L'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République française est sans précédent. Pas tant du fait que l'élu n'a pas encore quarante ans. Bonaparte à Brumaire en avait à peine trente, son neveu Louis-Napoléon - premier élu français et à l'Elysée au suffrage direct - en avait juste quarante-et-un et Valéry Giscard d'Estaing quarante-huit. Chacun avait ou bien déjà vécu une carrière exceptionnelle ou bien portait un patronyme d'exception. Emmanuel Macron n'a ni l'autre, mais son expérience est déjà conséquente : celle des fonctionnements de l'Etat français par ses tournées d'inspecteur des Finances, celle de la banque d'affaires par celle des Rothschild (Georges Pompidou six ans Premier ministre du général de Gaulle et son successeur immédiat à l'Elysée a porté avant lui cette " étiquette " pas forcément séante en politique), celle du secrétariat général de la présidence de la République (il en a été l'adjoint et chargé des affaires économiques pendant deux ans), celle enfin de la considérable machine, bâtie au bord de la Seine à Paris, rue de Bercy où il a été deux ans ministre de l'Economie. Mais il n'y a pas de précédent en France d'être élu en à peine un an, et en ayant créé soi-même son outil politique, le mouvement En marche. Le premier tour de cette élection présidentielle en était juste le premier anniversaire.
Un concours de circonstances
L'exceptionnalité d'Emmanuel Macron peut paraître un extraordinaire concours de circonstances : 1° la mise hors jeu du candidat de la droite gouvernementale, François Fillon, par les mises en examen de celui-ci, 2° la division de la gauche entre son parti dominant, le Parti socialiste, et un orateur populiste aux propositions et analyses authentiques, 3° une compétition ultime avec un parti " diabolisé " depuis sa naissance et une candidate à la présentation exécrable.
La vérité est autre et le gagnant l'a lui-même caractérisée - à la manière dont le général de Gaulle avait qualifié le régime auquel son retour au pouvoir en 1958 allait donner une succession radicale, de la Quatrième à la Cinquième République. L'impuissance des partis traditionnels à répondre plus longtemps des situations, des impasses et des espérances françaises. Le Parti socialiste, refondé par François Mitterrand en 1971, et le mouvement politique aux noms si changeants et se réclamant de moins en moins de ses origines, le soutien à la Cinquième République, à force d'alterner au pouvoir sans répondre ni aux urgences ni aux questions de fond, ont échoué. L'électeur du 23 Avril 2017 les a éliminés avec une logique encore imprévue quelques jours avant le scrutin. Emmanuel Macron l'avait parié et avait caractérisé cet échec des deux principaux partis, en fondant son mouvement. Il a été le premier à voir l'impasse, non de la situation française, mais celle de ses acteurs publics, y compris sans doute celle du président alors régnant, François Hollande. Le premier à le discerner, à le dire et le premier, le seul jusqu'à présent à en profiter. A vrai dire, Jean-Luc Mélenchon a eu le même coup d'œil pour la gauche. Les quinquennats de Lionel Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002, et de François Hollande de 2012 à 2017, n'ont pas été socialistes et ne répondirent pas à l'espérance usuellement portée par la gauche. Cette exceptionnalité d'Emmanuel Macron : correspondre exactement au diagnostic des Français, inexprimé avant lui, est fondatrice d'une nouvelle organisation des forces politiques et sans doute d'une nouvelle manière d'exercer le pouvoir.
Mais il est une autre exceptionnalité, plus anxiogène : Emmanuel Macron, en dépit d'une année entière de campagne par sa position au gouvernement, puis par sa démission du gouvernement, en dépit d'un livre au succès de librairie équivalant celui d'un prix Goncourt, n'est pas connu pour lui-même. Célèbre, notoire mais inconnu de psychologie, de ressorts intimes. Il répond bien aux interrogations des journalistes, il écrit et parle clairement, il est maître de lui en débat et a donc largement dominé Marine Le Pen le 3 Mai. A le lire, il saute aux yeux qu'il sait ce dont il parle, qu'il connaît le pays et ses outils. Mais il n'a rien fait dans les positions successives qu'il a avantageusement occupées, qui ait vraiment marqué, ni en réformes économiques ni en préservation du patrimoine industriel français ni en initiative européenne changeant la donne. Par exemple, il ne propose pas l'instauration, d'un service militaire et civique, obligatoire, universel pour les garçons et les filles de longue durée et donnant la jeunesse connaissance et esprit de défense, expérience du développement dans les pays, y compris en France, qui ont besoin de coopérations vivantes. Il ne propose pas la seule novation propre à doter l'Europe de son véritable outil et de son expression : l'élection directe du président de l'Union par l'ensemble des citoyens européens.
Ce qui est donc sans précédent est l'élection d'une personnalité que les Français admettent ne pas connaître.
Sans entrer dans le jeu des conjectures sur la possibilité ou pas du nouveau Président de disposer d'une majorité au Parlement qui lui soit propre, que peuvent attendre d'Emmanuel Macron, l'Afrique et plus particulièrement la Mauritanie ?
Et l'Afrique ?
L'élu place l'Afrique très en vue dans les documents proposés à l'électeur. Elle est concernée par sa proposition ultime, au libellé inchangé du premier au second tour. " Enfin, sixième et dernier chantier : l'Europe et l'international
Je m'engage à défendre les intérêts de notre pays.
En relançant une Europe ambitieuse qui investit et qui protège et dont la vitalité démocratique et le goût pour l'avenir seront retrouvés.
Et en assurant une nouvelle politique en Afrique où la paix et l'esprit d'entreprise construiront le siècle qui commence. "
Surtout, le nouveau Président consacre à l'Afrique une page précise. " . . . je vois l'Afrique comme un continent de promesse où nous devons réaffirmer et redéployer nos ambitions. Notre présence ne peut pas se limiter à une action militaire et politique. Nous devons désormais faire davantage et permettre, partout en Afrique, à des entrepreneurs et aux classes moyennes de se développer. Ce sera la meilleure façon de stabiliser dans la durée les démocraties africaines. A cet égard, le travail conduit en 2013 par Hubert Védrine 1 , Lionel Zinsou2 , Hakim El Karoui3 , Jean-Michel Severino4 et Tidjane Thia5 demeure pleinement pertinent. Il constitue le cœur de l'action stratégique que je veux pouvoir conduire sur ce continent. Traditionnellement, notre présence économique en Afrique s'est construite en lien étroit avec les Gouvernements, dans des secteurs comme les matières premières et les infrastructures. Elle s'est développée dans des conditions d'opacité qui n'ont pas permis de lutte efficacement contre la corruption de part et d'autre, ni de faire profiter un maximum d'Africains des effets positifs de cette relation.
Aujourd'hui, une nouvelle élite entrepreneuriale émerge, qui tire les classes moyennes et l'ensemble de la population de ces pays africains. C'est en tissant des liens avec cette nouvelle génération que nous devons intensifier, de manière équilibrée, et sans condescendance, nos relations avec l'Afrique dans la décennie à venir. " 6
François Hollande avait eu - de l'hôtel-de-ville de Tulle, le soir-même de son élection - une affirmation spectaculaire : " Nous ne sommes pas n'importe quel pays, nous sommes la France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de donner aux peuples de s'émanciper des dictatures et des règles illégitimes de la corruption ", mais ces mots précis n'ont inspiré ni son action ni ses relations.
Assez vite, décisions, nominations, réactions aux difficultés politiques et aux événements internationaux, vont nous indiquer qui est Emmanuel Macron. Il dit de lui-même qu'il a du tempérament et sait dire non : cf. sa démission du gouvernement français, l'été dernier, et aussi sa démission du secrétariat général adjoint de l'Elysée en Juin 2014, sans doute parce qu'il n'entrait pas au gouvernement que formait Manuel Valls. Il était en train d'organiser sa propre entreprise, une " start up ", quand la démission d'Arnaud Montebourg du ministère de l'Economie, prévisible mais dès l'automne de 2012, fut la chance de sa vie dans les deux mois de son retrait des palais nationaux…
8 Mai 2017
Bertrand Fessard de Foucault,
ancien ambassadeur
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1 - ministre des Affaires Etrangères de 1997 à 2002 après avoir été secrétaire général de l'Elysée, à la fin de la présidence de François Mitterrand, il est né le 31 juillet 1947 à Saint-Silvain-Bellegarde,
2 - né en 1954, à Paris, c'est un économiste franco-béninois, ayant fait carrière notamment comme banquier d'affaires puis comme PDG du fonds d'investissement Européen PAI Partners (wikipédia)
3 - né en 1971 à Paris, est un essayiste et consultant français (wikipédia)
4 - né en 1957 à Abidjan, directeur général de l'Agence française de développement (2001-2010) et ancien vice-président de la Banque mondiale pour l'Asie (1997-2000) (wikipédia)
5 - né le 29 juillet 1962 à Abidjan en Côte d'Ivoire, est un dirigeant d'entreprise à la double nationalité ivoirienne et française : directeur général du Crédit suisse depuis deux ans (wikipédia)
6 - Emmanuel MACRON, Révolution (éd. XO éditions . Novembre 2016 . 268 pages) pp. 213-214