Communiqué De Minority Rights Group et d’Anti-Slavery sur l’affaire Yarg et Saïd

28 October, 2016 - 02:00

Mauritanie: La décision de l’organe Africain sur les Droits de l’Enfant de statuer sur une affaire d’esclavage représente une « lueur d’espoir », disent les organisations de lutte contre l’esclavage

 

L’audience aujourd’hui tenue par le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant (CAEDBE) dans l’affaire de deux frères maintenus en esclavage en Mauritanie représente une lueur d’espoir pour le mouvement de lutte contre l’esclavage, disent SOS-Esclaves et ses partenaires, Minority Rights Group (MRG) et Anti-Slavery International.

 

‘Contrairement aux procédures antérieures devant les Cours mauritaniennes, l’affaire au niveau du CAEDBE a progressé très rapidement. Elle a été déclarée admissible seulement 9 mois après la soumission de la communication‘, explique Ruth Barry, Chargée des Affaires Juridiques à MRG. ‘Nous pouvons désormais espérer que justice soit faite pour ces deux garçons, suite à l’échec total du système judiciaire mauritanien à les protéger et à mettre en cause le système actuel d’impunité au bénéfice des maîtres d’esclaves.‘

En Mauritanie, le statut d’esclaves est transmis de la mère à l’enfant, et les frères, Saïd Ould Salem (né en 2000) et Yarg Ould Salem (né en 2003), sont automatiquement devenus les esclaves de la famille EHl Hassine à la naissance.

Les garçons sont parvenus à s’échapper en avril 2011, et en novembre, leur maître, Ahmed Ould EHl Hassine, a été déclaré coupable par la Cour Criminelle de Nouakchott pour avoir maintenu les frères en esclavage et pour les avoir privés d’éducation. Dans la première et unique condamnation sous la loi de 2007 contre l’esclavage, il a été condamné à deux ans d’emprisonnement et au versement de dommages à hauteur de 1.35 million de MRO (4,700 USD). Cependant, la peine et le montant des dommages accordés étaient bien en dessous de la peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement requise par la loi anti-esclavage de 2007.

Le Procureur Général n’a pas immédiatement formé un recours contre la peine pourtant très laxiste, mais a fait appel seulement après que l’avocat des frères soit intervenu. Le 26 mars 2012, Ahmed Ould El Hassine a été relâché sous caution par la Chambre Criminelle de la Cour Suprême pour la somme de 200,000 MRO (680 USD). Cette décision a ignoré les risques potentiels que cette libération pouvait représenter pour les garçons et enfreignait les dispositions du Code de Procédure Pénale.

Agissant au nom des frères Salem, MRG et SOS Esclaves ont porté l’affaire devant le CAEDBE, un organe de l’Union Africaine dont le rôle est d’encourager les Etats à se conformer à leurs obligations dans le cadre de la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant. L’affaire a été introduite devant le CAEDBE en décembre 2015, et une décision déclarant l’affaire admissible a été rendue en Septembre 2016. Jusqu’à présent, le gouvernement mauritanien n’a pas répondu.

Les organisations de défense des droits humains affirment que la Mauritanie enfreint les principes de la Charte, à travers son incapacité continue à assurer la poursuite effective de ceux qui sont responsables d’avoir maintenus Saïd et Yarg en esclavage, empêchant leur éducation et utilisant des châtiments corporels à leur encontre.

« La décision favorable en admissibilité et la programmation de l'audience montre que tout n'est pas perdu dans nos efforts pour obtenir justice pour Saïd et Yarg ; une affaire qui symbolise le combat contre l’esclavage en Mauritanie », se réjouit Boubacar Messaoud, Président de SOS-Esclaves.

L’esclavage basé sur l’ascendance reste une pratique répandue en Mauritanie, où elle affecte principalement le groupe Harratine. Ils sont traités comme les objets de propriété de leurs maîtres, vivent sous leur contrôle direct et ne reçoivent pas de paiement pour leur travail. Les hommes s’occupent principalement des troupeaux ou travaillent sur les terres de leurs maîtres, tandis que les femmes sont surtout en charge du travail domestique, s’occupant des enfants du maître et surveillant les animaux.

Malgré le cadre juridique et institutionnel du pays pour protéger contre l’esclavage et punir les pratiques esclavagistes, notamment via l’adoption de la loi contre l’esclavage de 2007 et de la loi de 2015 qui remplace celle de 2007, il y a eu un manque de volonté politique et juridique pour faire appliquer la loi.

Sarah Mathewson d’Anti-Slavery International explique, « Dans un pays si profondément affecté par l’esclavage, il est révélateur que la seule peine de prison proférée pour le crime d’esclavage jusqu'à cette année n’ait jamais été purgée, et a du être amenée devant un organe régional pour mettre en cause l’inaction des autorités. Cela confirme que le gouvernement mauritanien n’est pas disposé à éradiquer la pratique et choisit au lieu de ca de protéger les familles esclavagistes. Nous espérons que l’affaire permettra d’accroître la pression sur le gouvernement pour qu’il reconnaisse la réalité de l’esclavage et poursuive, de façon systématique, les auteurs ».