Vendredi 12 Mai dernier, alors qu’il roulait, sur la route de Rosso, vers Nouakchott, Mohamed ould Ghadde, le sénateur frondeur est victime d’un accident de la route. Voulant éviter un chameau en divagation, il perd le contrôle de son véhicule et quitte la route. Voyant la voiture foncer sur eux, les habitants d’une baraque au bord de la route s’éparpillent aux quatre vents. Une femme et son bébé sont fauchés et décèdent. Une autre est grièvement blessée. Alertée, la gendarmerie se présente rapidement sur les lieux. Elle entame la procédure habituelle en pareilles circonstances. Mais au bout de quelques minutes, la nouvelle remonte en haut lieu et, soudain, changement complet de décor : la voiture du sénateur est fouillée de fond en comble, ses téléphones confisqués et il est mis aux arrêts, malgré son immunité parlementaire qui devrait, dans un Etat normalement constitué, le prémunir d’une arrestation intempestive. Commence alors une longue série de vexations pour faire payer, au sénateur, son « insolence ». Le voilà mis au secret et privé de visite. Même son avocat, accouru de Nouakchott, est empêché de le voir, pendant trois jours. La presse aux ordres est mise à contribution, pour distiller des informations tout aussi erronées les unes que les autres : la voiture n’aurait pas de police d’assurance en cours de validité, le sénateur a été arrêté en flagrant délit, ce qui lève, de fait, son immunité, fait-on ainsi savoir. Renseignements pris, il n’en est strictement rien. Sinon, l’occasion, rêvée, de faire payer, à ce bouillant sénateur, son opposition, non seulement, aux amendements constitutionnels mais, aussi, à toutes les dérives du pouvoir actuel qu’il ne cesse de fustiger.
Après trois jours de garde à vue, Ould Ghadde est présenté à un juge et son dossier programmé pour une sentence expéditive. Le Sénat monte alors au créneau. Ses pairs, qui ne se sentent désormais plus en sécurité, décident d’activer l’article 50 de la Constitution stipulant que « la détention ou la poursuite d’un membre du Parlement est suspendue, si l’assemblée dont il fait partie le requiert ». Une injonction en bonne et due forme, adressée au Parquet et, au-delà, au ministre de la Justice et à tout l’exécutif dont le chef n’appréciera que modérément cette nouvelle fronde du Sénat. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, la justice n’a, cependant, plus d’autre choix que de libérer le sénateur.
Au-delà de cet épisode malheureux, voilà que toute personne ayant exprimé un avis divergent ou manifesté son opposition au pouvoir se retrouve en sursis. A la moindre incartade, c’est à la case prison qu’on est illico envoyé. Mais ne baissons pas, pour autant, les bras ! Qui ne dénonce pas une injustice en devient le complice. En cette occurrence, la presse, ce « quatrième pouvoir », a une responsabilité énorme. Tout comme la société civile. L’une et l’autre doivent, elles aussi, monter aux créneaux. Citoyens, dénoncez les agissements illégaux du pouvoir, indexez, par la publication de leur nom et photo, les fonctionnaires qui se prêtent à son jeu : agents des impôts, juges, policiers, gendarmes, tous ceux, gradés, troufions ou dégradés, qui tendent leurs mains pour exécuter un quelconque acte illégal... Intimidez-les ! Mettez-les devant leurs responsabilités : un policier qui m'arrête, me retire mon téléphone ou commet tout autre acte que je juge dégradant, illégal ou anti-civique, c'est lui nommément qu’il me faut dénoncer, avec sa photo, nom et corps d'origine (police, gendarmerie, justice, etc.). Qu’on se le répète, citoyens, dans les khaîmas et les cases ! C’est, à chacun, au quotidien, à chaque instant, de vivre et faire vivre le pouvoir du peuple, c’est-à-dire la démocratie, au sens plein et entier du terme.
Ahmed Ould Cheikh