En réaction à un article récemment publié par M. Fall Moussa, Vice-Président du Forum National pour la Démocratie et l’Unité ( FNDU), dans lequel il brosse la situation du pays et explique les raisons de la morosité ambiante et du climat d’inquiétude générale que ressentent les citoyens, le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) a publié une réaction (signée par l’un des conseillers) où il ne s’est pas limité à traiter les sujets de l’article, mais a saisi l’occasion de s’attaquer au FNDU et à sa vision générale de la situation du pays.
Aussi et en raison du nombre de contre-vérités contenues dans la réaction du MEF, j’ai pensé qu’elle méritait réponse. En relisant les deux textes, il m’est clairement apparu que la meilleure réponse au Ministère aurait pu être la republication de l’article, dans la mesure où la réaction du Ministère n’a pu ni opposer des explications convaincantes aux arguments pertinents ni renier les données chiffrées contenus dans l’article. Je pense en effet que le MEF a raté là « une bonne occasion de se taire ». Cette réaction ne peut relever, à mon avis, que de la tendance observée chez le MEF à se livrer à l’exercice permanent de la défense de causes indéfendables, au prix de difficiles contorsions dont il espère qu’elles finiront par trouver leur juste récompense. J’ai finalement pensé qu’il était utile de revenir sur quelques points de la réponse du MEF en vue d’éclairer l’opinion.
L’un des principaux sujets développés par M. Moussa Fall dans son article concernait le fait que le Gouvernement a tenu mordicus à maintenir le niveau des budgets des 3 dernières années au niveau où il était durant les exercices de la période de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler ‘la manne des prix des matières premières’, durant laquelle les revenus du budget ont enregistré un bond sans précédent, suite à la hausse plus que substantielle des prix des minerais exportés par le pays. Pour ce faire, et pour compenser l’importante chute des revenus miniers suite à l’effondrement des prix, le Gouvernement a recouru à une hausse vertigineuse des impôts directs et indirects sur les produits et services, y compris les droits de douane sur les produits de grande consommation, puisant ainsi de manière éhontée dans les poches des citoyens et dans les caisses des entreprises. Cette forte augmentation a également concerné la dîme que le régime impose de temps à autre aux ‘’récalcitrants’’ pas encore totalement rentrés dans les rangs.
Dans sa réponse, le MEF a choisi de botter en touche, en ramenant le sujet à l’assiette fiscale, aspect pourtant totalement absent dans l’article de M. Moussa Fall, qui a plutôt mis en exergue l’augmentation excessive des recettes obtenues par le moyen d’une imposition insupportable pour l’économie et les citoyens.
On peut en effet lire dans l’article incriminé que : ‘’ l’augmentation de la fiscalité instituée par la Loi des Finances rectificative d’Août 2015 s’est traduite en 2016 par des recettes supplémentaires représentant 22,5% de droits sur les biens et services, 240,2% sur les produits pétroliers,71% sur les produits de première nécessité’’.
Pourquoi le MEF n’a-t-il pas tout simplement et sans détour démenti ces chiffres ? Ou, s’il n’a pu en contester l’exactitude, n’a-t-il pas été capable d’apporter des justifications convaincantes ?
Il est incontestable que ces augmentations vertigineuses de la fiscalité ont été la principale cause de la hausse tout aussi vertigineuse des prix, et en particulier des produits de première nécessité. L’idée selon laquelle ces augmentations sont la conséquence du renchérissement sur le plan international des prix des produits importés n’est pas recevable. En effet les données de la FAO (Food and Agriculture Organization -Agence spécialisée des Nations-Unies et autorité de référence dans le domaine) indiquent que les produits de première nécessité n’ont pas connu d’augmentation notable ces dernières années. Au contraire le prix du sucre, par exemple, a baissé de 30% en 2014 et ce prix devrait encore baisser les années à venir, selon les prévisions précitées. Toujours selon la même source, les prix des céréales ont également enregistré une baisse durant la même période.
Toujours aux fins de compenser la baisse substantielle enregistrée au niveau des recettes minières, le Gouvernement a recouru aux importants revenus qu’il tire du filon que représente le différentiel sur les prix des hydrocarbures, prix qu’il a décidé de maintenir, contre toute logique, à un niveau exorbitant, malgré l’importante baisse du prix du baril au niveau mondial.
L’argument ressassé par le Gouvernement contre les nombreuses voix qui se sont élevées contre le maintien de ce niveau insupportable des prix à la pompe, alors que la plupart des pays ont appliqué la vérité des prix, est que seuls les riches en pâtissent, ‘’parce que les pauvres ne possèdent pas de voitures’’. Le Gouvernement oublie que, justement, parce qu’ils ne possèdent pas de véhicules, les pauvres sont les plus touchés par cette situation, contraints qu’ils sont à utiliser les transports publics, dont les prix sont naturellement indexés sur les prix des hydrocarbures, et que, parce que pauvres, ils en sont plus affectés que les riches.
C’est ainsi que, du fait de la cherté des coûts de l’Energie et de la pression fiscale excessive, notre pays se trouve classé parmi les derniers du classement mondial de l’indicateur de la compétitivité économique.
Contre les dénonciations des politiques du régime qui rendent la vie des populations de plus en plus difficile, ses soutiens opposent abusivement les boutiques ‘’Emel’’ censées vendre à prix réduits des produits de première nécessité aux populations indigentes. Il y a lieu de noter à ce sujet que ces boutiques n’ont toutefois jamais été à la hauteur de la demande ni du point de la couverture géographique, ni au plan de la quantité des produits proposés en plus du fait qu’il a été observé récemment une baisse notable des quotas d’approvisionnement et une nette détérioration de la qualité des produits.
Par ailleurs, il est peut-être utile de rappeler que ces boutiques de par leur nature ne peuvent contribuer à l’atténuation des souffrances des populations par la satisfaction de leurs besoins en matière d’Eau, de Santé, d’Education, d’Electricité, pour ne citer que ceux-là.
Notons enfin dans ce cadre que les employés de ces boutiques trouvent difficilement le temps d’assurer la continuité du service, puisqu’ils passent l’essentiel du temps à manifester, réclamant le versement de leurs salaires et autres droits.
Le régime a cependant trouvé en ces boutiques une parade dont il use et abuse face à toutes les critiques : c’est pour les boutiques ‘Emel’ qu’il maintient les prix des hydrocarbures à un niveau insupportable, qu’il augmente les impôts de façon inconsidérée… et l’on s’étonne même que le Ministre de Finances n’eût recours à cet argument ‘’passe-partout’’ dans les justifications qu’il a avancées s’agissant de la vente de la résidence de notre Ambassadeur à Washington.
Dans sa réaction, le MEF a accusé le FNDU de miroiter aux populations les richesses notre sous-sol, alors que l’exploitation de ces richesses requiert des capitaux financiers, humains et technologiques que le pays ne possède pas. Ce qui amène à se demander qu’a bien fait le Gouvernement ces 8 dernières années pour surmonter ces obstacles ? En matière de ressources humaines, notre pays n’est il pas en queue de peloton sur le plan de l’éducation et de la formation ? La part du budget consacrée à l’éducation n’est-elle pas la plus faible comparativement aux pays de même niveau de développement ? Et qu’a-t-il fait des conclusions des Etats Généraux de l’éducation tenues il y a 6 ans ? N’a-t-pas vendu des écoles, forçant les élèves issus de milieux pauvres à supporter des coûts additionnels de transport pour s’inscrire dans des écoles aux effectifs déjà pléthoriques éloignées de leurs quartiers de résidence ? Le niveau d’admission au baccalauréat n’est il pas descendu en deçà de 10% ? Les diplômés chômeurs issus de filières scientifiques ne passent-ils pas leur temps dans des sit-in devant ‘’le mur des lamentations’’ de la Présidence réclamant un emploi ? En matière de capital financier, les revenus financiers exceptionnels tirés de la manne des prix des matières premières ont-ils été investis dans le développement des ressources du pays ? Il y a lieu de rappeler à cet égard que de nombreux pays en voie de développement ont pu surmonter ces contraintes en créant les conditions propices à l’investissement étranger, notamment dans les domaines de la Justice , de la Transparence et en matière de Fiscalité, tout en construisant leurs capacités propres. Force est de constater que malheureusement notre pays se trouve depuis quelques années classé parmi les derniers dans le classement de l’index d’attractivité des investissements.
En évoquant des obstacles empêchant l’exploitation des ressources encore enfouies dans le sous-sol, le MEF ne réussira pas toutefois à nous faire oublier que nos populations, dont les conditions de vie se sont significativement détériorées ces dernières années, tirent peu d’avantage des ressources actuellement exploitées. Les obstacles évoqués par le MEF n’ont d’ailleurs pas empêché ‘’l’entourage’’ de jouir pleinement et exclusivement de l’exploitation de ces ressources.
Le régime brandit la croissance du PIB chaque fois que des voix s’élèvent – et à juste titre – pour dénoncer les conditions de vie de plus en difficiles et la paupérisation continue des populations. Certes, le PIB a peut-être connu une certaine augmentation durant ces dernières années, mais le Gouvernement n’a eu qu’un rôle limité dans cette évolution qui provient essentiellement de la hausse considérable des cours des matières premières. Le cours du fer, dont l’exportation constitue la locomotive de l’économie nationale, a en effet enregistré une hausse constante passant de 60$ la tonne en août 2008 à 187$ en Février 2011, et il est resté à un niveau supérieur à 100$ pendant plusieurs mois par la suite et ne retombant à son niveau de 2008 qu’en mai 2015. Les cours des 2 autres minerais d’exportation, l’or et le cuivre, ont également connu une hausse substantielle. En ce qui concerne les secteurs sur lesquels le Gouvernement a quelque emprise, comme la Pêche, l’Agriculture et l’Elevage, leur contribution à la croissance a été insignifiante.
Par ailleurs, faut-il rappeler que croissance n’est pas toujours synonyme de développement, si elle n’a pas d’impact sur les conditions de vie des populations, à travers l’amélioration de la situation dans les secteurs vitaux, secteurs de redistribution par excellence, comme la Santé, l’Education, l’Eau potable, l’Electricité et les autres services de base. Or, l’on sait l’état déplorable dans lequel se trouvent ces secteurs. En outre, l’augmentation du revenu moyen par habitant ne se traduit pas nécessairement par l’amélioration du pouvoir d’achat du citoyen si les fruits de la croissance ne bénéficient qu’à une petite minorité peu encline au partage.
Les revenus exceptionnels tirés des années fastes et le lourd endettement contracté pendant ce règne désastreux ont été dilapidés et ‘’investis’’ dans des projets lancés à la hussarde, non prioritaires et non rentables dont on peut citer à titre d’exemples :
- le nouvel aéroport de Nouakchott conçu pour une capacité 2 millions de passagers par an, taux qu’il n’atteindra que dans plusieurs décennies, et dont la gestion et la maintenance coûteront au pays plusieurs dizaines de millions de dollars. Rappelons que la SNIM a dû débourser pour ce projet 50 millions de dollars additionnels hors du fameux marché.
- la compagnie aérienne Mauritania Airlines, inéluctablement vouée à la faillite, et qui n’a jamais publié d’états financiers depuis sa création pour cacher l’hémorragie financière, principalement en devises, qu’elle fait subir au pays ;
- la création d’une ‘’cité moderne’’ sortie du néant au lieu-dit Chami, et pour laquelle les habitants sont ‘’importés’’ à la faveur de manifestations politiques, alors que la Capitale du pays se noie sous les eaux dès les premières pluies et que ses rues sont perpétuellement encombrées par les ordures ;
- la société des transports publics (STP), maintenant à l’agonie malgré les importantes subventions budgétaires qui lui sont régulièrement injectées et qui vient de compresser plusieurs dizaines d’employés ;
-la société de fabrication de poteaux électriques en béton qui n’ouvre ses portes que le temps de la visite du chef de l’Etat ;
-le projet mort-né de l’usine de lait de Nema, et l’on n’est pas près d’entendre parler de l’usine de décorticage du riz qui devait compléter ce ‘’complexe industriel intégré’’ ;
- le projet Sucre, resté en l’état de Projet depuis plusieurs années et dont l’objectif a apparemment été ramené à celui d’offrir aux présidents du parti au pouvoir (l’UPR ) un salaire et des conditions matérielles confortables ;
- le canal de Keur Macene réalisé dans une zone à forte salinité donc inadaptée pour l’agriculture. Ce projet a été réalisé par une entreprise étrangère ayant des partenaires locaux influents à un coût à l’hectare prohibitif comparé au coût de l’hectare pour des projets similaires. Ce projet a eu le privilège de bénéficier de plusieurs visites du Président en l’espace d’une année !
- le projet de routes conduisant à Benichab en provenance des 2 directions est et ouest, au moment où la route Nouakchott-Rosso est en train disparaître, en raison de la négligence du Gouvernement, alors qu’elle constitue un axe vital pour les échanges avec les pays au Sud du Sahara, et relie la Capitale à une des plus importantes wilayas du pays, permettant ainsi de faciliter l’approvisionnement en intrants et la commercialisation des produits d’une importante région agricole…
On ne peut que douter de la transparence des opérations de vente du patrimoine immobilier de l’Etat. Comment en effet peut-on nous expliquer que tous les adjudicataires - tous connus- soient des personnes proches du pouvoir ? Qui peut croire le Ministre des Finances quand il dit que les adjudicataires des lots de l’Ecole de Police se comptent par dizaines alors que les constructions des différents lots sont moulées dans le même plan, que l’architecte et contrôleur des travaux est le même (une personne connue), que le ‘’tâcheron’’ (connu lui aussi) est le même ? Par ailleurs, l’opération étant de cette ampleur, le régime aurait dû, s’il avait le souci de transparence, soumettre au Parlement un programme global, aux contours et aux objectifs bien définis, des ventes des éléments du patrimoine de l’Etat, avec les conditions et critères d’une procédure garantissant la transparence des cessions. D’ailleurs, je ne peux penser que le Gouvernement attende des revenus financiers significatifs des ventes de terrains et d’édifices publics, mais je crois plutôt qu’il s’agit simplement d’un jeu de Monopoly, grandeur nature, où le gagnant est celui qui arrive à occuper les lots stratégiques de la ville.
Contrairement à ce qu’affirme MEF, le cercle des riches ne s’est pas élargi ; au contraire leur nombre a nettement diminué : certains se sont appauvris et d’autres ont vu leur patrimoine baisser, croulant sous des redressements fiscaux de plus en plus lourds, et après avoir été progressivement éjectés des marchés publics. Le régime a, en effet, dès son accession au pouvoir, pris pour une cible à abattre ‘’l’ancienne classe des riches’’, pour des raisons inexplicables. Je concède cependant qu’un petit groupe de nouveaux riches, dont le nombre ne dépasse pas la vingtaine, tous membres de ‘’l’entourage’’, est né avec l’avènement du régime actuel en août 2008. Cette nouvelle classe de privilégiés a été créée au travers de mécanismes maintenant connus : les marchés sont passés de gré à gré avec des organismes publics (ATTM, ENER, Génie militaire, SNAT…) qui les sous-traitent aussitôt signés aux membres de ce club très exclusif. Par ailleurs, il a été constaté que la plupart des ministères et des entreprises publiques ont désormais leur fournisseur exclusif, leur entrepreneur préféré ou leur intermédiaire unique, tous cooptés évidemment parmi les membres du cercle. Du fait de leur influence, qu’ils ne manquent pas de démontrer à l’occasion, les travaux qui sont confiés à ces privilégiés sont souvent réalisés avec retard et en deçà des normes requises, sans qu’ils puissent être pénalisés. Par ailleurs, des membres de ce groupe, tous devenus des personnalités politiques, occupent concomitamment avec leur business privé, de hautes fonctions dans l’Etat.
Enfin, j’ai été choqué par l’arrogance avec laquelle le MEF reconnaît (et justifie même !) l’exclusion des marchés publics de tous ceux qui s’opposent au régime, quand il se demande de façon rhétorique « pourquoi devrions-nous attribuer des marchés à ceux qui s’opposent à notre politique ? » Cette logique n’est évidemment pas celle d’un Etat de Droit, dont pourtant vous vous réclamez, où existe une égalité des chances, mais plutôt celle d’un groupe d’hors-la-loi qui a fait main basse sur un pays par la force des armes, et qui considère l’Etat et ses ressources comme un butin qu’il partage avec qui il veut et en exclut qui il veut.
Pour conclure, je ne peux que donner raison au MEF quand il dit que « le ressenti vaut mieux que l’oui ». En effet, le citoyen entend constamment dans les discours du Président et des responsables, que le pays est dans une bonne (parfois même excellente) situation économique et financière, que le taux de croissance a atteint des niveaux historiques, que l’excédent du Trésor se chiffre à plusieurs dizaines de milliards d’ouguiyas et que les avoirs en devises de la Banque centrale se chiffrent en centaines de millions de dollars. Mais la réalité qu’il vit est toute autre, une réalité amère faite d’appauvrissement continu, de soif, de hausse des prix, de baisse constante du pouvoir d’achat, de détérioration du niveau dans l’Education, de médiocrité des services de santé…, réalité que vos discours pompeux n’arriveront pas à faire oublier.
Nouakchott le 02/01/2017
Mohamed Lemine Ould Deidah, Economiste
Membre du Conseil de Suivi et de Concertation
du Forum National Pour la Démocratie et l’Unité