Deux événements saillants de l’actualité nationale ont marqué le début du mois d’Avril et se sont conjugués pour ruiner le peuple mauritanien, en cette « Année de l’impôt » (2016), après de celles de l’agriculture et de l’éducation dont la renommée s’est vite écroulée. Premier de ces évènements, la ruée vers l’or, avec des moyens rudimentaires ; et second, la visite du Président au Hodh El Charghi, qui aura été, au final, celle des résidents de Nouakchott, Nouadhibou, Tagant… et des tribus dépêchées, de la capitale à Néma, sur douze cents longs kilomètres, en réponse aux sollicitations du pouvoir, à tous les niveaux de la hiérarchie, les « invitant » à accourir, dare-dare, au « Jour du Grand Rassemblement », dans l’espoir de porter ombrage à la victoire du président Ahmed ould Daddah à Nouakchott, lors du meeting de Février dernier.
Ces deux événements ont démontré, s’il était encore besoin, la faible conscience nationale du pouvoir, en comparaison de sa volonté de pillage des impôts et d’appauvrissement des citoyens. Démonstration à peine tempérée par l’engouement des supporters à l’accueil du Président, tandis qu’il les saluait avec un total dédain, avant de déverser sa bile amère sur l’opposition. Le gouvernement n’a pas cherché à camoufler son irresponsabilité, dans la protection des biens des citoyens et ne s’est pas, non plus, occupé de leur situation. Il a accepté la fuite des capitaux à l’étranger, noyant leur détresse, leur douleur et leurs rêves, dans la canicule – plus de 50° à l’ombre ! – d’un désert désolé. Et nous voilà à assister, perplexes, au spectacle d’une conjuration d’imbéciles malins, poussant des milliers de citoyens à la dérive, sous la chaleur accablante du mois de Mai et le souffle brûlant de l’harmattan.
La rumeur de l’or a semblé venir à point nommé, pour tous. Apparemment salutaire pour Ould Abdel Aziz, submergé par les événements politiques, empêtré dans la crise économique et les tensions sociales. Egalement pour le peuple, sous la tutelle d’un mauvais gouvernement, d’un Etat démissionnaire et incapable de trouver une quelconque parade aux horizons bouchés où se trouve confiné tout un pays ; incapable, aussi, de susciter les plus minimales opportunités d’emploi et d’amélioration du climat des affaires, ni trouver un quelconque remède à l’immigration des forces vives de la Nation, en quête de meilleures conditions d’existence.
La ruée vers l’or a donc pu paraître don d’Allah, pour les deux camps qui s’épiaient. A tout le moins, espace-temps de détente. A la faveur de ces circonstances, le Président a pu se libérer de certaines craintes, c’est perceptible dans son discours de Néma. La tension sur la scène politique, passablement détériorée, devrait également connaître une relative accalmie. Tout mauritanien rêve, désormais, de devenir riche, du jour au lendemain, abandonnant, au loin, le laborieux combat pour le pain quotidien. Un espoir qui ne manquera pas de jouer sur le climat politique. Du moins tant qu’iront bon train les spéculations sur les quantités trouvées, les zones intéressantes et les heureux explorateurs, obnubilant l’intérêt des Mauritaniens. Mais le régime n’a pas pu (su ?) exploiter l’occasion, s’attelant plutôt à engranger, au plus vite, le maximum de revenus, via la multiplication d’impôts, au détriment de la classe moyenne… Chercherait-il à ruiner tout un peuple et enfoncer davantage les populations déjà démunies dans le plus total dénuement et la misère qu’il ne s’y prendrait pas mieux…
Il est de notoriété publique que la recherche de l’or est aventure ; du moins risque, pour les biens et le temps qu’il faut lui consacrer. Les citoyens alléchés doivent d’autant plus en supporter les périls que, l’Etat, non seulement, n’a prévu aucun encadrement de l’activité mais s’acharne, en outre, à taxer, en amont de l’aventure, la coquette somme de 403 000 UM, pour délivrer le récépissé de l’illusion ! 17 000 personnes sont déjà passées par ces fourches caudines qui, vidant les poches de nos citoyens, renflouent les caisses de l’Etat. De quoi, sans nul doute, permettre au moindre responsable gouvernemental de déclarer que cette « contribution » permettra de construire des routes.
Une telle épreuve constitue-t-elle « le meilleur privilège dont dispose le régime » pour engloutir ce qui reste en notre possession et nous écraser, comme sous un rouleau compresseur ? L’Etat laisse ses citoyens exposés à la spéculation, tant intérieure qu’extérieure, sans fournir la moindre information crédible sur le potentiel de la zone. Il s’est borné à accréditer, vaguement, les rumeurs de la découverte d’une zone où l’or abonderait, laissant, à la spéculation, le soin de faire le reste, déterminer les quantités et exagérer les rares informations, distillées ça et là. L’Etat ne dispose d’aucune donnée assez globale qui permettrait de mesurer le gaspillage des biens imprudemment engagés, par nos concitoyens, dans l’emballement de la funeste rumeur. Le gouvernement aurait dû être plus sensible au sort des mauritaniens jetés à la férocité du désert, en cette période de grande chaleur. Chacun de ceux qui ont obtenu le visa administratif pour l’aventure doit, en outre, dépenser trois à quatre millions d’ouguiyas, pour être opérationnel en une zone totalement isolée de tout centre urbain.
Même s’il ne dispose pas d’informations sur le potentiel de la zone, le gouvernement sait pertinemment qu’elle fait partie du permis de recherches négocié à Tasiast qui l’a seulement évaluée et, finalement, abandonnée, en 2010, pour se concentrer sur celles de Dawas et Em’Kebedna. N’est-ce pas là, déjà, une présomption suffisante de ce que la prétendue zone de tous les miracles, à savoir Ahmeïyime, n’est, en tout cas, pas riche en or ?
Après avoir creusé et remué, de fond en comble, ces sols, des milliers de gens se sont rendus ou vont se rendre à l’évidence que l’or n’existe pas, en cette terre autorisée par le gouvernement. Cela a déjà conduit à des heurts avec la gendarmerie, lorsque les premiers désillusionnés ont voulu s’installer, de force, dans un autre endroit, non autorisé. « Nos efforts à Ahmeïyime », ont-ils argué, « restent vains. Il n’y a pas d’or dans cette zone ! Alors, nous sommes obligés, pour au moins espérer rentrer dans nos frais, de prospecter là où l’or peut être réellement découvert ! ». Les affrontements avec la gendarmerie, qui « a fait preuve de ses muscles », selon des informations en provenance du site, auraient fait des blessés. Finalement, le gouvernement a autorisé les contestataires à travailler dans la zone de Dawas. Dans le périmètre, donc, du permis octroyé à Tasiast.
Que va-t-il se produire si les gens ne trouvent pas ou si peu d’or sur ce nouveau terrain ? Ne rentrent pas, au moins, dans leurs fonds ? Des questions d’autant plus lourdes que c’est en dizaine de milliers que se comptent, maintenant, les dindons d’une farce que le régime n’aura pas hésité à sacrifier, sciemment, pour renflouer le Trésor. La tricherie est patente et ses conséquences, aussi désastreuses qu’imprévisibles. Car c’est la classe moyenne, guère développée en Mauritanie, qui en est la principale victime. Le marché mauritanien va pâtir de ces milliards de capitaux privés, détournés par l’Etat et les entreprises étrangères (fournisseuses, elles, du matériel de prospection ; on y reviendra plus loin, en détail) qui vont manquer, dans la circulation monétaire de notre cycle économique national.
L’Etat a tourné, une nouvelle fois, le dos au peuple. Dans cette nouvelle « région » de 1 972 km², à cheval entre trois wilayas (Adrar, Tagant et Inchiri), ce sont quelque 85 000 habitants, sans compter les personnes en situation irrégulière – une évaluation basée sur le chiffre officiel de 17 000 autorisations attribuées, chacune, à cinq personnes – qui ont à survivre, sans aucun service public, même provisoire, ni boutique Emel (seul « recours social », aux yeux de notre gouvernement), ni point d’eau viable, etc. Sur quoi va déboucher le tour de force, si imprudemment gagné par le pouvoir, avec toute la cruauté et l’opportunisme inconscient qui le caractérisent ? Si la majorité de ceux qui se sont donnés à l’aventure n’obtiennent aucun gain de cause, on voit mal comment l’Etat pourrait défendre son comportement et son maigre bilan, et échapper à la vindicte populaire, lui qui a trompé les prospecteurs et les a spoliés de leurs biens.
A ce fatidique instant, le combat va se dérouler sur un autre terrain. La vérité – il faut Le reconnaître – est que le gouvernement n’est pas à l’origine de la rumeur aurifère et fut surpris, négligent et peu vigilant qu’il est, lorsqu’il apprit la baisse du cours de l’or, sur le marché national. Il envoya, alors, une mission pour évaluer la situation (et non la prospection). C’est seulement en découvrant les déjà nombreux sites de fouilles engagées par les prospecteurs qu’il décida de donner, à la rumeur, une consistance officielle, en faisant miroiter de nouvelles perspectives d’or à portée de main, sans se soucier, le moins du monde, d’obtenir ni, bien évidemment, fournir, des informations pertinentes à ce sujet. Obnubilé sur des perspectives à très court terme, il n’a pas su percevoir, à sa juste valeur, l’ampleur de la perte que vont subir, non seulement, le peuple, en première ligne, mais aussi, l’Etat, à l’heure des inéluctables comptes. (A suivre).