La classe politique mauritanienne, toutes tendances confondues, de ce qu'on appelle la majorité, en passant par l'opposition la plus radicale à la plus douce, n'arrive pas, hélas, à appréhender l'instinct - je dis bien l'instinct - qui commande l'homme qui dirige le pays, depuis huit années effectives. Le voyage de cet homme à Néma , Mohamed Ould Abdel Aziz, et son discours risquent bien de susciter des sur-réactions de parts et d'autres. La majorité et ses bandes de thuriféraires ne tarderaient pas à s'enthousiasmer, à baver davantage, en multipliant les supputations les plus surréalistes, en nourrissant les espoirs les plus excitables, en s'accordant à s'octroyer des rendez-vous porteurs, dans leurs flancs, des lendemains des plus enchantants, pour eux. L'opposition la plus douce trouverait bien dans pareille sortie une occasion, une autre, de présenter ses devis et factures pour services faits et faisables, en contrepartie de l'onction qui serait la leur dans les échéances à venir. L'opposition radicale pourrait bien tempêter et tonner et crier au putsch constitutionnel. Tous, chacun de sa position, verrait en cette décision, faite non sans tracas, non sans outrance, relative à la suppression du Sénat à la suite d'une consultation référendaire, à boire, à manger et à mourir pour certains. Tous et chacun, de par son positionnement au sein de son ensemble politique se trompent encore une fois d'appréciation et de calcul. Car se remettre à la foi d'Ould Abdel Aziz, établir une lecture ou analyse optimistes sur ses dires, c'est faire preuve d'une méconnaissance manifeste de l'homme. Pourtant, il n'a cessé de se dévoiler, tout au long de son règne. Les Mauritaniens, les politiques les premiers, devraient apprendre à le connaître, mais à chaque fois ils le ramènent, le créditant un peu, dans les analyses qu'ils se font sur ses sorties, à un certain niveau de bonne foi, de bienséance, de stature présidentielle, tout simplement; c'est-à-dire, de voir en lui le gabarit d'un Président d'une République. Une certaine grandeur de l'âme. Un certain dédain pour les petitesses, bien sûr. Un souci, dit-on, et un intérêt qui se situent dans les hauteurs, à l'aune de l'image et de la fonction qui est sienne. Fonction qui appelle même les voyous les plus résolus, les plus confirmés, à jouer un minimum de grandeur. Ce que Mohamed Ould Abdel Aziz essaie souvent de jouer. Mais, il est rattrapé immanquablement par ce qu'il est. C'est pourquoi, les mauritaniens se trompent, alors, aujourd'hui et tout le temps. Et sur Néma, ils se gourent encore une fois. Il suffit de revenir un peu au discours. Sa sortie argumentaire au sujet de la suppression du Sénat était disproportionnée. La suppression du Sénat mauritanien ne demande pas tant de passion. C'est un outil législatif qu'on peut supprimer ou maintenir, ni moins ni plus, sans susciter une quelconque colère du président de la République. Vouloir l'accabler d'une certaine entrave pour la démocratie, c'est lui donner une attribution que même la constitution ne lui confère pas. On peut dire, par contre, que c'est une chambre de trop. Et le débat sur sa suppression fait court depuis quelque temps déjà. Mais cela ne nécessite pas une charge passionnellement haineuse de la part du président.
Il faut bien chercher ailleurs pour comprendre les motivations, les chagrins plutôt de Mohamed Ould Abdel Aziz contre la chambre haute. C'est ce que les analystes ont ignoré, puisque, on ne le dira jamais assez, dans leur grille de lecture, ils partent toujours du postulat de base, que celui qui discourait, ce jour-là, sur la suppression du Sénat, était la personne du président de la République. Or, c'était faux. C'était là un quiproquo. C'était Mohamed Ould Abdel Aziz. Certes, mais c'était l'homme d'affaires, de toutes les affaires des finances personnelles et privées, qui défendait son patrimoine. C'était le boutiquier qui criait contre un assaillant qui songeait à le déposséder de sa marchandise. Le reste n'est que démagogie doublée de populisme.
La démocratie, les droits humains, la justice, les valeurs, la République, le Parlement, les conseils municipaux, les conseils régionaux, la Mauritanie, les harratines, les esclaves, les forgerons, les Maures, les Soninkés, les peulhs, les wolofs, les bambaras et toutes autres composantes possibles ou imaginaires, l'éducation, la santé, l'agriculture, les mines... tout ce beau monde, tous ces beaux principes, tous ces beaux mots, l'homme d'affaire qui régente le pays s'en tape. Lui, ce qui l'intéresse, l'habite, de tous les temps, c'est l'argent. Ce qui l'intéresse dans tous ces mots, ce qui l'amène à les prononcer au passage dans un discours, c'est qu'ils seraient censés porter quelque avantage mercantile. C'est qu'ils sauraient être monnayables et transformables en billets de banque. S'ils, ces mots, arrivaient à saliver quelques âmes naïves de la majorité, ce serait un bonus démago-populiste! S'ils, ces mots, allaient susciter colères et indignations au sein de l'opposition, ce serait un tant pis pour elle bien mérité!
Ce sont là des vérités qui échappent oui qui s'éclipsent sous la coupe des analyses stéréotypées. La vérité, celle qui amène Ould Abdel Aziz, à supprimer le Sénat, c'est qu'on y compte, encore, quelques sénateurs, dont il n'est pas le faiseur. Et qui se préparaient à mettre sur pied une enquête parlementaire sur la Fameuse Fondation du Fils. Un peu comme on se souvient de celle de Khattou Mint El Boukhary, l'épouse du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui fut trainée un jour pour répondre devant cette chambre au sujet de sa fameuse Fondation. Fondation, qui peut paraître, pour le commun des mortels, aujourd'hui, huit ans plus tard, des plus magnanimes, des plus justes, des plus propres et des plus humanistes. C'est là une image qui fait la hantise de l'homme qui bouillonnait l'autre jour à Néma. C'est un spectre à bannir et éloigner de tous les esprits. C'est là une chose à ne pas rééditer. Tout comme celle de Khattou, la Fondation Errahma, du fils, est d'utilité publique et devrait répondre donc sur ses ressources, ses sources de financement, ses dépenses et des tas d'autres questions que Mohamed Ould Abdel Aziz ne supporte pas. C'est ce qui explique sa colère l'autre jour à Néma et sa charge outrée contre cette chambre. Il suffit, je vous y invite encore une fois, de revisiter la partie du discours relative à son argumentaire de suppression. N'allez pas dans les hauteurs. Les choses sont si bassement basses. Hélas.
Une autre vérité d'Ould Abdel Aziz se rapportant sur l'alternance, sur l'après second mandat, est apparue l'autre jour. J'y reviendrai prochainement.