Redéploiement de la biodiversité dans un contexte de désertification : L’Homme enfin gérant responsable de la Création divine ?

21 June, 2016 - 09:26

"Ces articles sont publiés dans le cadre d’un projet financé par le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture pour la promotion de la protection de l’environnement"

Dans le cadre de l’accord signé entre le Gouvernement Mauritanien  et l’Union européenne, le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture (PESCC), a attribué une subvention à notre association  Action Environnement pour réaliser le projet intitulé Projet de sensibilisation nationale au développement durable et à la protection de l’environnement

 

Concrètement, c’est quoi la biodiversité ? Le vieil Alioune Fall raconte, à son petit-fils, son enfance peuplée de gazelles : « Ton arrière-arrière-grand-père, mon grand-père, le grand Mamadou, rencontra des girafes, dans l’Haceïra, au sud du Tagant ! Elles remontaient, disait-il, jusqu’en Adrar Tigirit… Moi, j’ai vu des éléphants, je devais avoir une dizaine d’années, du côté d’Aguer… ». A ces époques, il n’y avait pas huit cent mille habitants, dans tout l’espace qui allait devenir, en 1960, la Mauritanie. Mais le pays était infiniment mieux quadrillé, par les humains, et riche de diversité de vie, tant animale que végétale. Les gens vivaient de leur environnement, dans leur environnement.

Ahmed est titulaire d’un DEA en sciences de l’environnement, acquis, à Paris, voici quelques années. Originaire d’une petite localité du Tagant, les gens de son terroir lui ont demandé, à son retour au pays, de concocter un plan de développement rural mais, reconnaît-il, « je n’ai que des notions très vagues, très sommaires, des espèces qui composent le biotope de mon environnement natal : personne n’avait jugé bon, à l’école, de m’en enseigner le moindre intérêt… ». Combien de décideurs, à Nouakchott, se trouvent-ils mieux instruits de leur milieu originel de vie ?

Est-ce pour cette raison qu’ils éprouvent de si fortes réticences à investir dans les zones arides dont le potentiel leur paraît d’autant plus faible qu’ils en ignorent tout ? Lieux de pauvreté d’autant plus rude, de surcroît, que la dégradation des terres s’y intensifie, sous l’effet conjugué des sécheresses, des conduites de pâturages et/ou d’agriculture de moins en moins pensées dans la durée et la concertation, des urgences alimentaires, des déficits éducatifs, des politiques inadaptées, élaborées loin des gens, de l’absence d’infrastructures et d'accès au marché. Et inversement, hélas. Fatalité irrémédiable ? Peut-être pas. Car, au plan le plus global, c’est-à-dire, celui de notre planète commune, Ahmed et ses confrères scientifiques du monde entier siècles d’industrialisation mesurent mieux, désormais, les conséquences de deux siècles d’industrialisation à outrance : le tsunami quotidien des combustions noie la Terre sous d’invisibles nuées de gaz carbonique, réchauffant dramatiquement le climat. Et entrevoient la solution aux catastrophes écologiques que cette situation développe : le redéploiement de la biodiversité.

 

La biodiversité, bouclier même de l’humanité

Toutes les études le confirment : « puits » naturel capable d’absorber les excès de carbone produits par l’homme,  « la biodiversité est le facteur majeur de résilience écologique (1) face au changement climatique ». Et, surprise, voici la lutte contre la dégradation des terres au hit-parade des actions à mener pour redéployer celle-là ! Car combattre la dégradation des sols, c’est, concrètement, les aider à redévelopper toute une diversité d’espèces vivantes, des enzymes les plus primaires aux vertébrés supérieurs, en passant par les champignons et les végétaux, sur- ou souterrains, micro- et macroscopiques ; bref, la Création divine, dans toute sa splendeur multiforme. Et nos chers scientifiques de découvrir, dans la foulée, que « les coûts de réhabilitation, lorsqu’ils sont fournis, sont toujours inférieurs aux coûts de la dégradation, ce qui incite, également, à défendre les investissements dans la lutte contre la désertification ».

Ces braves gens ne cessent, depuis une quarantaine d’années, de s’agiter pour faire entendre ces vérités incontournables. Avec des fortunes certes diverses, il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre.  Le Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), fondé en 1973, au plus fort de la Grande  Sécheresse, mit ainsi un certain nombre d’années avant de commencer à entendre que la problématique centrale ne relevait pas de la productivité immédiate des sols mais bel et bien de leur vie et de leur osmose avec les populations qui les exploitent. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’on y vit apparaître le concept de gestion des ressources naturelles. Avant que celui ne devienne un credo de toute la Communauté internationale.

« La lutte contre la désertification est un combat mené sur deux fronts », souligne aujourd’hui Nora Berrahmouni, experte forestière de la FAO pour les zones arides, « le premier consiste à prévenir la désertification par une gestion durable des forêts, des parcours et des ressources naturelles, tout en assurant des moyens d'existence durables aux communautés vivant sur les terres arides du Sahara et du Sahel, . Le second est la réparation des dégâts occasionnés aux forêts et aux oasis ; d'une part, en enrayant le phénomène d'ensablement sur les sols dégradés, puis en replantant, tout en assurant des moyens d'existence durables aux communautés vivant sur les terres arides du Sahara et du Sahel ».  Le combat est-il enfin lancé sur les bons rails ?

 

GMV, solution ou illusoire Ligne Maginot ?

Pas exactement. Il subsiste toutes sortes de résistances. Le projet de Grande Muraille Verte (GMV) – plantations, de Dakar à Djibouti, de millions d’arbres d’essences diverses sur une longueur de sept mille kilomètres et une largeur de quinze – adopté en 2012, est significatif de plusieurs d’entre elles. Il est, tout d’abord, notablement freiné par les instabilités politiques et autres insécurités endémiques. On entend cependant y  « multiplier, par vingt, la densité actuelle d’arbres », explique  le chercheur français Gilles Boetsch qui suit, de près, l'évolution du projet, « en ne plantant que  des espèces végétales autochtones, capables de résister à une pluviométrie annuelle très faible et  fortes d’une utilité sociale reconnue : l’Acacia senegalensis fournit ainsi la gomme arabique, très utilisée en confiserie et en pharmacie ; le Balanites aegyptiacae [toogga, ndr] de petits fruits et une précieuse huile, aussi comestibles que médicinaux. Tous les arbres plantés peuvent également servir de matériaux pour construire des maisons, élaborer des outils, soigner les hommes ou le bétail… »

GMV reste cependant contesté par nombre de scientifiques, à l’instar de Marc Bied-Charreton, directeur de l’Observatoire du Sahara et du Sahel, pour qui « ce n’est pas le désert qui avance, mais la dévégétalisation des sols. Il faut donc les protéger, partout où l’homme est présent, les aider à produire de l’humus (2), et non pas construire des barrières de ce type qui sont vouées à l’échec ». Selon lui, les solutions se diversifient entre agriculture permanente et durable, partout ou c’est encore possible, et reforestation judicieusement localisée, éventuellement combinées l’une à l’autre (agriculture sous couvert).  Opinion largement partagée par Emmanuelle Vaudour, enseignante-chercheur à AgroParisTech : « Les cultures modernes et intensives côtoient des pratiques ancestrales, et leur mélange, souvent incompatible, peut détruire, de manière irréversible, les sols ». Et d’indexer, de concert, « les cultures sur brûlis, […] les engrais et les pesticides qui ne font qu’appauvrir les sols agricoles ». 

On est encore perturbé, de fait, par l’apparente dichotomie « nécessité économique/préservation écologique » qui domina à ce point les débats, durant, au moins, trente ans, qu’on a carrément séparé les deux concepts. Une fracture encore sensible dans les interminables procès entre écolos de Green Peace et UICN, d’un côté ; multinationales et forces secrètes d’argent, de l’autre. L’opposition connaît de plus redoutables et subtils développements encore, avec les combats autour des OGM  ou le transhumanisme (3). Or, l’autre piste, qui entend dynamiser le potentiel économique de la biodiversité, en affinant, au plus localisé possible, les connaissances des biotopes, dans une concertation sans cesse accrue entre tous leurs acteurs – suivant le vieux principe : « chaussure bien ajustée ne se sent plus au pied » – est tout autrement féconde et dénuée de risques. Faut-il rappeler ici, au mauritanien lambda – a fortiori, à ses élites – que le choix de l’ajustement, de préférence à celui de l’aventure oppositionnelle, est, du point de l’islam, une des clés, sinon « la » clé, de l’évolution positive de notre commune « Adamité » ? Nous serions bien inspirés de creuser cette voie.              

Ian Mansour de Grange

Notes :

(1) : La résilience écologique est la capacité d'un écosystème, d'un habitat, d'une population ou d'une espèce à retrouver un fonctionnement et un développement normal après avoir subi une perturbation importante.

(2) : L’humus est la couche supérieure du sol, vivante, générée et entretenue par la décomposition dynamique de la matière organique, sous l’action combinée des animaux, bactéries et autres champignons microscopiques.  Sa présence est un des signes, sinon « le » signe, de la fertilité d’un sol qui se révèle, alors, beaucoup plus résistant à l’érosion.

(3) : Projet développé, à partir de la Silicon Valley, qui entend mécaniser l’humain et humaniser la mécanique (robotique), nouvelle phase de « l’Evolution », rendue indispensable, selon les tenants de cette position, par les transformations sociétales et écologiques de la modernité contemporaine.