En plein milieu (2) /Par Tawfiq Mansour

13 July, 2016 - 20:05

"Ces articles sont publiés dans le cadre d’un projet financé par le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture pour la promotion de la protection de l’environnement"

Dans le cadre de l’accord signé entre le Gouvernement Mauritanien  et l’Union européenne, le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture (PESCC), a attribué une subvention à notre association  Action Environnement pour réaliser le projet intitulé Projet de sensibilisation nationale au développement durable et à la protection de l’environnement

 

Second article d’une nouvelle série, commandée, au journal « Le Calame », par l’association mauritanienne « Action Environnement.  Où en est-on, Mauritaniens, de notre relation à l’environnement ? les évènements du siècle dernier nous ont-ils à ce point coupé de lui que nous puissions le mépriser ? Ou, au contraire, prendre conscience, moins écrasés par lui, de notre responsabilité khalifale ?

Longtemps tenu par de stricts codes sociaux et guère contraint par une technologie très rudimentaire, l’Homo mauritanicus se distingue en deux principales traditions comportementales, à la fois bien différenciées et contiguës, avec tout ce que cela implique de symbiose et – moins souvent, certes, mais, tout de même, avec récurrence – de conflits  : l’une, concernant quelque quatre cinquièmes de ses populations, s’est organisée autour du nomadisme – surtout du semi-nomadisme transhumant – sans autres préoccupations matérielles, à l’ordinaire, que ses besoins en eau, pâturages, sel, dattes et céréales, soins médicinaux et vétérinaires : à l’aune, donc, de conventions plus tribales que familiales, d’aléas plus climatiques qu’économiques et de toutes les opportunités susceptibles d’augmenter le cheptel, fondement quasiment unique de la survie. L’autre, sédentaire, s’est cristallisée le long d’un fin chapelet d’oasis épars, en territoire maure, et d’un tissu à peine plus resserré de villages agricoles, dans la vallée du fleuve Sénégal. Tenus, par l’enracinement de leur capital de survie dans le sol, à une plus conséquente planification de leurs rapports à celui-ci, l’opportunisme y aura joué un rôle moindre. Mais, même différemment sensibles aux variations pluviométriques et aux apports de la terre, les uns et les autres ont mémorisé une quasiment identique approche polaire du temps cyclique annuel, entre restriction progressive des ressources, jusqu’au pic de soudure – Janvier à Juillet – et relative abondance (lekhriv, en hassaniya ; danial, en pulaar), d’Août à Décembre. Contraints au vide, huit mois durant, on attendait la brève clémence du ciel, les mois restants, pour jouir, à satiété, du plein.   

Ces schémas millénaires fondent l’essentiel des comportements mauritaniens contemporains à l’égard de leur environnement. L’opportunisme fataliste s’est simplement déplacé d’objet. On navigue, dans l’univers artificiel de la cité perpétuellement achalandée, comme en un lekhriv potentiellement permanent, pour peu qu’on parvienne à s’en approprier les signes d’échange. A ce petit jeu fébrile, la Nature, dont on acceptait, bon gré, mal gré, le diktat, se retrouve reléguée aux oubliettes, pour ne pas dire ravalée au rang de poubelle, tandis que s’étend, en brousse, la marchandisation du foncier, à des fins plus souvent spéculatives que productives, au demeurant ; sinon, exagérément productivistes, sans égard aucun pour le biotope. Superfétatoire, sauf en quelque cénacle spécialisé, la connaissance de celui-là non seulement disparaît des mémoires mais n’est pas plus enseignée dans les établissements d’enseignement. Insensiblement contrainte à des standards mondialisés de survie – omnivore société de consommation –  la conscience d’être s’éloigne de son milieu. Non seulement au sens environnemental du terme mais, également, en son acceptation de centralité.   

 

Sève brute, sève élaborée, arbre de la Nation…

Aussi artificiel soit-il, le mouvement doit suivre, comme ailleurs, celui du vivant et n’est donc pas uniforme. Diverses réactions tendent à s’y opposer. Mais, comme ailleurs, elles sont trop fragmentées, parcellaires, bornées, pour atteindre au seuil minimal d’efficacité susceptible d’inverser le phénomène. Elles auraient même tendance à l’accélérer, en s’opposant entre elles. Des replis communautaristes aux envolées altermondialistes, en passant par toute la gamme des raideurs doctrinales, notamment religieuses, il manque une ou plusieurs dimensions d’analyse, plus souvent de synthèse, indispensables, pourtant, à une claire perception de l’originalité mauritanienne, dans un concert planétaire complexe, il est vrai, et guère symphonique, c’est le moins qu’on puisse dire, en ces temps désaxés.  S’il s’agit bien de revenir à soi – et donc, de ressentir, chacun, la vie de ses racines familiales, tribales, linguistiques et autres – c’est, précisément, pour être mieux présent, à l’instant, au lieu même où nous nous trouvons, attentif à notre environnement, à ce qui nous est autre, différent.

Serait-il plus difficile d’entendre l’inverse ? En portant attention à autrui, en étudiant et soignant notre environnement, nous apportons, à nos racines familiales, tribales, linguistiques et autres, la sève de nos actes altruistes. Paradoxe de l’Histoire… En nous excluant d’une Nature toute-puissante, implacable, la modernité nous rend à notre responsabilité, centrale, de gérant de cette même Nature. Nous pouvons redevenir pleinement khalifes de Dieu sur terre. Ce faisant, nous enrichissons notre patrimoine, faisons croître l’Arbre de la Nation.  A cet égard, ce n’est pas seulement en peuples et nations différentes que Dieu nous a créés, mais, aussi, chacun de nous, en dedans et dehors, afin que l’un et l’autre se portent mutuelle connaissance, mutuel enrichissement. Un rapport gagnant-gagnant.

Pour peu que nous mesurions bien, avant d’agir, la portée de nos actes. Car nous élevons, musulmans, cette conviction que la Création Divine est parfaite. A contrario de la pensée des Lumières, nous n’avons donc pas à modifier la Nature mais à mieux la comprendre, pour mieux y agir. Cette vision de la science, il nous faut la promouvoir, la faire vivre, à commencer en nos plus humbles écoles, tant coraniques que profanes. A l’heure des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), biotechnologies et autre transhumanisme, c’est, en deçà même de notre devoir de témoignage, un réflexe de survie. Un sens populaire particulièrement aiguisé, depuis des siècles, en Mauritanie. Si la quête du lekhriv perpétué nous pousse, il est vrai, à tout accepter de la société de consommation, serait-ce plus du commun des gens que de leurs élites que s’imposera, chez nous, le juste milieu d’une modernité enfin apaisée, en plein milieu de chacun et de tous ?  (A suivre)

      

Tawfiq Mansour