Il était une fois, dans une lointaine contrée, des hommes et des femmes, convertis à l’islam, dont le souhait le plus ardent était, pour chacun(e) d’entre eux, d’accomplir, au moins une fois, le pèlerinage à La Mecque, cinquième pilier de leur sainte religion. Mais l’éloignement et la faiblesse des moyens, combinés aux dangers de la route, rendaient toute tentative extrêmement périlleuse. Un, parfois plusieurs, coupeurs de routes écumaient la zone, délestant les candidats au voyage de tout ce qu’ils possédaient, s’ils n’attentaient pas, tout simplement, à la vie des récalcitrants. En fin de compte, plus personne ne se hasardait à braver le danger. Mais un jour, un homme, intrépide, las d’attendre d’hypothétiques compagnons, décida de partir seul, contre vents et marées, et tenter de passer entre les mailles du filet. Malgré les conseils, il prend son baluchon, quelques provisions et le peu d’argent qu’il réussit à économiser et se lance dans l’aventure.
Après une semaine de route, le voilà affalé, exténué, au pied d’un arbre, le temps de souffler, avant de traverser la zone de tous les dangers. Et le prévisible s’accomplit : un homme trapu déboule, sabre au poing, le déleste minutieusement de ses provisions et de la petite somme d’argent qu’il détenait. Ne sachant plus quoi faire, notre voyageur infortuné demande au brigand de l’héberger au moins pour la nuit, le temps de voir un peu plus clair dans une situation qui ne s’annonce pas sous de bons auspices. Bon prince, le voleur accepte. Les voici dans sa cabane et une conversation s’engage. De fil en aiguille, on en vient à parler religion, bonnes et mauvaises actions, et miracle : le bandit se prend de contrition ! « Le temps du repentir est arrivé », se dit-il et, au petit matin, il réveille son hôte pour l’informer de sa décision de l’accompagner à La Mecque.
Quelques semaines plus tard, ils arrivent dans une belle et rayonnante ville. Alors qu’ils en franchissent le seuil, une nouvelle se répand comme une traînée de poudre : le roi est mort ! Avec cet extraordinaire corollaire : sans descendance, il a formulé le vœu que ce sera le premier entré dans la ville après son décès qui sera automatiquement proclamé roi. Or ce sont précisément nos deux voyageurs qui sont entrés, de concert, en derniers dans la cité : il faut donc choisir l’un d’entre eux. Le premier candidat au pèlerinage décline poliment l’offre : Il est sorti de chez lui avec un objectif précis, il lui faut à tout prix l’accomplir, et propose que son compagnon, dont il a cependant pris soin d’informer les sages du village de son parcours très peu orthodoxe, soit intronisé. Conformément à la volonté imprescriptible du défunt roi, le voilà souverain alors que rien en l’y préparait.
Après avoir accompli le pèlerinage et séjourné quelques années en Arabie, l’honnête voyageur prend le chemin du retour, en passant par la ville de son ami. Mais, avant d’entrer au palais royal, il prend la peine de demander aux passants ce qu’ils pensent de leur nouveau roi. Tous lui en disent le plus grand mal. Heureux de retrouver son ancien compagnon, le monarque le reçoit cependant avec tous les égards et le couvre de présents. « Mais pourquoi », lui demande celui-ci avant de prendre congé, « tes sujets te vouent-ils tant d’aversion, te considérant comme le plus mauvais roi que la ville ait connu ? – Ils n’ont eu que ce qu’ils méritent », répond le brigand, sourire en coin, « si ces gens avaient été plus sensés et pourvus de la moindre capacité de discernement, ils t’auraient préféré à moi. »
Ahmed Ould Cheikh