"Quarante ans au service de l’Etat mauritanien" de Abdallahi Ould Sidiya Ould Ebnou : Un livre pas comme les autres /Par Moussa Hormat-Allah

29 June, 2016 - 23:47

Alors que je fréquentais les premières classes de l’école primaire, il me souvient encore entendre ma mère, dans l’euphorie des commentaires des résultats d’un examen, parler de "premier de l’AOF ». Sur le coup, je ne saisissais pas le sens de cette expression. Je comprenais tout juste qu’il s’agissait d’un jeune homme surdoué, un être exceptionnel qui faisait la fierté de toute la parentèle.

Avec le temps, je découvris que le "premier de l’AOF" avait un visage et un nom : Abdallahi Ould Sidiya Ould Ebnou et que l’examen en question était le Brevet dont le classement se faisait alors au niveau de toute l’Afrique occidentale française (AOF).

Etre numéro 1 de tout un sous-continent, n’est certes pas chose aisée. Ce diplôme du Brevet, difficile à obtenir, était très prisé à l’époque. Il constituait le précieux sésame qui ouvrait la voie au statut tant envié de fonctionnaire.

Après des études au Sénégal et en France, tout laissait donc penser que Abdallah était promis à une brillante carrière. Doué, intelligent, il apprenait vite et avait une très bonne mémoire. Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main acquérant ainsi, au fil du temps, une culture encyclopédique. Mais, il ne se doutait pas que son destin était déjà tout tracé.

Jeune étudiant frais émoulu, Abdallah écoutait religieusement au fond de la salle ou plutôt du hangar, en ce jour du 28 novembre 1960, Mokhtar Ould Daddah prononçant le discours qui consacrait l’indépendance de la Mauritanie. De ce discours historique, Abdallah retint une seule phrase : "Construisons ensemble la patrie mauritanienne".

Ces propos du nouveau président étaient un peu comme un coup de starter qui donnait le départ à une course de fond. A partir de rien, il fallait édifier un Etat moderne avec les moyens du bord, par définition fort dérisoires. La tâche était rude. Titanesque. Abdalah ne se dérobera pas. Loin s’en faut. Il consacrera l’essentiel de sa vie à cette exaltante mission.

C’est ce parcours exceptionnel qu’il nous propose aujourd’hui de retracer dans son livre-mémoire : "Quarante ans au service de l’Etat mauritanien".

J’ai lu et relu cet ouvrage. D’emblée, j’ai été saisi par la fluidité de l’écriture : un style plaisant, clair et précis où on sent la plume d’un écrivain au faîte de son talent. On est frappé également par l’originalité de la démarche adoptée par l’auteur pour traiter les thèmes abordés. Sans fioritures, les sujets ont été cernés dès le départ et traités en profondeur, au fur et à mesure, avec autorité et pertinence, le tout sur fond d’une grande honnêteté intellectuelle. Une approche pointue et un cheminement méthodique ne laissant pratiquement rien d’essentiel dans l’ombre.

Emaillée d’anecdotes croustillantes, la lecture est rafraîchissante. La documentation bien fournie et la connaissance des acteurs et du terrain remarquable. Tout est évoqué, discuté, analysé et décrypté. Une relation de faits bien établis qui ne sont sous-tendus, - de l'avis de l’auteur lui-même - par aucune animosité particulière à l’endroit de qui que ce soit. Même si le verbe est sans concession et même si la langue de bois et la complaisance sont proscrites. Un franc parler qui lui causera, néanmoins, beaucoup d’inimitiés.

Fin connaisseur de la société mauritanienne, Abdallah sillonnera le pays en long et en large. Il servira l’Etat avec dévouement, abnégation et, pourquoi ne pas le dire, avec une probité et une intégrité peu communes. Il occupera les plus hautes fonctions. Il fut notamment conseiller du premier ministre, secrétaire général de ministère, gouverneur de région.

C’est cette riche expérience politique et administrative qu’il nous restitue sous forme d’un livre-mémoire. Un document d’une importance capitale pour les générations présentes et à venir et pour tous ceux qui, en général, font de la bonne gouvernance leur préoccupation première.

Plus qu’un témoignage, l’auteur nous propose une radioscopie de la classe politique nationale tout au long de ses quarante années de service. Pour la postérité, il met en exergue, le dévouement, l’enthousiasme et la probité des pères fondateurs de la République.

Il souligne que ces pionniers ont servi sans jamais se servir. Puis, il brosse, en parallèle, un tableau moins reluisant des régimes qui leur ont succédé et le climat affairiste qui s’est instauré au détriment du bon fonctionnement de l’Etat et de ses institutions.

Abdallah fut un grand commis de l’Etat. Durant sa longue carrière, son nom n’a jamais été mêlé, de près ou de loin, à tout ce qui peut s’apparenter à des malversations ou des détournements de deniers publics. Il a toujours fait passer son honneur, sa dignité et son sens de devoir au-dessus de toutes autres considérations.

C’est cette sincérité et cette honnêteté qui font l’intérêt et la force de son livre. Un livre à lire, à faire lire et à méditer.

Nouakchott, le 21 juin 2016

 

Moussa Hormat-Allah

Professeur d’université et écrivain

Lauréat du PRIX CHINGUIT, la plus haute distinction académique en Mauritanie