Nouvelles d’ailleurs : Touche pas à mon drapeau....

27 October, 2016 - 02:25

Je suis d'un naturel peu porté aux drapeaux et aux hymnes nationaux, considérant que cette identification extrême n'a pas de sens si l'homme se souvient qu'avant d'être de tel ou tel pays il est d'abord à l'humanité, sans frontières, sans barrières, sans patriotismes et nationalismes. Au nom de ces derniers, des millions d'hommes sont morts...

Mais je me sens, paradoxalement, touchée par la volonté affichée de changer notre drapeau en y ajoutant deux bandes rouge sang, afin de, comme l'ont si bien clamé les chantres du changement, de glorifier nos « martyrs »... Je ne suis pas à une contradiction prés et je l'assume.

Ne me demandez pas de quels martyrs il s'agit, ni à quelle histoire « rectifiée » nous allons devoir dire oui ou non.... C'est le grand flou « historique » qui permet de nous inventer une Histoire de quasi guerre anti-coloniale...

Mais notre drapeau j'y tiens. Il est notre. Il nous a été légué et nous rappelle que nous avons reçu un pays en héritage, là où il n'y avait aucun pouvoir centralisé. Ce drapeau est nous.

Oh, notre pays est un pays « petit pois », entendez par là qu'il ne fait pas partie des grandes puissances. Il ne décide pas de la vie ou de la mort de centaines de milliers de gens de par le monde. Il ne fait pas la guerre pour le pétrole, ne renverse pas des présidents, ne déchire pas des pays.

Mais il est.

Nous sommes nés avec lui. Il est né avec nous. Il est nous.

Il est cette joie immense quand notre pays bat le Sénégal au football, cette marée verte et jaune qui colorie notre pays jusqu'au plus reculé de ses multiples coins ( j'en ai encore des frissons quand je repense à ce moment où j'ai participé à cette joie collective qui abolissait les barrières communautaires, dans les rues d'un Nouakchott qui se redécouvrait un seul et même peuple, une seule et même fierté).

Il est ce frisson aux Jeux Olympiques, brandi par nos athlètes qui, même s'ils ne gagnent jamais de médailles, rappellent au monde qu'il est un pays qui s'appelle Mauritanie. Un petit pays mais un pays quand même, avec ses femmes et ses hommes. Et ce magnifique vert et jaune qui flotte soudain face à des millions de téléspectateurs.

Il flotte au fronton des institutions internationales.

Il est ce lever des couleurs dans chaque caserne.

Il est ce frisson, cet orgueil des sans rien à la fierté bien assise, cette fierté que personne ne peut nous enlever.

Il est ces soldats morts dans une guerre absurde et ces soldats victimes du terrorisme.

Il appartient à chacun d'entre nous. A chaque citoyen de ce pays. Il n'appartient pas aux politiques en mal d'inspiration. Ceux-là, le drapeau ne leur sert que quand la pauvreté de leurs propositions politiques tient lieu de Dialogue.

Ce drapeau n'a aucune raison d'être ainsi dénaturé, enjeu d'une bataille misérable.

Il n'est pas qu'un tissu qui flotte, délavé, souvent effiloché, dans nos rues. Il est notre histoire. Le dernier rappel de ceux qui nous ont porté au monde, sur la scène internationale quand beaucoup ne voulaient pas de nous en tant que Nation.

Chaque Mauritanien l'emporte dans son cœur en quittant le pays.

Ce drapeau n'a jamais tué personne mais sert de prétexte pour toutes les exclusions et toutes les fanfaronnades nationalistes.

Il n'a pas de couleur ethnique et est le véritable symbole de notre pays qui se cherche encore, et encore, perclus d'idéologies nationalistes importées de pays lointains.

Cette étoffe n'a aucun sens si on lui rajoute du sang. Le sang appelle le sang pas la paix. Le sang appelle le malheur pas le souvenir.

On ne se souvient pas avec le sang. La mémoire a d'autres canaux que de vouloir pervertir un morceau de tissu qui porte en lui tant d'affectif et tant de souvenirs.

Faut-il que la misère intellectuelle soit bien grande pour s'attaquer à ce qui est nous.

Je n'aime pas les nationalistes étroits, les va-t-en guerre, les découpeurs, les lamineurs qui sont tentés de ré écrire l'Histoire à leur convenance comme si cette dernière leur appartenait.

Comme si le drapeau, notre drapeau, leur appartenait.

Ils n'ont pas le droit de nous ôter la dernière dignité qu'il nous reste, à nous qui sommes pauvres, à nous qui trimons, à nous qui nous accrochons à ce pays de vents et de sable, ce pays de misères, de douleurs, à nous qui tenons ce pays à bout de bras, chaque jour, dans chaque souffle, dans chaque survie, dans chaque petite victoire contre le chômage, contre la faim, contre le manque de tout, contre la précarité quotidienne, contre la fatalité.

Nous avons été dépossédés de tout. Laissez nous ce drapeau qui nous rappelle notre existence et ce moment qui nous fit en tant que pays contemporain, le 28 Novembre 1960.

Laissez nous ce drapeau vert et jaune, rêvé à la Closerie des Lilas quand l'existence de notre pays fut décidée dans ce café parisien.

Laissez nous l'offrir à nos enfants et aux enfants de nos enfants.

Je ne suis pas nationaliste mais ce drapeau, comme pour nous tous, est notre regard, notre sentiment d'appartenance à quelque chose.

Vert et jaune, pas vert, jaune et affublé de deux bandes rouges.

Si vous, ceux qui avez réclamé ces deux affreuses bandes rouges, vous sentez l'âme créatrice, allez donc acheter un pot de peinture rouge et barbouiller les murs de vos maisons. Mais fichez nous la paix avec votre tralala pseudo historique.

On ne crée pas un sentiment d’appartenance en dénaturant un drapeau. On le crée par des actes politiques autrement plus forts et courageux que cette honte qu'est cette proposition de toucher au drapeau, le seul que nous ayons et qui nous convient très bien.

La politique demande du courage. Changer le drapeau n'est qu'un acte vide de sens politique.

Nous crevons de la corruption, de l'hypocrisie, de la norme, de l'apathie, du mensonge, de la courtisanerie, de la misère, de la bêtise, du non sens, de l'absurde, de la violence, de tant de colères, de désespoirs.

Pas de notre drapeau.

 

Salut

 

Mariem mint DERWICH