Déchéance de Jammeh : A-t-on ouvert une boîte de Pandore en Afrique ?

26 January, 2017 - 00:33

Ce qui de se passer, en République Islamique de Gambie, constitue un fait sans précédent. Jamais notre club des chefs d’Etat de l’UA ou d’un de ses sous-ensembles (CEDEAO, CEMAC) ne fut unanime pour contraindre un de ses membres au départ. Avec, comme argument, le respect de la démocratie ou, disons-le pus crûment, la vérité des urnes. Même la France s’en est mêlée, lors du sommet Afrique-France de Bamako au cours duquel François Hollande a demandé le respect du choix des populations gambiennes.

Jammeh s’est lourdement trompé. Il n’a jamais pu imaginer que le peuple gambien pouvait exprimer  le ras-bol contre son oppression. Comme d’autres, ailleurs, il pensait diriger un troupeau de moutons. C’est parce qu’il a été très surpris qu’il a appelé son adversaire Barrow pour le féliciter, avant de se rétracter. Mais sous la menace de se retrouver, comme Gbagbo, dans les geôles de la CPI, il a pris peur et rétropédalé. On connaît, depuis avant-hier, la suite du feuilleton.

Mais pourquoi nos chefs d’Etat ont-ils poussé Jammeh vers la sortie ? Quelques hypothèses.  Le personnage est-il devenu trop encombrant ? Ou parce que, tout simplement, ce marabout et charlatan dirige un petit Etat, sans aucune ressource stratégique?  Contrairement au Tchad, au Congo et j’en passe…  Ou, encore, parce que la CEDEAO a été embarquée pour faire plaisir à un Sénégal très mécontent des agissements et humeurs de l’insupportable enfant qu’il porte en son ventre ?

Autres questions : Pourquoi seulement Jammeh ? Il est certes impérieux de faire respecter la voix du peuple, quand il s’exprime librement. Mais c’est valable pour presque tous nos chefs d’Etat africains. On aurait dû agir ainsi avec le rwandais NKurunziza, le congolais Sassou NGuesso, le tchadien Déby, le camerounais Biya, le zimbawéen Mugabe, le gabonais Bongo et j’en oublie.  Tous ont eu, soit à tripatouiller la Constitution de leur pays, pour se représenter, soit à truquer les élections pour rester au pouvoir, soit à embastiller ou à museler leurs opposants, soit à refuser de dialoguer avec leur opposition…Tous ont foulé au pied les règles élémentaires de la démocratie. On n’oublie pas ce qui s‘est passé, lors de l’élection présidentielle, en Guinée Conakry où Alpha Condé, aujourd’hui médiateur en Gambie, avec son homologue mauritanien, est suspecté, tout comme, d’ailleurs, ce dernier, de vouloir modifier la constitution de son pays qui limite ses mandats à deux. C’est dire combien nos chefs d’Etat ont dû mouiller le maillot, pour pousser Jammeh vers la sortie. A l’exception de Buhari au Nigéria, d’Ado, président sortant du Ghana et de leur consœur du Libéria, Ellen J. Sirleef, ils ont tous des choses à se reprocher. Mais mieux vaut tard que jamais, dit l’adage !

 

Vrai faux accord

La France, si vertueuse à exiger le respect du choix des populations gambiennes, entretient le flou sur les résultats des élections gabonaises, congolaises et tchadiennes. Le« deux poids, deux mesures », encore et toujours. Forts de providentiel brouillard, les chefs d’Etat africains se contentaient jusqu’ici, d’envoyer ce qu’ils appellent une délégation de « haut niveau », pour discuter, avec tout auteur de coup d’Etat militaire et/ou anticonstitutionnel. On se rappelle de celles qui séjournèrent en Mauritanie, entre Août 2008 et Juillet 2009 ; plus récemment, au Rwanda, au Burkina Faso, suite à des élections contestées et/ou des crisespolitiques, voire violences post-électorales. Objectif systématique de ses « hautes » délégations : convaincre l’auteur du putsch à instaurer une transition et à organiser des élections. Mais jamais – ô grand jamais ! – exiger le départ d’un chef d’Etat ! On se contentait de suspendre son pays de l’Union Africaine ou d’infliger quelques sanctions, sans lendemain. Certains pays de l’UA refusent même d’exécuter le mandat d’arrêt international émis, par la CPI, contre le président Béchir du Soudan, suspecté d’avoir orchestré des crimes au Darfour.

Pourtant, ce qui est sûr, aujourd’hui, c’est que, tôt au tard, Jammeh sera rattrapé, comme Charles Taylor, par les crimes qu’il a commis, durant ses vingt-deux ans de règne. Et, s’il se confirme qu’il a vidé les caisses de l’Etat, avant de quitter son pays, il rendra des comptes, comme Hissein Habré. Les crimes de sang et d’argent doivent être punis. L’inamovible Théodoro Obeyang Nguema, grand dictateur d’Afrique centrale qui accueille Jammeh, n’y pourra rien. Encore moins le vrai faux accord publié, par le site sénégalais Leral.net. A en croire ce texte, tous les crimes de Jammeh et de ses proches seraient absous par cet « arrangement ».  Mais, à en croire un confrère averti, ce document n’aurait aucune valeur juridique, ni diplomatique, il n’a pas été paraphé par le président légitime Barrow et la CEDEAO. Les deux médiateurs, mauritanien et guinéen, ne sont que des « facilitateurs », appelés en rescousse par leur ami en détresse, sitôt après l’engagement des forces de la CEDEAO, pouvait-on lire sur Vox populi, rapporté, ce lundi, par le site sénégalais leral.net. L’article minimise l’action d’Aziz et de Condé. Selon son auteur, c’est quand il a compris que les forces de la CEDEAO étaient déterminées à le déloger, par la force, que Jammeh s’est résolu à partir, après s’être aménagé une sortie en douce, en appelant ses amis en ce sens. Le cas échéant, y auront-ils, eux-mêmes, pris date et leçon ?

 

 

Cheikh Sidiya