Ecorché, à vif, dans son orgueil, le président de la République décide de faire, du referendum, une affaire presque personnelle. « Nous allons le gagner ! », a-t-il dit en substance, lors de sa prestation télévisée du mercredi 22 Mars, « Je ne suis pas fait pour perdre, je ne vais pas démissionner, même si le peuple rejette la modification de la Constitution ! ».
Comment, s’insurge-t-il, trente-trois sénateurs pourraient-ils bloquer son projet, si bien accepté et recommandé, par le dialogue et son corolaire, l’accord du 20 Octobre ? C’est donc en évoquant sa majorité, au sein du Parlement du peuple mauritanien, que le Raïs entend poursuivre son agenda jusqu’au bout, conseillé qu’il est, affirme-t-il, par d’éminents constitutionnalistes qui ne « font pas de la politique ». Allusion claire au professeur Dahi, père de la Constitution de 1991, modifiée, sept ans plus tard, par le CMJD, via referendum. Mais le célèbre juriste n’a-t-il invité le président Aziz à tirer les conséquences du rejet des sénateurs et à démissionner ?
L’hostilité du Sénat et de l’opposition dite radicale ? Ould Abdel Aziz n’en a cure. Les Mauritaniens seront donc appelés à arbitrer, via referendum. Point final, selon l’homme du 8 Août. Une option que le gouvernement avait rejetée, à cause de son coût, 6 milliards d’ouguiyas. Un montant qu’Ould Abdel Aziz disait vouloir injecter dans les secteurs sociaux, et qu’il devra sacrifier, pour relever son défi de faire passer ses amendements constitutionnels. Avec l’appui de sa majorité, peut-être, mais envers et contre la Constitution elle-même, sans aucun doute, puisque leur rejet, par le Sénat, a clairement fermé la porte au referendum.
L’article 99 de notre Loi fondamentale est très clair à ce sujet : « […]Tout projet de révision doit être voté à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale et des deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au referendum ». Le projet a certes recueilli l’aval des deux-tiers des députés mais… à peine plus d’un tiers des sénateurs : il ne peut donc plus être soumis au referendum populaire. CQFD.
Le Président espère contourner cette barrière en faisant appel à une autre disposition – l’article 38 – de la Constitution : « Le président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de referendum ». Mais, pour être une question d’importance nationale, la moindre révision constitutionnelle fait l’objet de dispositions précisément définies par la Loi fondamentale, en un titre qui lui est spécialement consacré : « Titre XI : De la Révision de la Constitution » ; précisément initié par… ledit article 99 ! Bref, prétendre organiser un referendum sur cette question est, incontestablement, un projet anticonstitutionnel. Voilà pourquoi le FNDU et le RFD parlent de coup d’Etat contre la Constitution et annoncent, en conséquence, mobilisation de la rue, campagne de sensibilisation des citoyens, et toute autre action susceptible de barrer la route au projet du Raïs. Chaudes empoignades en perspective.
Autre fait majeur de la prestation du président de la République, son refus, catégorique, d’ouvrir un nouveau dialogue avec son opposition dite radicale. Le tombeur de Sidi ould Cheikh Abdallahi n’entend pas « perdre son temps avec des gens qui veulent l’entraîner dans un cirque». Dans leurs derniers communiqués de presse, le FNDU et le RFD se sont pourtant déclarés enclins à fournir de nouveaux efforts, pour sortir le pays de la tension politique qu’il vit, depuis Août 2008. Et de souligner l’opportunité offerte, par le Sénat, à Mohamed Ould Abdel Aziz, de suspendre son agenda et d’engager un dialogue enfin vraiment inclusif, centré sur la préparation consensuelle des échéances électorales de 2018 et 2019. Las ! Le Rais a rejeté cette perche.
Toujours dans le même ordre d’idées, Ould Abdel Aziz a exclu toute « ingérence » des partenaires étrangers dont certains, comme l’ONU et l’UE, venaient d’appeler, justement, à un nouveau dialogue. « Personne ne viendra, chez nous, nous dicter la conduite à tenir ! », a martelé le Président, fustigeant, au passage, tous ceux qui courent les ambassades, critiquent son régime, réclament leur intervention.
En attendant la publication de la date du referendum, le gouvernement ameute ses troupes. Le principal parti de la majorité – l’UPR, pour ne pas le nommer – convoque une réunion de sa plus haute instance ; barons et autres huiles affutent leurs armes, pour se refaire une petite santé financière, pendant cette échéance qui va occuper le pays plusieurs semaines. Toute l’administration sera bloquée et dilapidées, les ressources qui devraient être attribuées à questions bien plus urgentes…
DL
ENCADRE
Voici ce que disent précisément les articles 38, 99, 100 et 101 :
Article 38 : Le président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de referendum.
Article 99 : L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux membres du Parlement. Aucun projet de révision présenté par les parlementaires ne peut être discuté s’il n’a pas été signé par un tiers (1/3) au moins des membres composant l’une des Assemblées. Tout projet de révision doit être voté à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée nationale et des deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au referendum. Aucune procédure de révision de la Constitution ne peut être engagée si elle met en cause l’existence de l’Etat ou porte atteinte à l’intégrité du territoire, à la forme républicaine des Institutions, au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne ou au principe de l’alternance démocratique au pouvoir et à son corollaire, le principe selon lequel le mandat du président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois, comme prévu aux articles 26 et 28 ci-dessus.
Article 100 : La révision de la Constitution est définitive après avoir été approuvée par referendum à la majorité simple des suffrages exprimés. Article 101 : Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au referendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. Le bureau du congrès est celui de l’Assemblée Nationale.
Article 101 : Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au referendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. Le bureau du congrès est celui de l’Assemblée nationale.