Les fameux dialogues de 2011 et 2016, les visitations à l’intérieur du pays, le Sommet arabe, les réformes constitutionnelles en cours, le congrès du Parlement, les remaniements périodiques, la médiation gambienne, les problèmes avec le Sénégal et le Maroc… et si tout cela était fait à dessein, pour nous distraire de l’essentiel ? La mise en coupe réglée du pays. Le sac de ses ressources. Les marchés de gré à gré et les commissions faramineuses qu’ils génèrent. Le bradage du patrimoine de l’Etat. Le morcellement de zones entières, au profit de la nomenklatura. Ne trouvez-vous pas bizarre qu’au cours des deux ou trois dernières années, les affaires douteuses ont fait florès ? Comme si une course contre la montre était engagée, pour mettre un maximum de blé de côté, pour les jours difficiles, sait-on jamais ? Si bien que le plus gros scandale ne défraie plus la chronique. Le dernier en date, celui de l’attribution de la ligne haute tension Nouakchott-Nouadhibou, à un consortium indo-saoudien, tout simplement annulée. Le groupement attributaire n’ayant pas misé sur un « bon » cheval. Le Fonds saoudien, qui finançait le projet, à des conditions très avantageuses, a jeté l’éponge. Il a refusé, systématiquement, de cautionner une magouille. Qu’importe ! L’Etat demandera, aux Indiens, de le financer, via l’Eximbank, et de choisir un nouveau représentant dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est bien introduit et héritier, pour l’occasion, d’un bon pactole. Il y en a qui sont nés sous une bonne étoile. L’affaire a fait grand bruit et contribué à discréditer le pays, auprès d’un important bailleur de fonds, mais ce n’est qu’une goutte d’eau, dans un océan de gabegie, prévarication et pillage organisé. Des exemples, en veux-tu, en voilà. La centrale duale de Nouakchott, les lampadaires solaires, le canal de Keur Macène, le barrage de Seguellil, les écoles primaires de Nouakchott, les terrains de l’école de police, du stade et de Nouadhibou, cédés aux mêmes, les usines de farine de poisson, la concession de 25 ans à Polyhondong, le clientélisme, le népotisme et le tribalisme érigés en mode de gouvernance.
Jamais, depuis son indépendance, la Mauritanie n’est tombée aussi bas dans la déchéance. Même au temps d’Ould Taya, qui était tout, sauf un modèle de vertu et de bonne gestion, notre pays ne connut autant de pratiques mafieuses. Plus personne ne peut prétendre à quoi que ce soit, s’il n’est membre ou adossé à un membre du clan. Et il est inimaginable de soumissionner à un marché, sur fonds publics, et le gagner proprement. Les procédures sont biaisées, rien n’échappe à la voracité ambiante. Jusqu’à quand ? Depuis le départ de Mokhtar ould Daddah, le père fondateur qui avait fait don de sa personne et de tout ce qu’on lui offrait, à un pays qu’il a porté sur les fonts baptismaux, et l’arrivée des militaires au pouvoir, on s’enfonce, de plus en plus, dans des eaux nauséabondes. L’argent public n’est plus tabou, le détournement devient la règle et l’enrichissement illicite, une source d’orgueil.
Les Français disent, à juste titre, que « bien mal acquis ne profite jamais ». Nous en avons eu de multiples preuves, avec Kadhafi, Ben Ali, Moubarak et, bien avant eux, Bokassa et Mobutu, pour ne citer qu’eux. Ils amassèrent des fortunes considérables et tout le monde sait comment ils finirent : dans les poubelles de l’Histoire. Dans un pays pauvre, incapable d’assurer un minimum de bien-être, à ses citoyens pressurés d’impôts et de taxes parmi les plus lourds du monde, il n’a pas suffi, à notre guide éclairé, d’être mieux payé que ses homologues qui dirigent de grandes puissances : près de 20.000 euros nets, par mois, contre 18.000 euros pour Angela Merkel, 16.800 euros, pour le Premier ministre britannique ou 17.550 euros pour Jacob Zuma ; il en veut toujours plus. De quoi être dégoûté. Jusqu’à la nausée.
Ahmed ould Cheikh