Côté pile
Dans quelques jours, le 28 Novembre, la République Islamique de Mauritanie célébrera la fête nationale de l’Indépendance. Nous revenons de très, très loin. Car, sans être exhaustif ni assez précis, d’un point de vue historique, l’identité mauritanienne est née d’un passé tumultueux et guère fédérateur. Ce legs, certes glorieux, a été parfois assombri par diverses formes de dominance et d’exploitation serviles, voire de brigandage, dont les séquelles existent toujours. Les Mourabitounes, les royaumes soninké, wolof, peul et autres émirats maures, les cités historiques religieuses et caravanières, les commerces de sel, dattes, camelins, gomme arabique et, malheureusement aussi, esclaves, ont tracé notre histoire. C’est, pourtant, la diversité de ces échanges qui en a aplani les aléas et construit, en un millénaire, une identité sociétale. Mais c’est l’islam qui fut le véritable socle fédérateur de la Nation. Il le demeure et le restera, tant qu’on évitera d’en faire un outil de domination.
Ruptures
L’Etat mauritanien a été fondé dans la rupture, en urgence et sans planification. Rupture avec une colonisation aussi courte que réduite, avec son administration basée, en grande partie, au Sénégal et sans héritage important à l’indépendance. Rupture, également, avec l’ancienne capitale, Saint-Louis du Sénégal. Nouakchott, il a fallu l’ériger en deux ans seulement. Rupture politique, encore, déjà entamée avant l’indépendance, avec les députés Horma ould Babana, à partir de 1946 et Sidi El Moctar N’diaye, à partir de 1951, alors que, jusque-là, les représentants de la circonscription réunissant le Sénégal et la Mauritanie avaient été les sénégalais Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor. Rupture bilatérale, enfin, avec, d’un côté, le Sénégal et, de l’autre, le Maroc qui voulait annexer la Mauritanie, renforcé, en cela, par des allégeances d’émirs, députés, diplomates et autre faible partie de la population.
Les défis furent nombreux et relevés, avec succès, par nos ancêtres qui ont toujours cru en cette identité mauritanienne. Trait d’union et mosaïque de peuples, notre nation n’est, en fait, qu’addition d’alliances qui ne partagent, en grande partie, que la même foi et cet esprit d’indépendance si visible dans leur mode de vie. Les pères fondateurs, Président Moctar ould Daddah en tête, puis les dirigeants de l’armée nationale, ont consolidé cette indépendance « contre vents et marées ». Ils furent aidés en cela par toutes les franges de la population.
Devoir de mémoire
Mais pourquoi aucun monument n’a encore été érigé pour nous le rappeler ? Moult occasions sont ainsi de rafraîchir notre mémoire. Aucun monument aux morts, pour nous rappeler les événements majeurs, comme la lutte d’indépendance, la guerre du Sahara, le terrorisme, les crises sanitaires et catastrophes. La fête de l’Indépendance serait le moment privilégié, pour honorer tous les sacrifices déjà consentis, ceux qui le seront encore. Notre histoire n’a pas été et n’est pas complètement écrite. Pour notre présent et notre futur, les populations doivent connaitre tout leur passé, s’y identifier et s’accepter, pour préparer, ensemble notre avenir.
Côté face
Certes des efforts importants avaient été réalisés mais des événements sont venus fissurer les fondations et la consolidation de l’état mauritanien et, surtout, de notre identité nationale. La guerre du Sahara et les coups d’Etat successifs, la sécheresse et les inefficaces – pour ne pas contreproductifs – remèdes de cheval des programmes d’ajustements structurels des institutions financières internationales et d’aide au développement ont favorisé la mauvaise gouvernance, la corruption, l’assistanat systématique des populations pauvres, la division et le communautarisme d’intérêts. Ces chocs successifs ont provoqué une forte et durable division, entre une classe dominante élitiste et le reste du pays.
Après les meurtres et spoliations de populations et des militaires, sans aucune justice civile, militaire, ni même, hélas, religieuse, en plein mois sacré du Ramadan et lors de la fête d’Indépendance, des plaies sont toujours vives, béantes. Ces deux événements ne rappellent plus seulement de bons souvenirs, à la population mauritanienne. Leur célébration rend mal-à-l’aise des minorités. Malheureusement, notre fracture est devenue aussi culturelle. Il n’y a plus une seule célébration de l’Indépendance mais plusieurs. Analogie troublante, il n’y a pas, en quelqu’une de nos langues nationales, un terme unique pour dénommer, simplement, un village : en hassaniya, par exemple, on dit qarya pour une cité de maures blancs, kseir (diminutif de ksar), pour les négro-africains et debbaye pour les anciens esclaves.
Choix
Des formes de révolte, certes encore marginales sont latentes. Elles ne sont pas annonceuses d’une stabilité durable, tant sur le plan politique, institutionnel, économique que social. La réalisation cahoteuse d’un dialogue politique est bien l’illustration, soixante ans après notre déclaration officielle d’identité nationale, qu’on revient de loin et qu’on n’est pas encore sorti de l’auberge. Conséquence de tout cela, il nous faudra amorcer, d’ici peu – quelques années, tout au plus – un des deux virages décisifs pour notre nation. L’un peut être violent, dangereux et porteur d’incertitudes ; l’autre, plus en harmonie avec notre culture, plus stable, avec des réformer courageuses et une vision à long terme, permettant de solidifier l’unité et la citoyenneté.
Indépendance pile et face
Le 28 Novembre doit être célébrée par tous les Mauritaniens. Tout doit être fait pour que toutes les composantes de la population l’attendent avec sérénité. Le 28 Novembre doit permettre, chaque année, de célébrer et d’honorer les compatriotes les plus illustres et leur rendre les hommages qu’ils méritent. Pour cela, la Patrie doit être reconnaissante envers tous leurs sacrifices et notre capitale accorder places et panthéon dédiés à nos illustres disparus : nos dirigeants méritants, nos braves résistants, nos soldats morts dans l’exercice de leurs fonctions, de 1960 à nos jours. Pouvoir lire, sur une stèle, les noms de toutes les militaires décédés, lors de la guerre du Sahara ou en exercice de leurs fonctions, renforcera les liens entre leurs héritiers qui pourront ainsi comprendre que leurs ascendants respectifs étaient des frères d’armes. On n’oubliera pas nos fonctionnaires morts dans l’exercice de leurs fonctions. Ma pensée s’élève, ici, directement aux médecins et infirmiers décédés lors de l’épidémie de Congo-Crimée. Certains compatriotes méritent ainsi de recevoir des médailles et honneur, même à titre posthume.
Décision
Le 28 Novembre, c’est l’occasion de donner, à toutes sortes de lieux publics, comme des aéroports, des casernes, des hôpitaux, des maternités, des dispensaires, des écoles, des universités, des instituts, des stades, des boulevards, des rues, etc., le nom d’un(e) disparu(e) qui s’est sacrifié(e) dans son service. Le 28 Novembre, ce doit être la célébration d’un système méritocratique, inclusif et qui donne les mêmes droits et chances à tous les citoyens. Le 28 Novembre, c’est, enfin, l’occasion privilégiée de consolider l’Etat de droit et la promotion de la diversité culturelle. Cette célébration peut être, également, le couronnement de la préparation de réformes apaisées, dans les domaines politique, administratif, éducatif, sanitaire, social et économique, conduites de manière participative et inclusive, entre anciens et jeunes cadres travaillant, tous, pour le bien commun. Ceci de manière ni intéressée, ni communautaire, ni clanique, au service, par-dessus tout, de nos valeurs islamiques et patriotiques. Ainsi transmettrons-nous un legs concret aux générations futures. Nous sommes à la croisée des chemins : ne nous trompons de direction.
BEJ