Les faits
Mercredi, aux environs de douze heures, un appel téléphonique m’informe que mon grand frère, un militaire retraité qui revenait de chez nous – Aleg, pour ceux qui ne le savent pas – « a fait un choc », comme on dit, à dix kilomètres de « 90 » Nouakchott, c'est-à-dire, finalement, à cent kilomètres de notre capitale. Les gendarmes décident de le ramener à Boutilimit d’où il est évacué, en ambulance, au CHN. De quinze à seize heures, nous voilà, des proches et moi-même, faisant le pied de grue devant ce que les gens appellent, pompeusement, « Les Urgences ». Ce n’est que vers seize heures passées que la sirène de l’ambulance annonce l’arrivée de « notre » malade. Nous l’accompagnons par la grande porte desdites Urgences. Sans problème. Nous aidons même les employés du CHN à le débarquer, de son chariot, sur un lit, dans une vaste salle, encombrée de visiteurs, de malades, de curieux, d’infirmiers et de quelques jeunes hommes en blouse blanche ; des docteurs en service, peut-être.
Parcours de combattant
De fait, ils sont deux accidentés d’urgence de l’ambulance, maintenant couchés à proximité l’une de l’autre. A attendre les premiers soins. Pendant au moins vingt à trente minutes, ils resteront dans cette situation, sans que ni docteur ni infirmier ne prennent même pas la peine de savoir ce qui se passe. Premier clash. Excédé, j’interpelle un homme en blouse bleu pour m’enquérir du problème, alors que, sur les chaises placées dans le hall, ses collègues semblent, écouteurs aux oreilles, complètement déconnectés du service mais visiblement très connectés aux services sociaux. Bon : une fiche pour chaque malade. La première ordonnance tombe pour chacun : collier cervical et des gants pour l’un ; du sparadrap, mercurochrome et coton pour l’autre ; puis avalanche d’examens : radio, scanner, échographie et autres pour les deux. Avant dix-sept heures, le CHN était presque désert. Au service d’échographie où nous sommes partis pour viser la fiche de scanner, le seul planton présent nous informe que le docteur concerné ne viendra pas avant dix-sept heures. Quant au service Caisse Nationale d’Assurance Maladie, il ferme à seize heures. Comme ça, les patients comme mon frère, qui ont droit à des prestations mais, hélas, la malchance de tomber malades entre quatorze heures et le lendemain huit heures, n’ont que l’obligation de payer tous les frais ou de se faire voir ailleurs. Une employée de la caisse nous lance, pratiquement à la figure, la fiche CNAM du vieil militaire retraité en déclarant : « Je n’ai absolument rien à faire avec ça ! ». En quête d’informations sur l’étape suivante, la recherche d’un infirmier ou d’un docteur me sera un tel supplice au point de m’obliger à faire appel à une connaissance « externe »pouvant faire appel, lui, à une connaissance « interne » de l’hôpital, pour intercéder à ce que les employés du CHN acceptent, au moins, de nous entendre expliquer la situation de notre malade. Et, de fil en aiguille, voilà celui-ci obligé à passer la nuit dans la salle bruyante des urgences, alors que ses examens l’ont orienté vers le service de neurochirurgie. Mais « pas de place, pas de chance ! », m’explique un gentil – une fois n’est pas coutume – prétendu administrateur du service de nuit.
CNAM et équipements médicaux : la Grande Arnaque
La fondation, à la fin du règne d’Ould Taya, de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie suscita beaucoup d’espoirs, surtout chez les fonctionnaires aux revenus très modestes : selon les règlements de la CNAM, ils devraient être déchargés de 75% des frais d’internement et d’analyses et un substantiel pourcentage des montants de leurs ordonnances leur serait remboursé. Malheureusement, il s’est bel et bien avéré avec le temps – une fois est, aussi, souvent coutume – que la théorie est une chose et la pratique en est une autre. Déjà, c’est tout un chemin de croix pour obtenir les fiches d’assurance qui ne serviront, généralement, pas à grand-chose, une fois présentées devant les services hospitaliers nationaux. Puisque les examens demandés n’y sont pas, pour la plupart, disponibles et leurs pharmacies ne vendent que de menus consommables, sans grand intérêt. En Mauritanie, les riches se soignent à l’étranger. Les moins riches se soignent dans les cliniques privées nationales. Quant à la cohorte des pauvres, elle subit les tracas et la maltraitance des services hospitaliers nationaux. Les services de la CNAM ne sont pas opérationnels. Sinon, comment comprendre qu’au CHN par exemple, sa représentation cesse le travail à seize heures ? De fait, on permet ainsi aux services des hôpitaux et des dispensaires, de renflouer leurs caisses, pour assurer, à leur personnel, une substantielle motivation mensuelle, tributaire des recouvrements en ces structures. Côté équipements : si, pour une petite opération de neurochirurgie, un militaire à la retraite doit débloquer cent vingt mille ouguiyas, pour l’achat d’un équipement cervical, et deux cent cinquante-sept mille ouguiyas, pour la monture, sans que sa fiche CNAM ne lui serve à quelque chose, c’est que quelque chose cloche. Pourtant, le ministère de la Santé ne cesse de rappeler que de très gros montants ont été alloués, pour acheter les équipements hospitaliers. De deux choses l’une : ou c’est faux ou ça n’est pas encore arrivé. Mais c’est où est-ce qu’on a vu un docteur prescrire une ordonnance à cent vingt mille ouguiyas et prendre le soin d’indiquer au patient, tout en haut les deux numéros de téléphone de celui qui la fournit ? Une véritable filière de complicités qui va du plus petit employé au plus haut responsable médical et pharmaceutique, en passant par les facilitateurs et les commissionnaires en tout genre. Une arnaque à ciel ouvert qui fait, du centre hospitalier national, une hénaurme – comme disait le roi Ubu – catastrophe nationale. Du CHN au HCN, il n’y a qu’une inversion de mots, allégrement franchie par les soi-disant soignants de la misère humaine…
Un secteur à repenser
Depuis 2009 que s’extasient, partout, les autorités nationales et leurs acolytes sur la « révolution sans précédent » du secteur de la santé, on en attend les fruits. « Un mot deux mots », les responsables de ce secteur, les députés de ce pouvoir et ses applaudisseurs vous énumèrent, à tout va, les structures : hôpital d’oncologie, centre national de cardiologie…Mais il est clair que ni le Président ni le ministre de la Santé ni les hauts responsables, civils et militaires, ne savent ce qui se passe, réellement, au sein de ces structures. Les milliards que ces autorités prétendent avoir mobilisés, pour « l’assainissement de la santé », en termes d’infrastructures et d’équipements, n’ont pas impacté sur la qualité des prestations au profit des usagers, des populations pauvres, essentiellement. Les urgences du CHN, la nonchalance et la mine de trop de ses employés, en plus des imbécilités qui s’y pratiquent, banalement, prouvent que rien n’a changé. Les indigents, les anonymes et les méconnus n’y jouissent d’aucun égard. Comme le secteur de l’éducation, celui de la santé a besoin de profondes réformes. La plus urgente est, sans doute, de rappeler, aux docteurs, le serment de leur illustre doyen Hippocrate et, à leurs collaborateurs – infirmiers d’Etat, sages-femmes, infirmiers médico-sociaux, matrones, accoucheuses, plantons, garçons de salle, personnel de sécurité, etc. – qu’il n’y a pas mieux que de s’endormir avec la certitude du devoir accompli, sans remords ni reproche.
El Kory Sneïba