Le président de la République a parlé. Dieu sait que son discours à Néma a cristallisé les conversations, tant il était attendu sur un certains nombre de questions, particulièrement sur ses présumées velléités de déverrouiller la Constitution, en vue de briguer un troisième mandat, et sur son projet de dialogue avec l’opposition.
Catégorique sur le second point, il organisera, dans trois à quatre semaines, « son » dialogue avec qui (il) veut. Basta, donc, des « atermoiements » du Forum National pour la Démocratique et l’Unité (FNDU) ! Les observateurs se demandent, tout de même, avec qui se fera ce dialogue et pour quelle fin. En effet, nul n’a pu ignorer, et le pouvoir en premier, que le ton du discours du Président et les virulentes attaques formulées, à l’endroit de l’opposition, n’avaient manifestement pas pour objet de susciter un dialogue inclusif, franc et constructif. Pour le chef de l’Etat, l’opposition mauritanienne n’ayant pas pris part au dialogue de 2011 est « irresponsable et « disqualifiée », par le peuple mauritanien qui a choisi de lui fermer, définitivement, la porte. Elle ne lui semble, en aucune manière, une alternative fiable et rien ne pourra changer le régime actuel. Dans ces conditions, comment le FNDU et le RFD, principaux concernés que le pouvoir prétendait chercher à embarquer dans son projet, pourraient-ils y prendre part ? Loin de tout apaisement, voire clin d’œil, c’est un véritable requiem pour l’opposition qu’Ould Abdel Aziz a entonné. Elle doit désormais savoir, s’il lui était encore besoin, à quoi s’en tenir. De fait, cette sortie de l’homme du 8 Août ne surprend guère. Accueillant, dès le lendemain de son putsch, les marcheurs dirigés par la fronde parlementaire, le président du tout frais Haut Conseil d’Etat (HCE) affirmait que l’armée ne lâcherait plus le peuple et demeurera « à ses côtés ». Le FNDD de l’époque n’avait peut-être pas bien décrypté ce premier message de la junte. Aujourd’hui, même si le Président, qui a revendiqué la paternité de la démocratie mauritanienne, s’est défendu d’en devenir le fossoyeur, tout en rappelant, au passage, à ceux qui seraient tentés de l’oublier, qu’il avait « refusé de prendre la tête du pays, en 2005 et en 2007 », rien ne permet de présumer de sa future trajectoire. C’est pourquoi nombre de leaders de l’opposition trouvent-ils le discours du Président très… laconique. Pour Mahfoudh ould Bettah, président du CDN et du pôle politique du FNDU, Ould Abdel Aziz n’est pas dans une logique de quitter le pouvoir, au terme de son mandat en 2019, mais, bien plutôt, dans une stratégie de le conserver et d’y pérenniser. Dès lors, quelle stratégie adopteront le FNDU et le RFD? Réussiront-ils à l’en empêcher et comment ?
Quant au premier point, les changements annoncés, comme la fondation des conseils régionaux et la suppression du Sénat qui sera soumise à référendum, laissent perplexes. Pourquoi le Président choisit-il de passer par la consultation populaire plutôt que par le congrès ? Et pourquoi à la fin du dialogue qu’il a promis d’organiser sous peu ? Sous réserve d’une analyse plus approfondie du discours présidentiel et de la suite du feuilleton estival, plusieurs leaders de l’opposition flairent un piège. Toucher à la Constitution pourrait ouvrir la boîte de Pandore et tout pourrait arriver, lors du dialogue dont, probablement, tous les participants seront acquis au régime en place. Les zélés ministres ayant rappelé que le peuple est au-dessus de la Constitution ne « pousseront-ils » pas le pouvoir à franchir le Rubicon, même si le Rais semble écarter cette hypothèse ? Les partis ayant pris part au dialogue de 2011 la soutiendront-ils, eux qui attendent, encore, l’application de plusieurs recommandations de celui-ci ? Un accord mis à rude épreuve, par l’inapplication de loi sur la transhumance, avec le débauchage des conseillers d’El Wiam, entrepris, à Rosso, par l’UPR, bloquant le fonctionnement du Conseil municipal… De quoi inciter le parti de Boydiel Ould Houmeïd à plus de méfiance ? Mais il est fort à craindre que cet accord ne soit sacrifié sur l’autel des intérêts égoïstes. Certains diront : de la real-politik… Attendons, tout de même, de voir le format et les thématiques du dialogue et l’évolution de la capacité de mobilisation du FNDU. Le succès de la marche du samedi 7 Mai, après celui des premiers meetings régionaux, semble démontrer que le combat est loin d’être clos...
Les à-cotés et…les dessous
Dans son discours du 3 Mai, le président de la République a dit, tout haut, ce qu’il pensait, tout bas. Et levé un (petit) coin de voile, sur ses véritables intentions. En annonçant, unilatéralement, la suppression du Sénat et la fondation des conseils régionaux, Ould Abdel Aziz confirme le projet de tripatouillage constitutionnel qu’une certaine opinion lui prêtait. Un référendum sera organisé sur ces amendements constitutionnels, a-t-il précisé. Sans tout révéler. Il a tout simplement ouvert une brèche, laissant, aux autres, le soin de parachever son propre dessein. Un amendement peut-il en cacher d’autres ? Que proposera, par exemple, l’UPR, dans cette alchimie dont le président a dessiné les contours ? Probablement la révision de l’article relatif à la limitation des mandats. Cela dit et au-delà de cette annonce tant attendue et redoutée, la visite de Néma a eu ses traditionnels à cotés et ses dessous.
La tribu à l’avant-garde
Néma est une commune majoritairement acquise à Tawassoul qui dirige son conseil municipal. Pour gagner son pari, le pouvoir n’est pas allé avec le dos de la cuillère. Malgré la présence d’une forte délégation de l’UPR et de plusieurs autres partis de la majorité, c’est sur des considérations essentiellement tribales que les troupes ont été mobilisées. Revenus dare-dare au terroir, cadres et notables ont assuré, chacun en ce qui le concerne, le transport et l’hébergement des siens. Et, le 3 Mai, ce fut la ruée vers le site du meeting, au milieu des cris (timjad) dressant louanges et couronne de lauriers à tel ou tel ensemble.
Discours provocateur
Le Président n’a pas été conciliant. Il fut même provocateur. Sans détours, Ould Abdel Aziz a qualifié ses opposants d’ennemis de la Nation. Il n’a pas été plus tendre, en abordant l’épineuse problématique de l’esclavage. Le calvaire des pauvres – sous-entendez : des Harratines ; puisqu’il n’existe pas d’esclaves, selon l’homme du 8 Août – trouve ses origines dans l’anarchie des naissances, a-t-il asséné. A un tel rythme de procréation, les parents ne sont plus en mesure, estime-t-il, d’offrir éducation, santé, logement, etc., à leurs enfants. Mais, monsieur le Président, ne s’agit-il pas, là, de tâches plutôt régaliennes ? Que sont alors les droits des citoyens, quand l’Etat ne peut pas leur offrir santé, éducation et sécurité ? Une sortie très mal accueillie dans ces milieux qui se sentent humiliés par de tels propos. Déclaration indignée et marche de protestation à l’appui, la Charte des Haratines les a fermement dénoncés et invité le Président à présenter ses excuses.
13 millions d’ouguiyas pour un seul dîner
Le dîner organisé, par la Présidence, à l’intention d’un bon millier de cadres et notables, a coûté près de treize millions d’ouguiyas. Sur quelle rubrique sera facturée la dépense ? Un gala tenu dans l’enceinte du stade de Néma dont les travaux sont à l’arrêt ! La cérémonie a été cependant gâchée, par les sorties intempestives de laudateurs rivalisant – âpres luttes de clans – en louanges au Président. Ces flagorneurs jaillirent de la foule, dans un désordre indescriptible, s’arrachant la parole pour dire du bien du Chef. Délétère atmosphère, à l’origine, prétendent diverses sources, de l’annulation de la traditionnelle réunion de cadres, pourtant occasion inespérée, pour les uns et les autres, de parler directement au Chef.
Propos identitaires
Abordant la question de la tenue, à Nouakchott, du prochain sommet de la Ligue arabe, le président de la République a dit et répété, je le cite : « la Mauritanie est un pays arabe et musulman ». Est-ce involontairement qu’OuldAbdel Aziz a omis de préciser que la Mauritanie n’en était pas moins un pays multiculturel ?La dimension africaine de notre pays méritait, pourtant, d’être d’autant plus citée, en de pareilles circonstances, que c’était le président de tous les Mauritaniens, sans exception, qui s’adressait à la Nation et au Monde. Un message reçu, par le « projet de parti » issu des FLAM, toujours en quête de reconnaissance, qui, avalant la couleuvre, s’est réjoui du discours présidentiel ! En obtiendra-t-il gain de cause ? Ceci justifie peut-être cela…
Bagarre
A Nbeykit Lahwach, les querelles de leadership, entre clans rivaux, ont dégénéré, à quelques heures de l’arrivée du Président. Dans ce chef-lieu de département, une bagarre a éclaté et un élu local a été tabassé. Un dérapage parmi de plus feutrés affrontements où s’activaient nombre de cadres, comme l’actuel ministre des Affaires étrangères, Isselkouould Ahmed Izidbih, le commissaire aux droits de l’homme, Cheikh Touradould Abdel Malick, et diverses autres personnalités de Oualata et Bassiknou. Finalement, chaque clan a aménagé son propre site de réception. Ce qui n’a pas empêché le Président d’aller saluer toutes les populations venues l’accueillir et séparées, les unes des autres, par près d’un kilomètre.
Semi-inauguration
Le président de la République a procédé à l’inauguration « provisoire » de l’usine de lait de Néma, avant même qu’elle ne soit réceptionnée. En agissant ainsi, il entendait mettre fin à la polémique autour de ce complexe dont les travaux perdurent. Il fallait bien inaugurer quelque chose. Les eaux de la nappe de Dhar ne seront pas dans les robinets avant 2017. Mais les Mauritaniens ne sont pas tous naïfs...
Moustapha Béchir,
envoyé spécial à Néma