elle n’a besoin de nous. Nous ne devons avoir aucun complexe. Notre retrait en 2000 était une erreur du pouvoir de l’époque et notre devoir est de la corriger. On a souvent, à tort, lié ce retrait à notre adhésion à l’Union du Maghreb Arabe. L’UMA a été créée en 1989 et le retrait de la CEDEAO n’a eu lieu qu’en 2000. Notre appartenance aux deux organisations est non seulement possible, mais également sert davantage nos intérêts et aussi ceux des deux ensembles. La seule raison vraisemblable de notre retrait en 2000 est le risque que représentait la révision en 1993 du traité, particulièrement « la mise en commun partielle et progressive de leur souveraineté nationale au profit de la Communauté », pour un pouvoir qui avait un nombre important de réfugiés dans les pays voisins, un lourd passif humanitaire et une opposition particulièrement active au niveau de certains pays membres de la CEDEAO. Notre réintégration, dans le contexte actuel, ne présente aucun risque pour le pays et est au contraire à son avantage. Cela contribuera à renforcer notre unité nationale et aussi notre démocratie. L’intégration du Maroc au niveau de cette organisation constitue une raison supplémentaire de réintégration, à la fois pour des raisons économiques et politiques. Avec cette intégration, l’UMA et la CEDEAO ne feront plus qu’un seul ensemble régional, si le statut d’observateur de la Tunisie évolue vers l’intégration. Les deux autres pays maghrébins pourront rejoindre le groupement dans un deuxième temps. Pour plus de détail sur les avantages pour la Mauritanie d’une réintégration au niveau de la CEDEAO, je me permets de renvoyer vos lecteurs au plaidoyer que j’ai publié dans les colonnes de votre journal en mai 2014.
Pourquoi, malgré des appels aux pieds de certaines personnalités politiques et d’intellectuels, en faveur du retour du pays à la CEDEAO, la Mauritanie a tant hésité avant de faire ce premier pas ? Et pourquoi, à votre avis, ce sujet d’importance ne suscite pas de débat chez nous?
Le pouvoir en place a toujours expliqué que la réintégration de la Mauritanie à la CEDEAO n’est pas à l’ordre du jour. L’accord d’association qui a été signé n’a rien à voir avec la réintégration. L’accord ne prévoit que l’instauration de tarifs douaniers extérieurs communs et une politique commerciale commune, à partir de 2019. Pour la circulation des personnes, la Mauritanie ne s’est engagée qu’à poursuivre les négociations portant sur un accord régional. Elle dispose déjà d’accords bilatéraux avec le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Niger et la Guinée. L’accord d’association ne constitue pas une évolution significative de la position du gouvernement par rapport aux questions jugées sensibles, à savoir la circulation des personnes et la mise en commun des souverainetés nationales. C’est probablement pour cette raison que les Etats de la CEDEAO ont demandé à la Mauritanie de soumettre une demande de réintégration. Je suis persuadé que l’opinion publique, y compris la presse et les politiques, n’est pas suffisamment bien édifiée sur le contenu de cet accord d’association. Les partisans de la réintégration espèrent qu’il va ouvrir la voie au retour de la Mauritanie au niveau de la CEDEAO sans en avoir la certitude. Ils sont restés donc prudents. Ils attendent de voir le résultat pour réagir. Les détracteurs de la réintégration sont pour la plupart des soutiens du pouvoir qu’il n’a pas voulu mobiliser, étant donné qu’il ne souhaite pas que cette question soit débattue. Malgré tout cela, il est impensable qu’une question aussi cruciale pour le pays ne fasse pas l’objet d’un débat national.
Propos recueillis par DL