A l’heure où les mères pleurent, en Palestine, d’autres s’interrogent sur la recrudescence de l’antisémitisme. Un paravent commode mais de moins en moins lisible, notamment en France d’où nous vient le savoureux petit indigeste que voici…
Six millions de juifs assassinés par les nazis ? La moitié ? « Seulement » le quart ? Evidemment, cette dernière « hypothèse », comparée au million de tziganes génocidés dans les mêmes atroces conditions, déprécie bigrement le caractère holocaustique du massacre « spécifique » des juifs. Est-ce grave, docteur ? Très grave, gravissime même, carrément anathème, et quiconque ose mettre en doute la sacralité de ce sacrifice hors du commun – comprenons, ici, que tout autre génocide n’aura été, n’est et ne sera jamais qu’un épiphénomène, comparé à cette valeur monumentale (six comme les branches de l’étoile de David) qui donne, à l’inhumain, une dimension quasi cosmique, preuve définitive de la fonction surhumaine du « peuple élu » et de son droit à exiler ou génocider un même nombre de Palestiniens – doit subir les foudres de la loi, en notre Hexagone si pointilleux de la laïcité de sa chose publique. « On » a figé l’Histoire. Qui ? « La LICRA », nous informait, en 1985, Marc-Edouard Nabe, « vous savez ce que c'est ? Ce sont des gens qui se servent, du monceau de cadavres d'Auschwitz, comme du fumier, pour faire fructifier leur fortune ». La mémorable branlée que lui infligea, en retour de tels propos sacrilèges, Georges-Marc Benamou, semble avoir eu de l’effet. Nabe s’est désormais fait petit, en ses diatribes contre les épiciers de la Shoah. Au point d’inverser totalement la réalité : selon lui, ce sont ceux-là même qui continuent à les dénoncer qui jouiraient, aujourd’hui, du « commerce juteux » de l’Holocauste, Soral en tête et Dieudonné en bouffon.
On s’étonne un peu, tout de même. De la justification de l’entité sioniste – un holocauste, ça ne compte pas pour du beurre, le Monde entier, à commencer par les Palestiniens, doit perpétuellement en convenir – aux milliards engrangés, depuis plus de soixante ans, autour du thème – films, documentaires télévisés, livres, conférences et tutti quanti – on n’en finit plus de comptabiliser les bénéfices de l’entreprise Shoah. Est-il même encore possible de distinguer, aujourd’hui, ce qui relève du strict domaine politique – l’idéologie sioniste – de son alter ego mercantile ? Et c’est justement sur cette confusion, sciemment entretenue, que se construit l’amalgame anti-sionisme/anti-sémitisme. Tout est hardiment mélangé. Comment le sionisme pourrait-il être d’essence fasciste, puisque les juifs ont souffert du nazisme ? Dénoncer le moindre lobby juif est, systématiquement, associé à une démarche d’extrême-droite, version laïque, chrétienne ou islamiste. Et, liant cet entassement de très variablement réelle bêtise humaine, jalouse et aigrie, voici qu’apparaît une bête nouvelle, le « complotisme ».
« Marc-Edouard », nous prévient, bon prince, « Le Point » qui s’en est fait un d’honneur, je présume – si précise liberté d’expression – à publier les sublimes saillies du pense-bête, « connaît, de l'intérieur, cette nébuleuse d'extrême-droite ». Admirable raccourci. Contester la thèse officielle du 11 Septembre serait, ainsi, à jeter dans le même vide-ordures que mécroire en l’existence des chambres à gaz ; un doute d’historien qui ne devrait être, au demeurant, balayé, point par point, que par une réfutation d’historien : on connaît le premier, la seconde se fait toujours attendre, curieusement… A défaut, dans un cas comme dans l’autre, de (pouvoir ?) démonter chaque argument des contestataires – en nombre et pas toujours farfelus, loin de là – Marc-Edouard replonge sa langue dans les égouts qu’il affectionne tant : « gros con, gros cul, larves, tapin et autre froc baissé » ; un langage assez en fleurs pour lui valoir la considération de monsieur Imbert, si fin dans ses goûts.
Mais pas celle du public qui préfère, et de loin, les ananas chauds de Dieudonné. Quand on est né ailleurs qu’en Occident, plus généralement, après 1940, cela détend, beaucoup, une atmosphère que d’autres s’obstinent – on les entend encore mais de plus en plus distraitement – à confiner dans le carcan d’une « Vérité » si complaisamment au service des puissants de ce monde. Fataliste, Dieudonné ? Il n’y a probablement que Nabe, si lucide, pourtant, dans le choix de son sobriquet, à n’avoir pas perçu « l’énorme » quenelle que signifiait la sortie de l’humoriste en boubou africain. Les gens rigolent, en masse. C’est le propre de l’homme et ça le nettoie bien. Pas tout-à-fait signe de fatalisme, donc. Et s’il est possible, au subtil chimpanzé franco-camerounais, de transformer le vin en eau – un vrai miracle qui devrait, il est vrai, plus réjouir les musulmans que les alcooliques – Marc-Edouard voudrait, lui, nous contraindre à pisser vinaigre ? Mon vieux, si tu le veux vraiment, ton best-seller, faut te doucher plus souvent…
Hubert de la Toque (d’un joli vert, ma foi)