Finalement, la crise gambienne a trouvé un dénouement renvoyant at home les militaires mobilisés par la CEDEAO. Pour certains, les présidents mauritanien et guinéen, Mohamed ould Abdel Aziz et Alpha Condé sont les héros qui ont su convaincre Yahya Jammeh d’accepter de quitter le pouvoir, en contrepartie de certaines garanties relatives à sa sécurité et à celle de ses proches. Alors que pour d’autres « obligé ton frère, pas un héros », puisque Jammeh n'avait d’autre choix que de se voir mettre une corde autour du cou et traîner devant les tribunaux internationaux. Une page de l’histoire gambienne se tourne. En coulisses, l’affaire laisse beaucoup d’incompréhensions, entre les présidents sénégalais, mauritanien et guinéen, que les traditions et courtoisies diplomatiques n’ont pas véritablement pu contenir. Des considérations géostratégiques, surtout pour le Sénégal et la Mauritanie, ont provoqué quelques sautes d’humeur qui ont failli faire capoter le processus. Mais celui-ci a finalement abouti à persuader l’entêté dictateur à quitter le pouvoir. Non sans emporter, avec lui, plus de dix millions de dollars et une dizaine de luxueuses voitures. Un pillage systématique des biens publics, parrainé par deux chefs d’État qui ne se suffisent pas d’avoir extorqué, à la justice internationale, un criminel, s’exaltant d’avoir réglé, à l’amiable, un problème qui n’en était, en réalité, pas un. En Mauritanie, certains milieux ajoutent cette action aux prétendues nombreuses «réalisations prodigieuses » et autres «énormes succès » diplomatiques d’Ould Abdel Aziz, « grand chantre de la paix, modèle de démocratie, pivot du pacifisme»...Autosatisfaction par ci et communiqués de félicitations par là. Pourtant, permettre à un président-dictateur responsable de l’exil de plus de cinquante mille de ses concitoyens, massacres extrajudiciaires de milliers d’autres et de conneries de tous ordres, ne devrait, normalement, honorer ni une personne ordinaire ni une personnalité internationale. Voilà un précédent dangereux. Panacée, pour les nombreux dictateurs africains qui ont pignon sur rue ? De quel droit s’est prévalu Jammeh, pour emporter un si important butin, en espèces et en natures ? De quelle moralité les présidents mauritanien et guinéen se sont-ils fendus, pour l’aider à dévaliser, à ciel ouvert, la Gambie ? De quel « péché » les Mauritaniens seraient-ils coupables, pour que leurs biens (avion et kérosène) servent à aider au pillage d’un pays-tiers ? Un jour, peut-être, les autorités gambiennes engageront une action en justice contre le dictateur déchu, pour crimes contre l’humanité et biens mal acquis. Le cas échéant, les présidents Aziz et Condé répondraient de recel, exfiltration de criminel et parrainage de l’impunité. Dans cette histoire rocambolesque, ce serait la CEDEAO, dit-on, qui aurait mandaté Mohamed ould Abdel Azizet Alpha Condé pour convaincre Jammeh. Voilà en tout cas comment notre président se retrouve un peu plus scotché au rang de ceux qui réparent les calebasses des gens et délaissent les leurs. Depuis son coup d’Etat du 6 Août 2008, les crises multiformes secouent la Mauritanie. Socialement, les tensions communautaires sont à leur comble. Economiquement, les conditions de vie des citoyens se dégradent, de jour en jour. Politiquement, le pouvoir et l’opposition n’arrivent pas à s’entendre sur le moindre processus d’assainissement d’un jeu démocratique grippé, depuis plus de huit ans. Ce « talent de pacificateur » et cette frénésie à s’essayer au vertueux diplomate devraient profiter, en priorité, à la Mauritanie. Faire les concessions nécessaires et suffisantes, pour désamorcer la situation et mettre en œuvre, enfin, de grandes concertations nationales, sérieuses et inclusives, avec une feuille consensuelle de route évitant, au pays, des lendemains qui déchantent. La politique du « ça n’arrive qu’aux autres » est trompeuse. Mais cette ambiguïté est une sagesse : mieux vaut la méditer, avant qu’il ne soit trop tard.
El Kory Sneïba