Le président de la République a donc décidé de soumettre les amendements constitutionnels rejetés par le Sénat à l’arbitrage du peuple mauritanien. Il tient, en dépit des avis défavorables des juristes, dont certains qui ont publié ce mardi une déclaration (voir page 2) et des contestations, variablement virulentes, de l’opposition dite radicale (FNDU et RFD), des anciens bâtonniers de la République, à utiliser l’article 38 de la Constitution pour faire modifier celle-ci. Ould Abdel Aziz tient à sa décision, laisse-t-il entendre, tout simplement parce qu’il est le chef et incarne les institutions. « Trente-trois individus, fussent-ils sénateurs et de ma majorité, ne peuvent pas bloquer ma volonté » : voilà qui est clair et limpide. Le chef a toujours raison, même quand il a tort, selon la célèbre maxime de l’Armée. Nous irons donc au referendum parce que le chef l’a voulu et parce que nous en avons les moyens, selon lui. Toute la République va se mettre en branle, pour exiger un oui massif des populations, taraudées qu’elles sont par les problèmes de leur quotidien dont presque personne ne se soucie. Même si la date n’est pas encore officiellement arrêtée, on évoque fin Juillet et les troupes du gouvernement sont déjà en chauffe. Ainsi le principal parti de la majorité, l’UPR, a tenu une réunion de son bureau exécutif, jeudi dernier. Objectif : préparer la mise en place de commissions de sensibilisation. Elles vont sillonner le pays, en long et en large, pour inciter/motiver les gens à approuver, contrairement aux sénateurs, la modification de la Constitution.
Toujours dans la même stratégie, le président de la République aurait intimé l’ordre de ranger aux oubliettes les querelles de positionnement, entre certains segments de sa majorité. Moulaye ould Mohamed Lagdhdaf et l’actuel Premier des ministres, Ould Hademine, ont été sommés de taire leurs divergences, pour éviter tout autre claque au gouvernement. Le président de la République n’entend pas perdre le referendum. Et s’il le perdait ? Inimaginable pour un homme qui se targue de n’être pas né pour échouer et n’entend jamais démissionner d’un pouvoir qu’il a conquis par sa propre volonté. Nous sommes donc en République très très démocratique du Gondwana ?
Messaoud met les pieds dans le plat
Resté longtemps silencieux, le président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP), Messaoud ould Boulkheïr, a clairement affiché, dans une interview exclusive au Calame, son soutien au referendum. Mieux, APP battra campagne en sa faveur. Parce que « le recours au referendum », estime l’ancien président de l’Assemblée nationale, « un argument fondé, du point de vue de la Constitution, de la loi, de la justice, de la logique politique et de la morale ». On se rappelle qu’APP est un des participants au dernier dialogue qui s’est opposé au recours du Parlement, par le gouvernement, pour faire passer les amendements constitutionnels.
Cette sortie d’Ould Boulkheïr est généralement interprétée comme un soutien au Président empêtré dans une crise, au sein même de sa propre majorité. Certains leaders de l’opposition évoquent l’« Acte 3 » de ses manœuvres en faveur d’Ould Abdel Aziz. Et de rappeler comment Messaoud ould Boulkheïr désamorça la bombe du Printemps Arabe dont l’onde de choc commençait à atteindre notre pays, avant de sauver le pouvoir, lors de la rocambolesque « balle amie ». Des rumeurs, de plus en plus persistantes, faisaient alors croire qu’Ould Abdel Aziz, évacué en France, était dans l’incapacité de gouverner le pays. Pour « rassurer les Mauritaniens », il fallut une conférence de presse et des déclarations fracassantes du président d’APP : « J’ai parlé au Président qui se porte à merveille », avait, en substance, déclaré Messaoud coupant l’herbe sous les pieds de « l’autre » opposition. Des gestes qui n’auraient pas été payés en conséquence, estiment beaucoup de cadres et militants d’APP, mais que l’intéressé explique par son seul désir de sauver la Mauritanie et lui éviter le désastre.
Et « l’autre » l’opposition ?
Elle n’est pas surprise par la décision du Président. Elle s’y attendait, même. En effet, avant sa dernière conférence de presse, le Forum national pour la démocratie et l’unité avait mis en garde le pouvoir contre tout forcing pour modifier la Constitution. Aujourd’hui, le mal est fait. Que reste-t-il donc au FNDU ? Continuer le combat, en usant de tous les moyens légaux, démocratiques donc, pour faire échec à l’agenda du chef de l’Etat. L’opposition a annoncé les couleurs, en appelant les Mauritaniens à boycotter la consultation imposée, tout en attirant l’attention des partenaires au développement sur les risques que l’actuel Président fait courir au pays.
Non seulement Ould Abdel Aziz va foncer mais il a, de surcroît, choisi d’ignore l’appel au dialogue exprimé par le FNDU et le RFD, l’ONU et l’UE. Rappelons, ici, qu’au cours de sa dernière prestation télévisée, le président de la République a indiqué, sans détour, qu’il n’entendait pas se faire dicter la conduite à tenir par des partenaires au développement. Rideau ! Et clap clap de qui y voit honneur, fraternité et justice…
DL