Economie dans le coma selon le RFD ou PIB en forte hausse selon le PM? Passe d'armes

30 September, 2016 - 01:31

Le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), principal parti de l’opposition, et le gouvernement, par la voix du Premier ministre, Yahya ould Hademine, se livrent à une mini-guerre de chiffres au sujet de l’économie mauritanienne. Des données a priori contradictoires. Mais qui finissent par se rejoindre, à travers une grille de lecture bien loin des joutes politiques partisanes.

Dans un document-fleuve rendu public la semaine dernière, les camarades d’Ahmed ould Daddah dressent un tableau catastrophique de la situation de l’économie nationale, malgré d’importantes ressources financières engrangées, par l’Etat, entre 2010 et 2014, grâce, notamment, à l’explosion des cours mondiaux du minerai de fer et à diverses autres sources de revenus.  « Une situation de crise économique imputable à une gouvernance immonde et à des choix stratégiques contestables, opérés par le régime issu du putsch du 6 Août 2008 », explique en substance la déclaration. La crise économique présentée par le RFD se caractérise par « une pauvreté endémique, une flambée vertigineuse des prix, une étatisation poussée et anarchique de l’économie, une dégradation du climat des affaires et une dévaluation de la monnaie nationale ». Un contexte dans lequel le pouvoir « s’acharne à éliminer » de nombreux opérateurs des milieux d’affaires dont « certains ont participé à l’œuvre de construction du pays depuis l’indépendance ».

La situation économique ainsi décrite est « d’autant plus incompréhensible que le pays a bénéficié, ces dernières années, d’importantes ressources financières qui s’élèvent, pour la période 2010/2014, à un montant global de 17,24 milliards de dollars US : 12,049 milliards de dollars de recettes d’exportations, 3,729 milliards de dollars d’Investissements Directs Etrangers (IDE) et 1,462 milliards de financement à d’autre titre de l’assistance extérieure. Durant la même période, les ressources budgétaires de l’Etat ont atteint des sommets jamais égalés, avec un cumul de 1897,6 milliards d’ouguiyas ». Autant de ressources financières dont la détermination et l’usage renvoient à mille et une interrogations, en rapport avec la situation « désastreuse », selon le grand parti de l’opposition historique mauritanienne.

 

Entre gabegie et choix stratégiques hasardeux

Selon le RFD, l’explication de cet immense désastre tient dans une gestion des affaires publiques « défiant toutes les règles de bonne gouvernance et des choix stratégiques véritablement catastrophiques, notamment de certaines infrastructures qualifiées, pompeusement, de grandioses, par le régime. […] L’Etat s’est lancé dans une politique d’investissement anarchique, ne s’intégrant dans aucune stratégie de développement cohérente […] Les véritables besoins sont ignorés. Les priorités définies suivant les humeurs du chef de l’Etat et les projets engagés, soit sans étude préalable, soit sur la base d’études insuffisantes » et ne répondant aux normes nationales et internationales. « Les critères de responsabilité bafoués, les travaux confiés à des nouveaux venus, issus, presque exclusivement, de l’entourage familial du chef de l’Etat, sans aucune expertise ni expérience, dont le souci primordial est de s’enrichir sur le dos du contribuable, quitte à bâcler les travaux, à en allonger la durée, avec, en primes, des surcoûts à engranger», ajoute la déclaration.

Conséquence de cette option, « des projets nettement surdimensionnés, techniquement mal conçus et qui, une fois achevés, constituent des fardeaux supplémentaires, pour le budget de l’Etat, du point de leur entretien ». Le document cite, à titre d’illustration, la nouvelle centrale électrique de Nouakchott, « dotée d’une capacité de production de 400 mégawatts, pour des besoins estimés à 150 mégawatts, mais incapable, aujourd’hui, de fournir de manière régulière l’électricité aux usagers nationaux, ou en assurer le transport vers le Sénégal, comme prévu, à cause de la non-conformité technique du câble fourni, dans des conditions obscures, pour la bagatelle de 30 millions d’euros ». Mais, au lieu d’exiger, du fournisseur, un matériel aux normes, la nouvelle option consiste à rechercher un nouveau financement, pour réaliser le même travail, ajoute le document du RFD.

Au chapitre des gâchis figurent, également, la réalisation de l’aéroport international « Oum Tounsy» de Nouakchott, doté d’une capacité annuelle d’accueil de deux millions de passagers, qui devrait tourner à vide dans une capitale qui devrait se limiter à 300.000 visiteurs par an.

 

Le contrefeu du PM

Saisissant l’occasion d’une rencontre, avec les ordonnateurs de budgets des départements ministériels, organisée, vendredi dernier, au Centre International des Conférences de Nouakchott (CICN-Palais des Congrès), le Premier ministre, Yahya ould Hademine, a répondu indirectement au RFD. Il a, notamment, fait une série de « révélations », en alignant des chiffres sur les progrès de l’économie nationale pendant la période 2008/2016. «Le Produit Intérieur Brut (PIB) a plus que doublé, passant de 700 milliards d’ouguiyas à 1600 milliards d’ouguiyas. Le budget de l’Etat, qui plafonnait à 240 milliards d’ouguiyas, atteint actuellement 460 milliards d’ouguiyas. Forte amélioration, également, du budget d’investissement, passé de 32 milliards d’ouguiyas à 124 milliards d’ouguiyas » pendant la période de référence. Le PM explique cette forte hausse du PIB et de tous les autres agrégats, par la mise en œuvre « d’une politique rationnelle et sage, basée sur une prise conscience suivant laquelle la gabegie et la mauvaise gestion sont des obstacles au développement ».

Contradictoires dans l’esprit et la motivation, les documents du RFD et la déclaration de Yahya ould Hademine se rejoignent sur un point : la Mauritanie a engrangé d’énormes ressources financières, avec un PIB qui a plus que doublé.

AS