Perspectives de formations techniques en Mauritanie (5) /Par Ian Mansour de Grange – consultant, chercheur associé au LERHI – faculté de Nouakchott

23 March, 2017 - 02:34

Le présent dossier date de 2008. Il n’est pas, pour autant, vraiment dépassé par les évènements. En matière de formations techniques et professionnelles, où les investissements sont souvent coûteux et ne portent, généralement, leurs fruits qu'à échéance lointaine – de l'ordre, disons, de la décennie – il est nécessaire de donner de l'ampleur au regard, sans pourtant négliger de plus immédiates contingences. L'exercice n'est pas sans intérêt. Nous invitant à relier sans cesse le proche et le lointain, il nous accoutume à la plus saine des attitudes mentales, unifiant notre perception des réalités : condition probable des meilleures politiques... Cinquième et dernier article de la série : nous voici rendus à l’examen de l’étage supérieur où se décident les grandes options stratégiques, d’ordre généralement global. Mais global signifie-t-il flou ? Or, il semble bien que, faute d’informations suffisamment détaillées, on raisonne, en permanence, sur des évanescences, sujettes à toutes sortes  d’interprétations, dont la pertinence relève plus du flair que de l’analyse objective, toujours en deçà, malheureusement, des besoins réels. Fatalité ? Esquisse d’une alternative…

 

Une des problématiques spécifiques de la Mauritanie tient en la conjonction de trois facteurs : territoire de grande ampleur, population réduite, sous-développement technique. Perçue sous un angle dynamique, cette triplicité ouvre cependant des perspectives : l’énorme potentiel de progression technique devrait assurer une élévation sensible du ratio, entre la rentabilité des ressources naturelles, renouvelables ou non, et le nombre d’habitants. Dans quelle mesure et à quel terme ? Les réponses, multiples, à ces questions sous-entendent différentes options stratégiques et il ne semble pas qu’une politique cohérente ait pu, à ce jour, s’imposer entre tous les partenaires impliqués dans le développement du pays. On s’accorde, certes, à reconnaître l’impérieuse priorité de l’action éducative, mais comment la répartir ? Tout est à faire en même temps, nous l’avons précédemment souligné : infra- et superstructures, enseignements fondamentaux et spécialisés, permanences administratives, adaptation aux conjonctures nationale et internationale ; le PNDSE (Programme National de Développement du Secteur Educatif) a fort à faire pour seulement conduire, durablement, une même stratégie, jusque dans ses applications les plus localisées.

 

Unités éducatives de base

C’est pourquoi avions-nous, en nos précédents articles, tant insisté sur les unités éducatives de base (classe ou atelier) dont la prise en considération semble beaucoup trop sommaire, en l’état actuel de gestion du domaine. La détermination d’une stratégie affinée, à portée lointaine, voire échéances précises, repose, en toute première analyse, sur un état des lieux, couvrant les différentes rubriques (foncier, immobilier, mobilier, fonctionnement), annuellement actualisé, de chaque unité éducative de base, et répertoriant, le plus exactement possible, les besoins en fonction des priorités ressenties sur place. On aura des surprises. Ainsi, dans le domaine de la formation professionnelle, on découvrira, par exemple, que, s’il existe, globalement, de profondes carences en équipement, on trouve, parfois, du matériel inutilisé, par manque de compétences – cela met en cause la formation des formateurs – par manque d’informations (mode d’emploi ou de montage manquant) – et cela  met en cause l’intendance – tout comme dans le cas du matériel inutilisable (pièces défectueuses ou disparues). Un tel répertoire est exploitable à différents niveaux. Intégré au bilan annuel de chaque localité ou établissement, il peut faire l’objet d’un traitement particulier, par les différents partenaires, publics ou privés, du lieu, au sein d’un plan ajusté de développement local durable. Au niveau, un peu plus global, de la moughataa, l’examen de plusieurs répertoires locaux est de nature à mettre en œuvre des réponses adaptées à cette dimension ; moins détaillées, probablement ; complémentaires des premières, en tous cas. C’est, par exemple, la démarche des ONG koweïtis, qui envisagent le développement durable surtout en termes de connectivité. De telles approches impliquent, non seulement une collaboration, étroite, avec et entre les différents services communaux ou départementaux de l’Etat, autour du maire ou du hakem, mais encore une définition, précise, de leur degré respectif d’autonomie, par rapport aux services centraux. Un certain nombre d’initiatives, notamment celles relevant de l’amélioration du fonctionnement des établissements éducatifs, doivent être possibles, facilitées, encouragées même, minimisant ainsi les pesanteurs administratives.

C’est au niveau national que s’interprètent, en fin de compte, ces répertoires, à l’aune des besoins réels en qualifications. Or, il ne semble pas, non plus, que les décideurs soient, à ce sujet, tous d’accord. Prenons l’exemple de la maintenance en matériel médical. Certains soutiennent, mordicus, qu’il faudrait, au moins, un centre mauritanien spécialisé dans ce type de formations. Cela nécessite, pourtant, un matériel extrêmement lourd, cher et sophistiqué, avec un ratio investissements par nombre annuel de stagiaires démesurément élevé.  L’option qui consiste à augmenter, bien au-delà du besoin, le nombre d’élèves – et qui n’a d’autre résultat que de renforcer le flot des diplômés-chômeurs – s’est révélée, en des cas similaires, suffisamment absurde pour être définitivement écartée. Ouvrant le champ des investigations, on va s’apercevoir qu’il existe, au Sénégal, à Diourbel très précisément, un tel centre de formations. Expédions-y nos stagiaires. A l’inverse, donnons, à notre centre de formations aux métiers de la pêche (ENEMP), sis à Nouadhibou, une dimension sous-régionale, voire continentale. Cette approche internationalisée des formations à gros budget mériterait une attention plus soutenue.

 

Triplicité de dimension

L’estimation de la réalité des besoins n’est jamais une mince affaire. En matière de formations professionnelles comme ailleurs. En l’occurrence qui nous préoccupe ici, la question des choix stratégiques est déterminante et met en cause une triplicité de dimension : écologique, sociale et économique. Dans quel ordre ? C’est déjà toute une discussion. Pour certains, c’est le marché économique qui décide, impérativement, d’une production donnée. Pour d’autres, la loi du marché doit être, nécessairement, assujettie à des contraintes sociales et écologiques. La boutade selon laquelle : « Les Mauritaniens ne seront entièrement maîtres des technologies extractives que lorsqu’il n’y aura plus rien à extraire » n’est pas totalement dénuée de sens… Elle pose, notamment, la problématique de la répartition des compétences. Avec une population d’à peine trois millions et demi d’habitants – qui devrait, certes, doubler d’ici vingt ans, et c’est, bien évidemment, sur cette perspective qu’il s’agirait de construire le plan global des qualifications nationales, en se donnant des horizons suffisamment élargis, nous y reviendrons – la Mauritanie peut-elle exploiter son vaste territoire en comptant sur ses seules forces vives ? La situation est assez  analogue à celle de l’Arabie saoudite, les moyens financiers en moins, et l’appréciation de cette dernière nuance, que des espoirs pétroliers variablement pertinents modulent d’un décideur à l’autre, ne manque pas d’interférer, notablement, dans les discussions. Former cent techniciens de pointe ou mille ouvriers spécialisés ? C’est, grosso modo, l’interrogation à circonscrire, secteur par secteur, activité par activité, dans l’approche du prochain PNDSE.

C’est, en effet, en 2010, pratiquement demain donc, qu’un nouveau plan national de développement du secteur éducatif devrait voir le jour. Il reste peu de temps, pour faire le bilan des dix dernières années, et, sans l’indispensable inventaire annuel – classe par classe, atelier par atelier – dont nous avons souligné, plus haut, l’impérieuse nécessité, sans une appréciation suffisamment consensuelle de la réalité des besoins, on en sera réduit, une nouvelle fois, à des approximations génératrices des plus hasardeuses exploitations – restons dans l’euphémisme – même si le hasard remplit parfois bien les poches, les importateurs en matériel sophistiqué ne me contrediront pas. On le voit : si la question est d’ordre technique, elle est, aussi, d’ordre politique. Au minimum, le plan en question s’échelonnera sur dix ans. Il me semble qu’il devrait même intégrer une dimension bidécennale, du moins sur les grands axes structuraux, réservant, au décennal, les indispensables affinements conjoncturels. Quoiqu’il en soit, les échéances électorales, quinquennales quant à elles, imposent des discussions, très approfondies, entre toutes les composantes politiques de la Nation, sur ce type d’orientations à échéance relativement lointaines, intégrant, en tout cas, la possibilité d’alternance(s) politique(s). En matière d’éducation – et, très particulièrement, en celle des formations spécialisées – l’instabilité des structures et des programmes n’est jamais une bonne chose et les bouleversements de réformes, fussent-elles des plus lumineuses, sont rarement productifs, surtout s’ils peuvent être systématiquement reproduits tous les cinq ans. Il faut avoir la sagesse de négocier, de mettre sur la table les éventuels points de désaccord susceptibles de conduire, lors d’une alternance politique, à une révision du programme, et en instruire les paramètres dans l’élaboration du PNDSE. Le récent statut de l’opposition  pourrait être, ici, mis largement à profit.

 

‘’Continuité située’’

Le groupe consultatif sur la Mauritanie, réuni à Paris, le mois dernier [Décembre 2007, NDR], s’est entendu sur une enveloppe de subventions quasiment double de ce qui avait été sollicité. Dans le projet initial, la part strictement destinée à la formation professionnelle s’élevait à un milliard d’ouguiyas, et une lecture extensive de plusieurs projets pourrait permettre d’annexer telle ou telle partie de leur financement au titre de la formation professionnelle, sous la forme de stages en situation, par exemple. Cela dit, il faudra attendre la publication de prochains documents, avant d’affiner la compréhension de l’enveloppe finale, qui constituera un élément de poids, dans la prochaine stratégie décennale. On sait, cependant, que les PPP (Partenariats Public-Privé) vont être amenés à jouer un rôle singulièrement accru. Sans entrer  dans les détails, rappelons qu’un PPP met, le plus souvent, en jeu deux entreprises privées, au moins – une mauritanienne et une étrangère – amenées à construire une nouvelle entreprise, avec le soutien, normalement limité dans le temps – deux à trois ans – d’une institution publique de développement, bilatérale ou multilatérale. Deux objectifs sont principalement visés : la rentabilité et la transmission de compétences. On est, de fait, en plein domaine de la formation professionnelle, envisagée sous l’angle de la « continuité située » : à partir d’une qualification initiale, normalement acquise par l’entreprise mauritanienne fondatrice, l’injection de nouvelles conduites et technologies par l’entreprise associée, élève, peu à peu, les compétences, surtout lorsque le partenariat prévoit un volet spécifique de formations, souvent accomplie hors de la Mauritanie, au sein de l’entreprise étrangère associée, par exemple.

Au-delà de la question, pendante, du partage des bénéfices nets de la nouvelle entreprise – on sent bien, en tout cela, un petit air de délocalisation – dans quelle mesure ces PPP ouvriront-elles la voie à des entreprises strictement nationales ? Le marché sature vite en Mauritanie et l’on se prend à rêver à des PPSS (Partenariat Public Société Civile) – voire des PPPSS (Partenariat Public Privé Société Civile) – où les entreprises privées cèdent la place, en tout ou en partie, à des structures associatives, pas forcément moins compétentes, loin de là.  Je citais, dernièrement, Aqua-Assistance, cette filiale humanitaire de la Lyonnaise des Eaux – et, donc, du richissime groupe Indo-Suez –  où de très compétents retraités œuvrent, tout à la fois, au bien public et à celui de la prestigieuse multinationale : on aimerait instruire ce genre d’ONG sur les bienfaits du waqf et des multiples intérêts à le promouvoir, de concert avec les bailleurs institutionnels et l’Etat mauritanien… La conjoncture ouverte par le groupe consultatif de Paris ne serait-elle pas propice à de telles opportunités ? Posons différemment et plus exactement la question. Sur les quasi six cent milliards d’ouguiyas d’aides – au minimum : plusieurs bailleurs n’ayant pas encore précisé le montant de leurs promesses – quel pourcentage pourrait-il être investi dans des AGR dont les bénéfices nets permettraient d’assurer, durablement, le fonctionnement des diverses formations mauritaniennes ? S’il fallait, dès à présent, poser la question, on en reparlera, sans doute mieux, dans quelques mois, un peu plus au près du bilan du présent PNDSE… Et, dix ans plus tard, sa complémentaire : où en est-on ?