Le spectre de la famine plane sur Kaédi, alors que les créances, principale pomme de discorde, ont été recouvertes à 100%. Cette année encore, le récurrent problème de paiement des redevances de la précédente campagne est à l’origine de l’inactivité des Périmètres Pilotes du Gorgol PPG1 (600 ha exploités) et PPG2 (1500 ha exploités) : deux importantes infrastructures mises en place pour permettre, aux populations riveraines, d’assurer une production soutenue et satisfaire les besoins de consommation de leurs ménages. La grande campagne rizicole (hivernage) 2016-2017 n’a pas eu lieu et les populations de quatre communes – Kaédi, Djéol, Ganki et Lexeïba, soit quinze mille foyers – sont, aujourd’hui, menacées de famine.
Pour parer à l’urgence, les exploitants agricoles ont lancé un appel aux pouvoirs publics et aux partenaires au développement, afin d’ « apporter une assistance alimentaire et pastorale d’urgence, aux populations directement touchées (Kaédi, Djéwol, Ganki, Lexeïba) » ; de permettre le démarrage d’une « campagne de contresaison d’urgence, avec des subventions qui prennent en compte l’aspect familial de ces exploitations rizicoles » ; et, enfin, de « permettre une rencontre entre les représentants des paysans et les hautes autorités, dans le but de faciliter la mise en œuvre de ces deux opérations ». Cet appel a reçu une oreille attentive d’une actrice politique native de la région.
Pour permettre un démarrage de la campagne de contresaison et épargner le grenier du pays d’une famine imminente, madame Coumba Ba‚ ministre de la Fonction publique et de la modernisation de l’Administration, a, pour la deuxième fois consécutive, offert un montant de cinq millions d’ouguiyas, pour aider au paiement des redevances, aux responsables du comité de gestion du PPG1 et leur permettre, ainsi, d’honorer leurs engagements auprès de la CDD (Caisse de Dépôt et de Développement) qui exigeait‚ avant tout nouveau financement‚ le remboursement intégral des créances de la campagne précédente.
En dépit de cette avancée significative, de sérieux blocages demeurent. Le directeur régional de la SONADER a notifié, au président du comité du PPG1, qu’il aurait reçu des instructions de Nouakchott‚ lui enjoignant de surseoir à la décision des présidents de coopératives de déléguer leur signature aux responsables du comité, comme c’était le cas avec l’UNCACEM (Crédit agricole, avant la fondation de la CDD). Mauvaise volonté des autorités ou opération de sape ? Mystère et boule de gomme… Certains y voient une volonté « d’étouffer les populations », dans un « embargo économique » qui ne dit pas son nom. Quoiqu‘il en soit, les exploitants se rendent aujourd’hui à l’évidence, soumis qu’ils sont au diktat des autorités, par l’entremise de la CDD et de la SONADER. Ces atermoiements ont, d’ores et déjà, compromis la campagne de contresaison rizicole.
Risque de dégradation
Pourtant, note le Réseau des Ongs sur la Sécurité Alimentaire (ROSA), « les apports des deux périmètres constituent une bonne source de provisions alimentaires, notamment en riz, aujourd’hui principale céréale des quatre communes. Par ailleurs, les sous-produits de sa culture, principalement la paille et le son, sont utilisés pour nourrir les animaux. La vente de la paille aux éleveurs est une importante source de revenus pour les ménages riziculteurs ». L’inexploitation des périmètres est une menace sérieuse, tranche le réseau, d’insécurité alimentaire pour les populations qui en dépendent. Avec la période de soudure en ligne de mire et les réserves alimentaires qui vont s’amenuiser, ce risque est réel. Sur le plan nutritionnel, la période de soudure est un moment d’autant plus préoccupant, dans l’année, que les taux de Malnutrition Aiguë Globale (MAG), pour les enfants de 6 à 9 mois, ont toujours été élevés au Gorgol. Ces taux dépassent souvent leur seuil d’urgence (15%), comme en Juillet 2015 où la MAG était de 19,8%.
« Avec le manque de production agricole dans les quatre communes, la situation alimentaire et nutritionnelle risque de se dégrader », déplore le ROSA, « si des mesures idoines ne sont pas prises pour parer au pire. Quinze mille ménages sont en proie à l’insécurité alimentaire et les enfants de moins de 5 ans courent un risque nutritionnel très élevé ». Et le ROSA de se faire l’écho du souhait des nombreux riziculteurs des deux PPG qui veulent engager une campagne de contresaison, pour atténuer ces risques. Le Réseau exhorte les bureaux des comités de gestion des deux PPG à développer une gestion transparente des redevances, sans laquelle les campagnes agricoles sont retardées voire compromises, et attire l’attention des autorités nationales sur les conséquences prévisibles de cette réalité. « Il faut anticiper », conclut-il, « et atténuer l’impact, sur les populations rurales des quatre communes, d’un déficit important de production ».
Synthèse Thiam Mamadou
Encadré
Campagne rizicole: Les dessous d’un échec
Encore et encore, les paysans s’alarment. Ils crient, sur tous les toits, famine, à l’image de la cigale, la chanteuse, qui n’a d’autre choix que d’aller quémander chez sa voisine la fourmi, la travailleuse. De ces deux bestioles, l’une a eu au moins le toupet d’ironiser sur le sort de l’autre, l’expédiant manu militari à ses penchants originels. Ainsi se présentent les deux visages de la population paysanne du Gorgol, de Kaédi précisément. Pour ces gens, les années passent et se ressemblent. Chaque campagne agricole tient en laisse la suivante, avec force discussions et commérages, souvent vains, autour des mêmes sempiternelles redevances, factures de courant et autres frais non négligeables liés à la structuration des coopératives. Les surfaces aménagées et exploitées, depuis 1977, n’ont-elles donc pas d’histoire et les exploitants aucune mémoire ni génie pour prospérer sur leurs propres terres ? Situation insolite, sans doute, mais dont la responsabilité pèse, lourdement, sur ses ayant- droits qui n’ont toujours pas compris que l’Etat-providence n’existe plus, que l’alliage agriculture-politique ne tient pas, relevant d’une alchimie à l’évidence caduque. Tenaillés entre les problèmes structurels, liés à la problématique des grands aménagements (canalisations mal faites, ravitaillement en eau aléatoire, mode de gestion inappropriée et chaotique des coopératives) et les conjoncturels (manque de préparation des sols, faute d’engins, absence de circuit normalisé de semences certifiées), les paysans pataugent, tergiversent et compromettent leurs outils de travail. Les structures de gestion ne sont pas en mesure de se loger dans l’optique entrepreneuriale, elles sont composées d’hommes cooptés non pas en fonction des compétences mais sur des bases ethniques, sans aucune vision de développement du secteur. Coopératives toujours illusoires, après quarante années d’existence, enfermant les exploitants en posture de mendiants, à chaque campagne. Il faut, impérativement, revoir ce mode d’organisation ancrée sur la coopérative, construire une vraie filière rizicole où l’irrigation soit, enfin, pensée et réalisée de façon professionnelle et cohérente. Pour une exploitation optimale des périmètres, assujettis au vieillissement de sa population exploitante, la solution, au-delà des mécanismes de financement et de gestion, est, peut-être, d’intéresser les jeunes qui ont, pour la plupart, tourné le dos à la terre. Les uns exilés sous d’autres cieux, d’ailleurs pas très reluisants, les autres abonnés au petit commerce autour des services de la téléphonie mobile, ils ont, tous, besoin d’une politique d’incitation capable de changer la donne à court terme.
En faisant table rase de la campagne hivernale 2016-2017, les paysans en sont à chercher des forceps pour s’engager dans une campagne de contre-saison chaude encore plus incertaine et douteuse, quant à sa réussite. Etouffés sous l’éternel goulot d’étranglement de l’endettement envers les bailleurs – hier Crédit agricole, aujourd’hui CDD – les paysans semblent avoir le ventre plus gros que les yeux, pour se lancer dans une hypothétique entreprise qui pourrait, même, porter préjudice à la campagne 2017-2018. Au lieu de crier, tout haut, famine et solliciter une aide d’urgence qui ne les satisfera pas, comme toujours, les acteurs régionaux de la filière gagneraient à l’analyse introspective pour mieux maîtriser les impondérables qui découlent de leur attitude mécanique, inconciliable avec une filière aussi porteuse que le riz. L’agriculture familiale constitue, dit-on, la voie royale pour arriver à l’autosuffisance alimentaire, dans les pays en développement, mais, du côté de la vallée, le moteur est encore grippé et tardera, sûrement, à ronronner. En attendant, le doute persiste et les exploitants crient, de plus en plus et fort.
B.Diagana
CP Gorgol Kaédi