Ils l’ont fait. Les sénateurs ont dit non aux amendements constitutionnels proposés par le Président et pour lesquels il n’a ménagé aucun effort. Il aura tout fait pour les faire passer : distribuer gracieusement des terrains aux parlementaires, les recevoir, ensemble puis un à un, et tous, du moins ceux de sa majorité (pardon, minorité !) lui avaient juré, main sur le cœur, que les amendements passeraient comme lettre à la poste. Comme l’ont fait les députés qui n’avaient, eux, rien à perdre dans cette bataille : pas voués à dissolution ni gémonies, ni accusés de tous les maux, depuis le fracas d’Ould Abel Aziz, l’an dernier à Néma, beuglant que la Mauritanie pouvait bien se passer d’un sénat aussi coûteux qu’inutile. Ah, on s’en souviendra, de ce branlebas de combat ! Tous les ministres, députés, responsables de l’UPR au charbon, chacun de son couplet, à ne ménager les pauvres sénateurs interloqués, réduits à se demander à quelle sauce seraient-ils mangés. Mais, à quelques exceptions près, nos honorables ont gardé leur calme. Attendant le jour J pour ne pas rater, comme la mule du pape, l’occasion de se venger. Si bien que, depuis ce vote historique, la majorité – Président, parti et gouvernement en vrac – se trouve tête à cul dans le même sac, « out », comme disent les Anglo-saxons. Aucun des partis dits dialoguistes n’a, non plus, pipé mot. Personne n’a encore compris ce qui s’est passé, tous à guetter la réaction d’Ould Abdel Aziz. A part un député zélé qui a écumé les radios et les télés pour se contredire, les laudateurs font profil bas, en attendant de voir de quoi sera fait demain.
En tout état de cause et d’effet, c’est à une mini-révolution qu’on a assisté, vendredi dernier. Pour la première fois, Ould Abdel Aziz à qui tout souriait, depuis sa prise de pouvoir, se retrouve dans une situation pour le moins inconfortable. Désavoué par une partie de sa propre majorité, exactement comme en 2008, lorsqu’un bataillon de députés se rebella, sous son impulsion, contre le Président Sidioca. Qui a tué par l’épée… Persuadé que tout se passerait bien, voilà notre guide éclairé tombé des nues. Complètement groggy, il a commencé, deux jours après le coup de tonnerre, à recevoir du monde : Premier ministre, présidents de l’UPR, de la Coalition de la Majorité et des partis dialoguistes… Il ne veut pas, dit-on, prendre de décision dans la précipitation. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura un avant et un après 17 Mars. La « rébellion » du Sénat sonne-t-elle le glas d’une majorité appelée, probablement, à nouvelles lézardes ? Les Mauritaniens ayant, tout comme la nature, horreur du vide, il y a fort à parier qu’avec le renoncement public d’Ould Abdel Aziz à se porter candidat en 2019, tout partira en vrille. Tout comme le départ de Maaouya, en 2005, fit voler sa majorité en mille morceaux, 2019 risque d’être un tournant. Et si le non du Sénat en était déjà l’amorce ? Le point de départ d’une refondation ? Il serait très optimiste d’aller aussi vite en besogne mais quelque chose est en train de changer dans ce pays. Les citoyens en auraient donc assez d’être traités en éternels moutons de Panurge ? Refuseraient-ils, enfin, de cautionner le pillage, à ciel ouvert, de leurs ressources ? Puisse le Sénat être le déclencheur d’une révolution contre un système qui nous a fait tant de mal ! Et qui s’apprêtait à commettre de nouveau l’irréparable, en 2019…
Le tourmenteur de la fameuse mule du pape s’appelait Tistet Védène, s’est souvenu la mémoire populaire provençale, immortalisée par Alphonse Daudet. La nôtre, mauritanienne, ne retiendra-t-elle au final, que le souvenir de Tistet Aziz pulvérisé, un fameux vendredi 17 Mars 2017, à Nouakchott, d’un coup de sabot sénatorial si terrible, si terrible, que du fond du Majabat al Koubra, on en vit la fumée ?
Ahmed Ould Cheikh