La Ligue islamique mondiale, nouveau look ?

16 February, 2017 - 00:50

Sur le thème « Le Liban nous rassemble », le chargé d'affaires de l'ambassade saoudienne, Walid Boukhari, a organisé, le 25 Janvier 2017, une rencontre interreligieuse au siège de l'ambassade saoudienne, histoire « de dissiper les nuages qui se sont amoncelés dernièrement dans le ciel des relations libano-saoudiennes », et comme en prolongement de la décrispation intervenue à l'issue de la visite officielle du président Michel Aoun, dans les relations entre le Liban et l'Arabie saoudite. Mais l’événement, c'est la participation, à cette réunion, de l'ex-ministre saoudien de la Justice et actuel secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM), le docteur Mohammed bin Abdulkareem Al-Issa. Signe avant-coureur d’une ouverture vers des réformes religieuses en Arabie saoudite ?

 

Un fait exceptionnel salué par tous

La démarche va, en tout cas, à contresens de la démarche de nombre d’oulémas saoudiens qui n'accepteraient d'assister à une telle manifestation qu'en polémistes. Leur réserve à s'asseoir avec une quelconque entité spirituelle non-musulmane, sauf à s’affronter, est notoire. Or la rencontre du 25 Janvier visait à promouvoir la cohabitation pacifique, l'entraide intercommunautaire et le rapprochement entre les confessions libanaises, dans un élan général d'amour et de paix. Pas vraiment la tasse de thé, donc, de ces distingués savants…

« L'islam met en garde contre l'intolérance et prône la coexistence pacifique avec les autres religions », a notamment déclaré le docteur Al-Issa. « Le dialogue religieux », ajoutait-il, « est donc une voie déontologiquement musulmane, en respect de la dignité de l'Autre et de son humanité. La considération de tout homme, la cohabitation, l'entraide et la tolérance sont des fondements incontournables de notre religion ». Et de citer la célèbre anecdote du prophète (PBL) se levant au passage du convoi funèbre d’un non-musulman. « N'est-elle pas une âme humaine ? », avait répondu le saint guide de l’islam (PBL) à celui qui s’étonnait de son attitude.  « Si un tel respect est redevable à un mort », conclut le SG de la LIM, « il est encore plus mérité et pertinent, envers un vivant. Faute de cultiver cette conscience, certains se sont laissés aller à un rigorisme religieux qui mène, aujourd'hui, à de tragiques confrontations et à de graves préjudices ».

L’HumanIté est diverse. Quelle que soit notre religion, conviction philosophique ou doctrine, nous ne devons jamais perdre de vue cette évidence qui nous conduit à accepter la différence, admettre la pluralité, et la richesse de points de vue qu’elle engendre. « Toutes les confessions religieuses doivent procéder d'une logique de tolérance, pour transcender tous les intérêts secondaires, au profit d'intérêts plus larges et nobles. La logique de tolérance nous rapproche les uns des autres, pour une meilleure cohabitation et pour une coopération optimale, indispensables à la paix locale et universelle. »

De son côté, monseigneur Boulos Matar, archevêque maronite de Beyrouth et représentant le patriarche Raï, a affirmé: « Musulmans et chrétiens réunis, nous formons la moitié des habitants de la planète. Dans l'entente, la fraternité et le respect mutuel voulus par Dieu, nous pouvons gagner le pari de la paix pour le monde entier […] Nous sommes rompus, au Liban, depuis des siècles, à la rencontre, et nous en sommes fiers ; nous savons parfaitement ce qu'est l'islam véritable, comme vous savez, vous-mêmes, ce qu'est le véritable christianisme. L'image de l'islam est blanche dans nos cœurs et nos consciences car l'islam est fondamentalement humanisme et ouverture sur tous. L'islam n'accepte pas l'extrémisme qui a sa source ailleurs que dans la religion et qui disparaîtra comme il est apparu ».

 

Une logique nouvelle impulsée…

Cette nouvelle logique d'ouverture sur les autres – non pas nouvelle, en vérité, mais retrouvée – pour la première fois, évoquée et assumée, par un membre de l'Office des grands oulémas d'Arabie saoudite, marque une étape peut-être décisive dans les luttes idéologiques au sommet de l’intelligentsia saoudienne, et, plus généralement, de la Ligue islamique mondiale. Il ne manquait, certes pas, de rigoristes saoudiens pour combattre, vivement, l’approche prônée par le docteur Al-Issa. Celui-ci a, finalement, réussi à s'imposer, par ses sermons, ses conférences et ses écrits, comme l'expression d'un « islam juste ». En désespoir de cause, ses adversaires se contentent de qualifier ses propos « d'insolites » et de puiser, en l’espoir de le contredire, dans le registre des émotions, ou en se lançant dans de hasardeuses interprétations des textes fondateurs de notre religion bénie.

 

… par le Dr Al-Issa, un érudit au riche parcours

Il faut dire que le docteur Al-Issa, un des érudits saoudiens les plus en vue, dans le développement, incontournable, de la coopération culturelle et religieuse, les a poussés dans leurs derniers retranchements. Collaborant avec de nombreux centres de recherches et universités, en Europe, aux USA, mais, aussi, au Moyen-Orient, le généreux savant a établi de fructueux échanges avec des politiques, des parlementaires, des académiciens, des juristes et tout un panel d’intellectuels de grande renommée. Sa particularité : la franchise. Admettant s'être trompé en certaines de ses analyses, lors de précédents débats, Al-Issa apparaît comme le premier savant religieux saoudien à tenir langue avec les représentants d'autres religions. Une attitude cependant significative de l’actuel contexte saoudien où les esprits religieux s'ouvrent, de plus en plus et en nombre sans cesse croissant, à une approche moins littérale et plus modérée de l'islam, malgré quelques faiblesses, dans la méthode et l'aptitude au dialogue. La situation, à la tête de la plus importante institution islamique mondiale, du docteur Al-Issa renforce d’autant plus cette évolution que la LIM se veut ancrée dans la réalité du terrain, loin de l'influence des États.

 

La Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle, un autre signal fort

Second signe, en ce début 2017, la présence, à Vienne, du 1er au 7 Février, d’Al-Issa, invité d'honneur de « La semaine de l'ONU pour l'harmonie entre les cultures et les religions ». Nouvelle occasion, pour lui, de mettre en évidence les grandes valeurs de coexistence, paix, fraternité, tolérance, harmonie et amour entre tous les êtres humains. En dépit de la conjoncture oppositionnelle des premiers temps de la prédication mohammadienne, l’islam s’est architecturé, a-t-il souligné, dans une dynamique de contrats et de traités, offrant, à tous, un vivre-ensemble équitable, dans le respect des différences et des singularités.

En suivant, la délégation permanente de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) auprès des Nations Unies à Genève, co-organisait, avec l’UNITAR, le second Dialogue de la Foi, de la Consolidation de la paix et du Développement, le 9 Février 2017, dans la Salle des Emirats, au Palais des Nations, à Genève. Parmi les autres coorganisateurs, on peut citer la Mission permanente de la Jordanie auprès des Nations Unies à Genève, la Mission permanente d’observation du Saint-Siège, l’Observateur permanent de Malte auprès des Nations Unies à Genève et l’Association chrétienne des Nations Unies.

 

Encadré : Message du SG des Nations unies, à l’occasion du lancement de la 1ère Semaine de l’ONU pour l'harmonie entre les cultures et les religions, le 1er Février 2011

La première Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle donne l’occasion d’axer l’attention du monde entier sur les efforts déployés par les dirigeants religieux, les mouvements interconfessionnels et des particuliers à travers le monde, pour promouvoir le respect mutuel et la compréhension entre les adeptes de différentes croyances et confessions. Ces partenaires jouent un rôle indispensable en appuyant les efforts de paix de l’Organisation des Nations Unies.

En proclamant la célébration de cette semaine, l’Assemblée générale engage tous les États à profiter de la première semaine de février pour diffuser « auprès des églises, mosquées, synagogues, temples et autres lieux de culte de la planète, [le] message d’harmonie interconfessionnelle et de bonne volonté fondé sur l’amour de Dieu et du prochain, ou sur l’amour du bien et du prochain, selon leurs traditions ou convictions religieuses respectives ».  

Le respect de la diversité et du dialogue pacifique est une condition essentielle, si la famille humaine veut coopérer au niveau mondial, face aux menaces qui pèsent sur tous les habitants de la planète et saisir les opportunités communes. C’est pourquoi les efforts déployés par les États, la société civile et d’autres acteurs, pour renforcer la confiance entre communautés et particuliers sont au cœur d’un si grand nombre d’initiatives de l’Organisation des Nations Unies, allant de l’Alliance des civilisations à notre action de grande envergure, pour protéger les droits de l’homme, promouvoir la cohésion sociale et construire une culture de paix.

La Semaine sera marquée par un vaste éventail d’activités dans le monde entier. À New York, sa célébration comprendra des petits déjeuners interconfessionnels, la projection de films et des entretiens avec la participation active de la société civile, d’entités des Nations Unies et d’autres organisations intergouvernementales.

Je compte bien continuer à travailler avec des personnes de toutes confessions pour que nous puissions nous élever au-dessus des tensions et des conceptions erronées qui nous divisent si souvent, et trouver la voie de l’harmonie et de la dignité pour tous.

(voir, pour plus de détails :  http://www.un.org/fr/events/interfaithharmonyweek/docs.shtml)