Le Calame : Le tribunal de Nouakchott-Ouest vient de condamner onze militants et dirigeants d’IRA-Mauritanie à des peines qualifiées de « très lourdes », par rapport aux faits reprochés. Etes-vous satisfait de ce verdict ?
Maître Bilal ould Dick : Non, je n’en suis pas du tout satisfait, pour la bonne et simple raison que notre requête relative aux dommages et intérêts n’a pas été satisfaite par le tribunal. Nous réclamions 78 millions de réparations et 48 millions de dommage moral, ce qui se justifie amplement : des policiers ont été agressés dans l’exercice de leur fonction, du matériel de luxe, chèrement acquis par l’Etat, saccagé : un bus et un autre véhicule. Le tribunal a ramené ce montant à 36 millions, ce qui, naturellement, ne nous satisfait pas. Et nous allons user de notre droit pour que la Cour d’appel redresse ce tort porté à nos clients, le ministère de l’Intérieur et les deux policiers blessés.
Laissez-moi-vous dire, ensuite, ceci, pour éclairer l’opinion : la partie civile n’est pas concernée par la condamnation qui relève du tribunal, elle défend des clients victimes de préjudices. Je tiens, enfin, à préciser que nous ne sommes pas constitués contre IRA, mais défendons simplement des victimes ayant subi des dommages, matériels, physiques ou moraux, au cours des incidents. J’ai rappelé, dans ma plaidoirie, cette citation du moine tibétain, le Dalaï Lama : « Quand on est blessé par une flèche, peu importe d’où vient-elle, qui l’a lancée et de quelle poison est-elle imbibée. L’essentiel, c’est de l’arracher, le plus rapidement possible ». En tant que partie civile, donc, nous ne faisons pas de distinction entre IRA et les autres personnes impliquées dans les incidents.
- Comprenez-vous pourquoi le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître les « accusations de torture » portées contre vos clients ?
Tout tribunal, de quelle que nature qu’il soit est habileté à recevoir n’importe quelle requête dont elle est saisie. Dans le cas d’espèce, la cour criminelle de Nouakchott ouest s’est déclarée incompétente à statuer sur la requête déposée par les prévus d’IRA pour "torture". En ce qui nous concerne, nous estimons que cette réaction se justifie par le fait que la Cour Criminelle n’est pas une instance de poursuite. Seul le parquet général ou le juge d’instruction qui a cette compétence. Donc au vu de du code de procédure pénale, la Cour Criminelle ne peut statuer que sur les affaires renvoyées de part devant elle par le procureur de la République. De ce fait, je comprends la décision de la Cour Criminelle. Dans tous les cas, c’est une première en Mauritanie (saisine sur la question de la torture) et donc, nous sommes devant une jurisprudence appelée à être trancher par la Cour suprême.
- Pensez-vous qu’en seconde instance, le tribunal pourrait casser le verdict ?
- Comme je l’ai déjà dit, nous ne sommes pas concernés, en tant que partie civile, par la condamnation mais que nous serons attentifs et vigilants, à la Cour d’appel devant laquelle nous allons plaider, en réaffirmant, avec force, les dédommagements que nous avons réclamés en première instance, pour les préjudices subis par l’Etat et les deux policiers. Nous osons espérer que le tribunal nous donnera entière satisfaction.
- A en croire certaines de nos informations, vous vous étiez d’abord constitué pour défendre IRA mais vous avez renoncé. Qu’en est-il ?
- Rien de fondé tout cela. Je n’ai jamais reçu de procuration de la part d’IRA, elle ne m’a pas sollicité dans cette affaire et je mets les gens au défi de prouver le contraire. La réalité, c’est que j’ai été saisi par le ministère de l’Intérieur et les deux policiers agressés pour défendre leurs intérêts. En ce cas précis, je n’ai pas été saisi par IRA, mais par la partie civile et je dispose, pour cela, d’une procuration en bonne et due forme du Ministère de l’Intérieur et de deux policiers blessés. Le reste n’est que spéculation.
Je crois que les gens se sont trompés par le fait que, dans la pratique courante, les avocats défenseurs des droits de l’homme sont spontanément sollicités ou se constituent, d’eux-mêmes, pour défendre des détenus d’opinion. Mais, je le répète, je n’ai pas été approché par IRA, et, comme je l’ai dit tantôt, nous ne faisons pas de distinction entre IRA et les autres personnes impliquées dans ces malheureux incidents. Non, définitivement non : nous ne sommes pas constitués contre IRA.
Propos recueillis par DL
* avocat de la partie civile dans l’affaire des militants et dirigeants d’IRA