Différent des précédents, le Sommet arabe de Nouakchott ? Par Seyid Mohamed Vadel

28 July, 2016 - 15:26

Nouakchott s’apprête à organiser son premier sommet arabe depuis l’adhésion de la Mauritanieà la ligue des Etats arabes en 1973. Si ce sommet est historique et inédit pour notre pays, il l’est moins pour les pays, les peuples arabes et les situations, inextricables, où ils se débattent depuis les fameux printemps arabes. Nouakchott a choisi de lancer un défi à la mesure de ses nouvelles ambitions diplomatiques, suite au désistement du royaume chérifien d’organiser cette réunion annuelle des chefs d’Etat arabes. Certes, notre pays se dirige vers un aplanissement des difficultés logistiques, matérielles et sécuritaires pour l’organisation de ce sommet historique. Il n’en demeure pas moins que, pour les dirigeants conviés à la rencontre, le contexte régional et international est moins facile à décrypter et à analyser, sereinement et objectivement. Autrement dit : la situation actuelle est plus compliquée qu’elle ne l’était, il y a un peu plus d’un an, lors de la tenue du sommet à Charm el-Cheikh, en Egypte.

 

Tensions et conflits attisés par les puissances étrangères

Les révoltes des peuples arabes se sont transformées, en certaines contrées, en guerres civiles et conflits à caractère confessionnel et sectaire dont les conséquences ont été, tout simplement, l’arrêt brutal de tout développement socio-économique, scientifique et culturel de ces régions.  Aussi surprenant que cela puisse paraître, elles disposaient de bonnes élites, détenaient les meilleurs scores, en matière d’amélioration des conditions de vie de leurs citoyens, et réalisaient les plus forts taux de croissance économique. Elles étaient, tout simplement, sur le point de réaliser leur décollage économique, quand se sont déclenchées, brusquement, des révoltes populaires synonymes d’anarchie et consécutives à la mauvaise conduite des affaires politiques, lors de leur processus de transition démocratique.  Tandis que, cerise amère sur le gâteau, les ingérences et les interventions de certaines puissances contribuaient à la déliquescence des projets d’ouverture démocratique...

Les objectifs de ces révoltes populaires ont peut-être même été cyniquement dévoyés, par les interférences de puissances à agenda particulier. La situation est tellement compliquée et intenable que beaucoup d’initiatives de paix ont été lancées, des projets de solution tentés, sans que cela n’ait abouti à rien et sans que des perspectives de règlement durable n’aient pu apparaître à l’horizon. Toutes les parties se résignent et semblent désemparées, face à une situation de plus en plus difficile. A mesure que les solutions s’épuisent, les conflits s’enlisent, les bilans humains s’alourdissent, le chaos économique et social s’enfonce, l’anarchie s’installe, définitivement. La persistance de ces tensions risque de reléguer au second plan l’autre question majeure qui a occupé le Monde, après la seconde Guerre mondiale et continue toujours de l’occuper : le conflit palestino-israélien.

 

Drame palestinien et terrorisme 

Malgré toutes les initiatives d’organisation de conférence de paix, de projet de résolution de l’ONU et de la légitimité internationale, tout court, Israel a toujours fait la sourde oreille, fait cavalier seul, contre tous, et poursuivi sa politique d’occupation, d’expropriation, de confiscation et de colonisation des terres palestiniennes, en violation flagrante des règles du Droit international. L’inversion des ordres de priorité, sur cette partie du Monde, risque d’éclipser la cause palestinienne.  A ce désordre dans l’agenda des pays arabes, s’est additionné un autre phénomène qui a pris des proportions inquiétantes, menaçant la stabilité et la quiétude des peuples et des Etats de la région et du Monde entier : le terrorisme. Cette monstruosité fait des ravages et ses conséquences sont terribles, au plan économique et humain. Il va sans dire que cette aberration trouve son terreau, fertile, grouillant d’injustices, d’exactions et d’arbitraire, dans le très bouillonnant Moyen-Orient de la deuxième moitié du 20ème siècle. Le traitement à la racine de ce problème majeur nécessite l’adoption d’approches cohérentes, novatrices, mettant en œuvre des leviers socioculturels, économiques et éducatifs.

 

Conflits de leadership

Les conflits de leadership, au sein du monde arabe, coûtent cher à ses peuples qui en sont les premières victimes. Des dirigeants s’opposent à d’autres sur des questions secondaires ; souvent en lien avec des luttes d’influences en telles sphères plutôt qu’en d’autres et l’apparition de zones de polarisation où l’aura de certains dirigeants est éclipsée en faveur d’autres dirigeants plus influents ; tout cela en quête d’audience favorable au sein des masses arabes. Ce phénomène provoque des dissensions internes et fait perdre, au monde arabe et à ses dirigeants, des efforts et moyens qui auraient dû servir à d’autres priorités, plus urgentes. Les media arabes et les chaînes satellitaires servent, souvent, d’outils de propagande et de contre-propagandes. Les alliances et contre-alliances, entre des camps modérés, extrêmes et résistants sont monnaie courante, en ce monde aux abois. Sur ce jeu de divisions et de zizanie s’est greffé celui du communautarisme et du sectarisme, nourri par une rhétorique relayée par des media qui exacerbent les clivages et déchaînent les passions des peuples. Ces lignes de fracture communautaire sont appelées à s’élargir et se creuser, dans ce contexte de polarisation aigu.  Jamais guerres d’alliances et de contre-alliances ne furent aussi exacerbées, au Moyen-Orient. Cela s’est traduit par des positionnements impulsés, par des puissances régionales, sur la base des critères communautaristes qui pourraient conduire à des guerres de religion, dans cette partie du Monde. Et, autant ce conflit de leadership régional contribue à aggraver les dissensions et des luttes intestines, autant les interventions et ingérences extérieures enfoncent davantage le clou, dans une anarchie indescriptible.

 

Effets attendus

Une fois brossé ce peu idyllique tableau et décrit le contexte, restent les questions essentielles : le sommet de Nouakchott sera-t-il capable d’apporter une valeur ajoutée, en mettant à jour des résolutions consensuelles, répondant aux aspirations légitimes des peuples arabes ? Est-il en mesure de réaliser ce que les sommets précédents ont échoué à faire ? L’impulsion diplomatique de Nouakchott sera-t-elle à la mesure des enjeux et des défis du moment ? La volonté de chefs d’Etat arabes est-elle assez forte pour réaliser de nouvelles percées, en vue d’obtenir de résolutions décisives ? Autant de questions qui tarauderont la conscience des dirigeants, lors du sommet, et auxquelles les réponses seront d’un impact majeur, sur le règlement des conflits qui minent le Moyen-Orient.

Deux types de problème peuvent être nettement distingués : nous avons, d’abord, les conflits régionaux, au Yémen, en Syrie, en Irak et en Libye. Ces conflits sont d’une complexité telle que les capacités des dirigeants arabes apparaissent insignifiantes, sans aucun poids face à celui des forces interventionnistes qui attisent ces conflits. Pour ces questions géostratégiques, je pense, humblement, que le sommet de Nouakchott n’aura pas grand-chose à faire, pour une raison toute évidente : les leviers d’action et ceux qui sont capable de les mettre en œuvre et de les manier, habilement, sont ailleurs.

En ce qui concerne le conflit palestino-israélien, le sommet de Nouakchott peut constituer une opportunité historique, en vue de renouveler le soutien au plan de paix arabe et la proposition de nouvelles améliorations aux plans de paix français, ainsi que la relance d’un nouveau train de mesures, pour porter l’appui politique nécessaire aux Palestiniens, dans leur résistance héroïque face à l’occupation sioniste. Il faut noter, en ce sens, l’audace politique de Nouakchott de rompre, sous l’impulsion du régime actuel, tout lien avec l’Etat sioniste et cela renforcera, d’autant, la crédibilité et la position des Mauritaniens, quand ils auront à aborder, avec leurs homologues arabes, tous les projets de plan de paix soumis à leur critique et analyses.

Pour les questions d’intégration arabe et de complémentarité économique, aucun doute que le sommet de Nouakchott constituera une occasion, en sens qu’il permettra de réaliser un saut qualitatif dans l’action arabe commune, en vue d’améliorer la coopération et les échanges interarabes, en prélude, peut-être, à un marché commun. On ne saurait terminer cette comparaison, somme toute laconique, sans parler des avantages que Nouakchott et la diplomatie mauritanienne auront à tirer de l’organisation de cette rencontre arabe de grande importance. D’abord, il faut préciser que notre capitale Nouakchott a bénéficié, malgré le désordre du tissu urbain et l’insuffisance, notoire, d’équipements et d’infrastructures, de réelles rénovation et embellissement en ses principales artères, carrefours et structures d’accueil (Palais de congrès, notamment).

A cela s’ajoute le succès diplomatique qui s’est traduit par une capacité accrue à diligenter les préparatifs du sommet, en un temps on ne peut plus court, afin de réunir tant de dirigeants arabes, pour la première fois de son histoire.  Autant dire que l’expérience de la diplomatie mauritanienne n’en sera que plus renforcée.  Il convient de noter, aussi, que notre visibilité politico-médiatique se retrouvera très renforcée. C’est d’autant plus vrai que les media internationaux, leurs correspondants et les analystes éliront domicile, le temps du sommet, dans notre capitale, afin d’assurer la couverture médiatique des travaux. Nouakchott deviendra, le temps du sommet, le centre d’intérêt du Monde entier et la destination des principaux acteurs politiques et diplomatiques, compte-tenu de l’extrême sensibilité des sujets qui y seront abordés, notamment le terrorisme, la crise syrienne et le conflit palestino-israelien.

Dernière recommandation à l’attention du comité interministériel chargé des préparatifs : il faudra travailler à l’évaluation stricte des capacités nationales en ce domaine, une fois que le sommet aura fermé ses portes. On aura souci d’en trier tous les enseignements, afin d’en capitaliser les acquis pour d’autres événements que notre capitale ne manquera pas d’organiser à l’avenir.

 

Seyid Mohamed Vadel

Email : [email protected]