A recouper les informations qui nous parviennent sur la manière dont on essaye de nous imposer les amendements constitutionnels, on se rend compte que, dans l’esprit du président Aziz, l’engouement pour la troisième République n’exprime, ni un idéal démocratique, ni le souci de se projeter dans le sens des aspirations profondes et légitimes du peuple mauritanien.
Dans l’entendement du chef de l’Etat et, à en juger par son inébranlable volonté de mutiler la constitution et de vider, de son contenu institutionnel, la haute cour de justice, cette troisième République préfigure de la mise en place d’une matrice d’impunité où tous les crimes du second empire (1984-2005) et ceux perpétrés plus tard avec l’aide de l’empire du milieu sur la ressource halieutique, viendront trouver pardon et absolution et, à défaut, prescription ou oubli.
Mais comme tout projet, qui se justifie à l’aune des retombées attendues de sa réalisation, la Troie-zième république Azizienne n’a que très peu de chances de voir le jour car, une réforme de cette ampleur ne peut être réductible aux seuls fantasmes de constitutionalistes même si, sous nos cieux, la voix du droit est souvent l’écho de la partition de bruits de chars, de bottes et d’artilleries lourdes, dont son géniteur à le secret.
D’autre part, si Maaouya Ould Taya avait tout ou presque, de Napoléon III et son régime, du second empire, notamment dans son aspect dictatorial et, toute proportion gardée, dans celui des ambitions de développement économique et industriel, Aziz, lui, n’a rien de Léon Gambetta, si ce n’est d’avoir initié une action d’éclat, positive pour le premier et aux résultats assez mitigés, pour le second.
C’est d’autant plus vrai que, par le fait de la proclamation de la troisième République en 1870, Gambetta avait ouvert à la France les portes du futur et celles de la consécration de son statut de principal maitre d’œuvre des lumières du 17ème siècle.
Dictature éclairée à visage humain
C’est également d’autant plus vrai que, grâce à son ancrage et à sa position numérale ordinale et compte tenu de l’alternance des régimes républicains et monarchistes qui l’ont précédée, la troisième République a fini par incarner le mythe fondateur de la démocratie Française et celui, non moins significatif, de la solidité des institutions européennes.
De ce point de vue et abstraction faite des mobiles et motifs de nos constitutionalistes et de la volonté manifeste de nos politiques de réduire la future république à un rempart, contre la vindicte populaire et contre les compétences des juridictions spécifiques, l’esprit de cette deuxième révolution française n’est pas compatible avec notre interprétation des valeurs de la République. Il n’est pas non plus compatible avec notre compréhension du droit et des institutions et avec notre esprit collectif réfractaire à la prépondérance des arts, des sciences et techniques, dans la panoplie de nos outils de développement économique et social.
Pour ces raisons objectives et pour d’autres encore liées à la gouvernance, la troisième République, telle que proposée par le réformateur Aziz, bute sur plusieurs obstacles dont deux majeurs et qui semblent relever des symptômes pathologiques de nos complexes refoulés.
Le premier est qu’elle a été décidée juste à la fin du mandat consensuel toléré sur la base de la transition amorcée en 2005, d’où le sentiment qu’elle est conçue pour projeter, dans la durée, le système en place. Le deuxième est que, comme en France, le second empire en Mauritanie, a très tôt évolué vers des formes libérales et a mis en gestation les fondements d’une révolution industrielle stoppée net en 2005 et complètement anéantie en 2008.
Sous l’angle des comparaisons, le second empire (1984-2005) était une dictature éclairée à visage humain, sans commune mesure avec la démocratie populiste où les pouvoirs régaliens de l’Etat se sont confondus avec les humeurs du prince et les slogans, sans lendemain, de lutte contre la gabegie.
Nous avons entendu Aziz énoncer les règles de sa thématique républicaine de ‘’Troie’’. Nous avons entendu ses constitutionalistes argumenter des interprétations du droit par des procédés de bricolage de chaudronnerie. Nous avons entendu Ould Mohamed Laghdhaf, Ould Hademine, ould Maham et Cheikh Ould Bayeu, aborder l’idéologie UPRienne dans des récits d’étiologie, non pas pour stimuler l’installation de la Troie-zième république, comme le souhaite leur mentor, mais plutôt pour en exacerber le projet, dresser les tribus les unes contre les autres, et, fidèles à leurs élans de pyromanes, allumer des foyers de tension en vertu de la stratégie de la terre brûlée, tout en laissant à Aziz le soins de jouer au sapeur pompier et de répondre, devant l’assurance, des conséquences du sinistre.
Rêve devenu cauchemar
Le clou de ce spectacle surréaliste et qui a sans doute consacré la réputation des hommes du président, fut joué d’une main de maître par Cheikh Ould Bayeu, lors de sa campagne électorale à Zouerate. Ses déclarations, où il fut question d’argent et d’enrichissement, ont sonné le glas des littératures de lutte contre la gabegie et enfermé Aziz dans une logique défensive, qui sied mal à la posture de ce porteur d’ambitions à la mesure historique des destins d’Etats.
Quand, en effet, les journaliers de la SNIM en grève disaient que Zouerate sera le point de départ des troubles qui risquent de déstabiliser le régime, ils n’imaginaient pas si bien parler. Depuis lors, ni les maisons et voitures de luxe offertes à certains peshmergas, ni les promotions, sans mérite, d’autres, n’ont pu juguler les effets dévastateurs de ce mémorable discours de campagne qui plombe désormais toute velléité d’apporter des démentis convaincants aux accusations de l’opposition.
Ould Mohamed Laghdhaf, Ould Hademine et Ould Maham, quant à eux, est un trio sorti tout droit des entrailles du cheval de Troie ou plutôt, du rêve transformé en cauchemar, de la Troie-zième république. Ce trio procède d’une règle de trois pour se partager les avantages qu’offre l’exercice du pouvoir. Une sinécure, quand cet exercice se fait dans l’absence de toute éthique de gouvernance et quand on réussit à laisser la gestion de ses désagréments à l’usage et à la discrétion du président Aziz. Une sorte de ‘’TEKEBREUT CHIKH LOBBAT’’ qui dit long sur les rapports entre l’équipe et sur son avenir proche…très proche.
Ils s’y sont tellement bien pris, que le reste du système, y compris Aziz lui-même, est en passe de développer un délire collectif de persécution, pour se savoir condamné à payer pour des griefs dont il n’est pas responsable et qui lui sont imputés en vertu de la solidarité de groupe.
Pour conjurer les conséquences des intrigues dont est capable ce trio, Aziz n’a trouvé de mieux à faire que de brandir une Troie-zième République après avoir brandi, en vain, un Troie-zième mandat, pour épouvanter ses courtisans à défaut d’avoir réussi à amuser la galerie politique lors du monologue inclusif.
Mais Aziz ne sait pas que les trois mousquetaires affectionnent les triptyques, les trilogies, la trigonométrie, les triangles, les tiers et…ah, oui !!! A propos de tiers et pendant que j’y suis, les méthodes de d’Artagnan et de ses mousquetaires seraient la principale source d’inspiration du tiers du Sénat et auraient été celle des deux tiers de l’Assemblée Nationale, si le congrès parlementaire avait été invité à se prononcer sur les amendements constitutionnels.
Selon certains analystes, les méthodes des trois mousquetaires inspireraient également les deux tiers des électeurs pour voter ‘’non’’ au référendum, tandis que le tiers restant votera blanc à la gloire d’Allah, comme chez les chrétiens, qui brûlent des cierges à la gloire de l’immaculée conception pour les vertus de sa…blancheur immaculée… !!!
Loyauté de façade
En réalité, les projets de succession du président Aziz s’effondrent les uns après les autres dès leur mise en chantier et sa situation de fin de règne se complique du fait de ses choix en matière d’hommes et de manque de discernement chez son entourage, ce qui l’empêche pas de chercher la raison et l’efficacité au-delà des frontières immédiates de ses élans affectifs et des loyautés de façade, inconciliables avec la raison d’Etat.
Cela se vérifie (à ses dépens) car, pour faire aboutir leur contre-révolution, nos d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis (noms des mousquetaires) nationaux, n’ont pas hésité à parrainer la déliquescence du régime en s’inspirant de l’opposition de leurs modèles au cardinal de Richelieu et à la belle et mystérieuse Milady de Winter. Ils étaient aidés en cela par le mécontentement au Nord, dont l’émir Ethmane Ould Aida s’est fait l’écho et par les tribus, mobilisées à l’Est, à l’effet d’inaugurer l’ère des défections et pousser Aziz à l’erreur fatale en l’enfermant dans la logique de l’affirmation, contre vents et marées, de sa propre volonté de puissance, ce qui l’isolera davantage.
Ils ont fait en sorte qu’au fur et à mesure que la fin du dernier mandat présidentiel approche, l’isolement du pouvoir et de son chef doit se préciser et le mythe de la troisième République, considéré comme ultime chance offerte au régime pour pouvoir se recycler en quelque chose de fréquentable, doit se transformer en mythe espagnol inachevé de la Reconquista.
Sur un autre front, les arabisants Nassero-Islamistes qui infiltrent le pouvoir à travers le bouillant Mohamed Cheikh Ould Sidi Mohamed et qui miroitent à Aziz la possibilité de surfer sur leur ‘’popularité’’ pour dépasser le cap de 2019, lui font payer l’addition par le projet, contestable en tout point de vue, de création symbolique d’une identité dont Nasser et Hassan Al Banna se disputent la paternité.
Aziz devait faire tempérer les ardeurs de cette entité idéologique, car, dans un pays comme le nôtre, l’identité commune ne peut émerger que par l’abandon douloureux, d’une part des identités propres aux groupes ethniques qui composent le peuple.
En d’autres termes, au lieu d’entériner la vente des bâtiments publics, les défenseurs de l’arabisme (version orientaliste) et de l’islamisme wahabito-ottoman, auraient dû savoir que l’école est le lieu irremplaçable de la construction identitaire d’un pays en construction. Ils ont certes des circonstances atténuantes à ce sujet, pour n’avoir fait, en grande partie, que l’école du campement où l’identité est obtenue à la naissance et où elle est un droit qui trace les plans de carrière et qui destine à des privilèges souvent indus.
Par ailleurs, l’illusion qu’une identité partagée puisse éliminer, comme par enchantement, les crises sociales et politiques, relève des absurdités dont Mohamed Cheikh a le secret et qu’il a expérimenté à la Radio et à l’AMI en frappant d’ostracisme, les quelques journalistes qui dérogeaient aux injonctions de la pensée unique.
De par son cursus et en Nassérien bon teint, Mohamed Cheikh ne peut pas savoir que la construction identitaire est un processus politique avant d’être social et culturel.
Cependant, le président Aziz gagnerait à savoir et à comprendre que, dans son système, il y’a des fonctionnaires honnêtes et compétents, des officiers vertueux et courageux et des militaires de grades inférieurs mais tout aussi vertueux et courageux, des hommes d’affaires et des capitaines d’industries patriotes, d’éminents professeurs, médecins, ingénieurs, des grands intellectuels et des serviteurs anonymes du service public, dont l’action au quotidien ne doit pas être occultée par le trop de notoriété accordé aux quatre mousquetaires.
Illusion d’optique
Quant à l’opposition, elle doit savoir que cette élite continue à faire confiance au chef de l’Etat et à le soutenir, mais que le seuil de tolérance de sa fidélité n’est, ni élastique, ni absolu et, par conséquent, il lui serait difficile d’admettre d’être sacrifiée sur l’autel de la préservation des intérêts des quatre mousquetaires.
En ce qui concerne les mauritaniens, toutes tendances confondues, ils doivent savoir que ceux qui les dirigent procèdent de la philosophie du groupe telle que décrite par Raoul Girardet qui dit à ce propos : ‘’Tout groupe possède un mythe fondateur, quel que soit le groupe considéré. Par définition, tout groupe a été formé à un moment donné, et il existe donc toujours une création et, par extension, une histoire, ou du moins, un souvenir de cette création. Tout événement passé est sujet à une déformation par l’histoire : idéalisation, interprétation, glorification etc. Ainsi il y a toujours un mythe fondateur, d’autant que tout groupe, dont les actions collectives n’aboutissent pas, a tendance à se dissoudre : tout groupe qui survit est un groupe qui a réussi et va avoir tendance à mythifier ses origines’’.
Et puisqu’il a survécu, le groupe des mousquetaires (essil mahou le groupe de Tlemcen) pense sûrement avoir réussi, même si les sénateurs, les gens du Nord et les tribus de l’Est ont démontré que cette vision n’est qu’une illusion d’optique et que la désintégration du groupe est imminente.
Ne l’entendant pas de cette oreille, les mousquetaires se servent désormais de la troisième République pour se tailler un mythe fondateur dans le corps de la légende de l’UPR au moment où Mohamed Cheikh se charge de mythifier leurs origines et de glorifier, aux yeux de Aziz, leur rôle présumé dans le ‘’renforcement’’ du régime.
Mais ni Aziz, ni les mousquetaires ne doivent perdre de l’esprit, qu’en voulant trop mythifier Maaouya, Mohamed Cheikh l’a tout simplement momifié avant d’assister, en vainqueur, à l’exil de son sarcophage vers la lointaine péninsule arabique, où il attend la construction de sa pyramide.