Alors que le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane est de retour après sa brève entrevue avec Mohamed Ould Abdelaziz, Nasser Bourita, ministre délégué aux Affaires étrangères demeure quelques jours à Nouakchott pour des consultations avec ses homologues mauritaniens. Objectif: plier plusieurs sujets contentieux
Depuis des mois les poussées de fièvre avec la Mauritanie sont récurrentes. Avec l’épisode Hamid Chabat qui a remis sur la table la vieille revendication nationaliste de l’Istiqlal sur le voisin du sud, un cap a été dépassé au regard de la réaction très virulente de Nouakchott qui, par médias interposés, a même agité la menace de la reconnaissance de la RASD. Pourtant, Chabat, désavoué dans ses rangs, est loin d’avoir les faveurs du Palais, étant sur le plan de la politique intérieure honni du pouvoir et perçu comme la principale source de blocage dans la formation d’une coalition gouvernementale.
Un prétexte saisi à la volée par Mohamed Ould Abdelaziz, le président mauritanien, qui subit par ailleurs de très fortes pressions de la part d’Alger pour permettre au Polisario de venir narguer le Maroc dans le périmètre de Guerguerat ? Ce n’est qu’un aspect du sujet que devra aplanir Nasser Bourita les jours qui viennent dans une mission pour le moins ardue.
1- Le statut de Lagouira, du statu-quo au fait accompli mauritanien
Ces derniers mois, c’est le statut de Lagouira, ville fantôme à la pointe sud du Ras-Nouadhibou qui est revenu aux devants de l’actualité. La raison ? Une première information avait fait état de la levée sur les ruines des casemates ensablées du drapeau mauritanien. L’incident, alors que la zone est de facto contrôlée par l’armée mauritanienne étant située sur la langue de terre qui longe l’Atlantique au-delà du mur de défense marocain, a obligé Rabat a dépêcher des émissaires de haut rang à Nouakchott, signe de tensions palpables entre les deux pays. La situation ne semble pourtant pas avoir évolué alors que des éléments du Polisario vont et viennent dans la zone.
2- Le contentieux autour du contrôle de « Kandahar »
Sujet sensible entre Rabat et Nouakchott, le no man’s land entre le mur de défense marocain à la lisière de Guerguerat et la frontière mauritanienne a ravivé les tensions dans la région après le blocage du chantier d’asphaltage de la route engagé par le Maroc. Une décision de Rabat occasionnée par les opérations de ratissage de l’armée mauritanienne lancée auparavant au motif officiel de débarrasser cette zone de non-droit des trafiquants qui y pullulent. Or, depuis le retrait de la Mauritanie en 1979, un statu quo avait été convenu entre les deux pays afin d’éviter de susciter des incursions du Polisario pouvant provoquer une instabilité au niveau de Nouadhibou, port minéralier et poumon économique de la Mauritanie. Le Maroc quant à lui a toujours émis le souhait de goudronner ce corridor seul point d’accès par route à la sous-région ouvert à la circulation des personnes et des marchandises depuis 2002. L’impasse créée dernièrement par la présence de troupes armées et mécanisées du Polisario venues s’interposer au chantier de la route et la position conciliante de Nouakchott à leur égard jusqu’à permettre à Brahim Ghali, le nouveau chef des séparatistes de déambuler le long de la façade atlantique avec renfort de publicité, constitue pour le royaume un défi. Ould Abdelaziz joue sa partition dans ce contexte tendu en entretenant des relations normalisées avec le Polisario.
3- L’absence de co-développement régional, point de discorde
Le Maroc s’est lancé dans un ambitieux plan régional pour développer ses provinces du sud. Destiné autant à amarrer le Sahara au reste du pays qu’ à calmer les tentations séparatistes du « front intérieur » jusqu’ici contenues que par une politique sécuritaire largement improductive, ce vaste projet fera dans le futur entre autres de Dakhla un port d’importance dans la sous-région qui sera doté d’une zone franche. La Mauritanie dont Nouadhibou est le point névralgique pourrait à terme en être impacté. Alors que le voisin du sud n’est pas formellement intégré dans la stratégie de coopération sud-sud du Maroc avec l’Afrique (à l’exception de l’hypothétique projet de liaison gazière avec le Nigéria), ce volet des relations maroco-mauritaniennes devrait ressurgir dans les discussions au moment où Nouakchott multiplie les accords de coopération économique avec l’Algérie et que le Maroc travaille à son retour au sein de l’organisation panafricaine.
4- Rabat, havre de paix pour les opposants mauritaniens
Le Maroc a donné l’asile à au moins deux opposants acharnés au président mauritanien. Alors que Nouakchott réclame leur expulsion, ceux-ci coulent des jours heureux dans le royaume avec la bénédiction de la DGED, le service du renseignement extérieur. Ce sujet a souvent été discrètement abordé entre les deux voisins, mais jamais assaini.
5- Des ambassades désertées, signe d’un gel diplomatique
Nouakchott traine à accréditer un ambassadeur à Rabat malgré ses promesses à ce sujet. La Mauritanie avait demandé auparavant, selon des sources diplomatiques, que l’ambassadeur du Maroc, doyen du corps diplomatique en poste depuis une dizaine d’années soit renouvelé. Le décès de Abderrahmane Benomar devrait changer la donne : plusieurs témoignages d’hommes d’affaires marocains avaient fait état d’une politique restrictive d’octrois de visas et de permis de travail en représailles de la part de la Mauritanie.
6- Les séquelles du sommet arabe à Nouakchott
Sujet de contentieux entre les deux pays voisins, la tenue par la Mauritanie d’un sommet arabe dans des conditions chaotiques après le refus de Rabat de l’organiser à Marrakech. L’absence d’une participation active du Maroc et la nonchalance de certains pays arabes alliés de Rabat d’y être représentés à un niveau a laissé des séquelles, Nouakchott ayant accusé le Maroc d’avoir torpillé son sommet. La Mauritanie compte demander au Maroc de ne pas brouiller ses relations notamment avec le CCG dont le royaume est membre officieux.
7- La question d’un 3ème mandat pour Ould Abdelaziz
Le président mauritanien affirme souhaiter partir du pouvoir à l’issue de son second mandat en 2019. Cependant, de nombreux analystes pensent qu’une fois redevenu un simple citoyen, la justice pourrait venir lui demander des comptes. Des comptes en particulier sur les noces impudiques entre le politique et l’économique durant ses deux mandats. La perspective d’ennuis judiciaires, de révélations gênantes, de saisies de biens voire d’exil, font réfléchir Ould Abdelaziz dont le bilan à la tête du pays est très critiqué. Plusieurs voies se présentent alors à lui pour négocier cette échéance délicate. La plus probable, selon Alain Antil, spécialiste de la Mauritanie à l’IFRI, une modification constitutionnelle pour lever la limitation des mandats pourrait être envisagée avec à la clé quelques offrandes faites aux autres acteurs politiques et à l’armée. Dans ce contexte, le pouvoir de Nouakchott se doit d’obtenir des puissances régionales que sont le Maroc et l’Algérie l’assurance de leur laisser-faire.
Faites un petit tour à Nouakchott : allez de la plage des pêcheurs au Port de l’Amitié ou de cette infrastructure vers le carrefour dit Bamako ; partez d’Atak El Kheir 2 en direction de l’Est ; promenez-vous en divers quartiers de la capitale… Rassurez-vous, il ne s’agit pas de villégiature !